Sénat : bienvenus aux
affaires familiales
Au lendemain des sénatoriales, les anciens ont refilé le tuyau aux petits nouveaux : ici, on a le droit d'embaucher sa femme, son père, sa fille, son gendre, etc..., comme assistant parlementaire. Alors que le Parlement européen prohibe le recrutement de "parents proches" depuis 2009 afin de prévenir les emplois fictifs, les cas se comptent par dizaines au Palais du Luxembourg. La nouvelle majorité de gauche y changera-t-elle quelque chose? Comme tant d'autres, le socialiste Gilbert Roger, à peine arrivé, a salarié son épouse aussi sec.
L'autorisation est d'ailleurs délivrée, noir sur blanc, dans les documents de bienvenue distribués aux nouveaux élus : ici, chacun dispose d'une enveloppe de 7.500 euros brut par mois pour salarier un, deux ou trois collaborateurs. L'un d'eux – un seul – peut être «membre de sa famille».
Simplement, les salaires de ces "assistants familiaux" sont encadrés : les épouses reçoivent un tiers au plus de l'enveloppe du parlementaire, soit 2500 euros brut par mois; les autres parents proches peuvent toucher jusqu'à 3800 euros. Sans compter les 80 euros supplémentaires par année d'ancienneté.
Alors combien sont-ils exactement, ces "assistants familiaux", à travailler au Palais du Luxembourg ou en circonscription ? Alors que les nouveaux élus n'ont pas fini de recruter, le service de presse avance déjà le chiffre de 64, rémunérés à temps plein ou partiel. Autrement dit : 64 sénateurs salarient un parent proche aux frais du contribuable – on en dénombrait même 76 à la veille des élections !
Ce chiffre est impossible à vérifier : aucune liste nominative des 901 assistants de sénateurs n'étant rendue publique, où fouiller... Un trombinoscope a bien été créé sur l'intranet du Sénat, mais l'inscription s'y fait sur la base du volontariat, après accord du parlementaire. Résultat : une minorité d'assistants s'y affichent, et certainement pas les cas problématiques.
Pour le syndicat des collaborateurs parlementaires du Sénat, l'USCP-Unsa, ce chiffre "pourrait être sous-estimé", notamment à cause des "embauches croisées" (“J'emploie ta femme, et toi la mienne”). « Une éventualité très limitée », selon le service de presse. Mais une éventualité tout de même.
Surtout, l'Unsa se dit « inquiète de voir le nombre d'emplois familiaux progresser » encore, à la faveur des dernières élections, « comme après les sénatoriales de 2008 ».
Pour le syndicat, qui compte sur la nouvelle majorité de gauche pour agir, « le problème n'est pas l'existence d'emplois familiaux en soi [...] la plupart sont des collègues qui travaillent effectivement et souvent beaucoup ». En revanche, il dénonce les "emplois de complaisance", « qui représentent une proportion indéterminée mais importante », et « jettent l'opprobre sur l'institution parlementaire ». Combien sont carrément fictifs ?
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J-M. Todeschini © Sénat |
« Si vous en trouvez un, vous me le dites », répond Jean-Marc Todeschini, nouveau questeur socialiste, désigné à ce poste de "grand argentier" du Sénat après la victoire de la gauche en septembre. Surveiller ce genre de dérives fait partie intégrante de son job. Le fera-t-il ?
Il se trouve que lui aussi, dans sa permanence de Moselle, emploie un membre de sa famille. Une drôle de permanence collective qu'il partage avec sa collègue Gisèle Printz (élue depuis 1996), et dans laquelle "logeait" aussi le sénateur Jean-Pierre Masseret jusqu'en septembre dernier (battu après vingt-trois ans de mandat).
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Gisèle Printz © Sénat | J-P. Masseret © Sénat |
Dans ce bâtiment, on tombe non seulement sur la fille de Jean-Marc Todeschini (salariée par son père), mais aussi sur le neveu de Gisèle Printz (payé par sa tante) et sur l'épouse de Jean-Pierre Masseret (en contrat avec Mme Printz). Jusqu'aux sénatoriales de septembre, il fallait en plus compter la fille de Jean-Pierre Masseret (embauchée sur l'enveloppe de son père) et sa belle-fille (rémunérée par Jean-Marc Todeschini après l'avoir été par Jean-Pierre Masseret lui-même). Un journaliste met une semaine à y retrouver ses petits. En tout : cinq membres de la famille de l'un ou l'autre des sénateurs !
« C'est légal », répondent en chœur les intéressés. Au fil des ans, visiblement, les trois élus se sont réparti les contrats avec habileté, afin de respecter la règle d'un "assistant familial" par sénateur. Mais des opposants locaux s'offusquent, sous couvert d'anonymat, de cette "petite entreprise familiale", aux relents de népotisme.
Voici un extrait d'un document interne au Sénat que Mediapart s'est procuré :
Au Parlement européen :
Depuis juillet 2009 (et le nouveau statut des eurodéputés), aucun recrutement d'assistant familial ne peut plus avoir lieu. Ceux déjà embauchés peuvent toutefois être prolongés. Voici ce qu'indique le service Communication : « Plus aucun contrat ne pourra être conclu avec des parents proches des députés. Les contrats en cours pourront être prolongés, mais seulement pour une législature, et devront être mentionnés clairement dans la déclaration d'intérêt financier des députés, sur le registre consultable par le public ».
Par "parents proches", le Parlement européen entend les "conjoints ou partenaires stables non matrimoniaux, les parents, enfants, frères ou soeurs".
Assistants parlementaires : ce que dit le site du Sénat
La position du syndicat Unsa des collaborateurs parlementaires, questionné par Mediapart sur les emplois familiaux au Sénat :
« Inquiet de voir le nombre d'emplois familiaux progresser comme après les élections sénatoriales de 2008, le syndicat des collaborateurs parlementaires de sénateurs s'interroge, au lendemain des élections du 25 septembre dernier, sur le chiffre officiel de 7%. Il pourrait être sous-estimé...
Par le passé, nous avons eu connaissance de cas d'emplois croisés, qui permettent aux intéressés de passer outre les minima inscrits dans le règlement officiel de l'AGAS et qui limitent le nombre d'emploi familial par équipe à un dans la limite des deux tiers du montant de la dotation dont bénéficie chaque sénateur pour rémunérer ses assistants. La définition de l'emploi familial devrait être élargie : l'emploi familial ne doit pas être assuré par plus un membre de la famille de tout autre sénateur ! »
Ce problème soulève plusