Le chef de l'Etat cherche à désamorcer la polémique sur le sort de l'hôtel de la Marine à Paris.
Il a annoncé mercredi 19 mars la création d'une commission chargée de réfléchir à la "meilleure utilisation" de cet hôtel particulier du XVIIIe, situé place de la Concorde.
Auparavant, six historiens, dont Pierre Nora, et l'écrivain Régis Debray lui avaient demandé dans Le Monde de "ne pas brader" ce lieu "chargé d'histoire".
L'édifice, classé monument historique depuis 1862, raconte en effet deux siècles d'histoire. C'est ainsi là que fut signée la condamnation de Louis XVI à la guillotine, comme l'abolition de l'esclavage. L'hôtel particulier loge depuis 1789 l'état-major de la marine.
Quel avenir pour l'hôtel de Marine ?
Un appel à projets en vue de "l'occupation, la mise en valeur et l'exploitation" de l'édifice, occupé par l'état-major de la Marine jusqu'en 1994, a été lancé fin novembre. Il devrait être loué par l'Etat pour une très longue durée (60 à 80 ans).
"Vous n'imaginez pas le nombre de coups de téléphone, de lettres enflammées que je reçois sur le sujet de l'hôtel de la Marine", a déclaré avec amusement Nicolas Sarkozy en présentant ses voeux au monde de la culture et de l'éducation, dans l'immense (et somptueusement restaurée) nef du Grand Palais à Paris. Il a souligné qu'il n'était "pas question que l'Etat vende l'hôtel de la Marine, l'aliène". "L'appel d'offres qui a été ouvert, c'est pour savoir ce qu'on met dedans", a-t-il ajouté.
La commission, composée d'experts indépendants, d'historiens et de spécialistes du patrimoinhe, sera chargée "d'éclairer les pouvoirs publics sur la qualité des projets", selon une source proche du projet. "Il faut veiller à ce que soit trouvé un équilibre entre la valorisation commerciale du lieu d'une part, et le respect de la valeur patrimoniale du bâtiment et son ouverture au public d'autre part", explique la même source. "Toutes les hypothèses restent ouvertes", ajoute-t-elle.
Selon Le Monde, l'Elysée a fait savoir que "l'Etat pourrait très bien ne pas donner suite à l'appel à projets et qu'il statuera sur le bien-fondé de l'opération au vu des propositions".
Un appel dans Le Monde
Outre Régis Debray et Pierre Nora, les signataires de l'appel du Monde sont les historiens Alain Decaux, Jean-Noël Jeanneney, Jacques Le Goff, Mona Ozouf et Michel Winock.
"Quiconque éprouve encore un minimum de respect pour le passé national, pour les pierres chargées de symboles et d'une histoire qui touche tous les Français, ne peut qu'être révulsé à l'idée que l'hôtel de la Marine soit alloué sans protestation aucune, affermé, disons le mot aliéné à un groupe financier international, Alexandre Allard, pour, derrière la façade inchangée, en faire un Barnum commercial assorti de suites de luxe", écrivent les signataires.
"Et que ce soit un ancien ministre de la Culture qui, devenu salarié d'un 'rénovateur' d'hôtels, facilite auprès des politiques la réalisation juteuse d'un projet si évidemment contraire à l'intérêt général, cela lève le coeur", ajoutent-ils. Ils font référence à l'ancien ministre (UMP) de la Culture Renaud Donnedieu de Vabres, conseiller de l'homme d'affaires Alexandre Allard "pour le développement, la stratégie et la culture".
"On veut faire une Maison de l'histoire de France parce que, paraît-il, la France perd sa mémoire", relèvent les signataires. "Mais on liquide en même temps une maison qui est, à sa manière, une leçon d'histoire de France. La France ne perd pas sa mémoire, elle la vend", affirment-ils.
Une association, les Amis de l'hôtel de la Marine, présidée par Olivier de Rohan-Chabot, s'est créée pour que celui-ci demeure "au service de l'Etat" et que ses collections ne soient pas dispersées. Elle a lancé une pétition en ligne qui a déjà recueilli plus de 7000 signatures.
Un édifice "représentatif de l'Etat et de la nation" ![]() L'hôtel de la Marine, qui a toujours appartenu à l'Etat, a été édifié de 1757 à 1774, sous Louis XV, par les architectes Gabriel et Soufflot, pour abriter le garde-meubles de la Couronne. Après la Révolution, il a été affecté au ministère de la Marine. Par la suite, il a été affecté à la Marine nationale.
Véritable joyau patrimonial, il a gardé ses décors du XVIIIe et du XIXe, mais aussi une grande partie de son mobilier. Une restauration de l'édifice a été lancée, sous l’égide du ministère de la Culture, avec Bouygues comme mécène.
"Ce lieu est chargé des images historiques les plus lourdes qu'on puisse imaginer: au croisement de l'Ancien régime et de la Révolution. C'est là (...) qu'ont eu lieu les prémières émeutes populaires à la veille du 14 juillet 1789. (...) C'est là que (...) que Louis XVI et Marie-Antoinette, mais aussi tant d'autres acteurs célèbres ou anonymes de la Révolution, ont été guillotinés", rappellent les signataires de l'appel dans Le Monde.
"Visiter les salons d'apparat juste rénovés, aux décors ciselés d'or façon XVIIIe, réalisés sous Napoléon III, éblouit. Mais parcourir les anciens appartements, jusqu'au charmant boudoir de Marie-Antoinette aux miroirs égayés d'oiseaux et de fleurs des champs, est le plus émouvant. Comme descendre dans le bunker allemand de 1940 creusé dans la grande cour", écrit le quotidien.
En 2009, un architecte en chef des Monuments historiques, Etienne Ponte, avait réalisé une étude sur la valeur patrimoniale de l'hôtel de la Marine. Sa conclusion: celui-ci "n'est pas seulement un hôtel ministériel, ni un décor urbain comme les autres, il participe en bonne place parmi les édifices représentatifs de l'Etat et de la nation". |
La contre-attaque d'Alexandre Allard
Le financier Alexandre Allard, accusé par l'appel dans Le Monde de vouloir transformer l'hôtel de la Marine "en faire un Barnum commercial assorti de suites de luxe", a finalement décidé de sortir de son silence. Dans un premier temps, il refusait de répondre aux questions des journalistes.
La polémique "est un débat entre les Anciens et les Modernes", a-t-il expliqué dans une interview à l'AFP. "Dans ce combat extrêmement inégal, il y a d'un côté des gens qui vont soumettre un projet et qui ne peuvent s'exprimer", estime-t-il. De l'autre côté, "il y a les Anciens qui pensent que le patrimoine français doit être mis dans la naphtaline, qu'il ne faut toucher à rien. Et comme l'Etat n'a pas les moyens de l'entretenir, ces bâtiments sont dans un sale état" alors que "là, on a un outil de création de valeur", déclare cet entrepreneur de 42 ans.
Depuis deux ans et demi, Alexandre Allard prépare un projet pour faire du site un "centre mondial de la création et de la culture". Epaulé par l'ancien ministre de la Culture Renaud Donnedieu de Vabres, il fait également travailler l'architecte Jean Nouvel.
Le financier ne souhaite pas dévoiler ses idées dans la mesure où le processus de sélection est en cours. Quelques éléments ont percé ces derniers mois: il y aurait des résidences d'artistes, des galeries, des marchands d'art, des fondations, des suites de grand standing pour attirer mécènes et collectionneurs.
"Nous avons chiffré que rien que pour mettre ce bâtiment d'équerre, il y a plus de 200 millions d'euros à investir", explique Alexandre Allard. "Le contenant, la boîte, est exceptionnelle. Sinon il y 350 m2 de salons rénovés et au premier étage il y a 2224 m2 qui ont une valeur historique. Pour le reste, il n'y a rien. Ce n'est même pas du niveau d'un appartement haussmanien", considère-t-il. "On parle de 24.000 m2 et de 550 pièces, mais de tête, il y en a 30 qui sont très intéressantes", affirme-t-il.
Selon lui, "il y peu de candidats" aujourd'hui, en raison non pas du coût mais des "contraintes", car il s'agit d'un bâtiment entièrement classé sur lequel l'Etat continuera à exercer un "contrôle" et "qui laisse aux citoyens la propriété du bien". "Dans 60 ou 80 ans, si le modèle de notre projet est pérenne, ils hériteront d'un bâtiment entretenu et flambant neuf qui vaudra des milliards à ce moment là et qui aura créé du rayonnement pour la France. Alors, il est où le problème?", s'interroge-t-il.
(image France 3)
Réactions
La pétition pour la sauvegarde de l'hôtel de la Marine a notamment été signée par l'ex-président de la République Valéry Giscard d'Estaing alors qu'il "ne signe jamais de pétition". Mais là, il a "signé pour que l'État garde ce monument", selon des propos rapportés par Le Figaro. "Si on peut comprendre que l'État soit conduit à se défaire de bâtiments dont l'entretien constitue de trop lourdes charges, il doit auparavant prendre en compte l'intérêt patrimonial", ajoute VGE.
"Cela doit rester un lieu culturel et intellectuel, je ne veux pas qu'on y organise l'élection de Miss France", a déclaré, dans le Monde, le ministre de la Défense, Alain Juppé, qui a visité le bâtiment deux jours après l'appel lancé par les historiens et Régis Debray.
Interrogé par des journalistes sur son mutisme sur le dossier, le ministre de la Culture, Frédéric Mitterrand a assuré que "le ministère de la Culture n'est pas silencieux du tout". "Seulement, il ne parle pas à tout le monde. Dans certains domaines, il est quelquefois nécessaire de réserver sa parole à un certain nombre d'interlocuteurs surtout lorsqu'il s'agit de sujets particulièrement propres à susciter les passions légitimes", a-t-il dit. "Je suis au contraire très présent dans le domaine - on peut presque dire depuis le premier jour de mon arrivée", a-t-il affirmé. "Me connaissant comme vous me connaissez, je ne suis pas très 'larguez les amarres'", s'est-il borné à dire, sans plus de précisions.
L'ancien porte-parole de l'UMP, Dominique Paillé: "je m'oppose à ce que cet édifice de mémoire situé dans un des hauts lieux historiques de Paris ait une destination autre que publique".
L'historien Jean-Pierre Rioux, qui préside le comité d'orientation scientifique de la future "Maison d'histoire de France" voulu par l'Elysée, a expliqué qu'il n'avait pas retenu le site de l'hôtel de la Marine dans son rapport sur les implantations possibles d'un musée car cela semblait "très compliqué" côté aménagement intérieur.
"Immeuble de prestige et d'exception" |
Source : culture.france2.fr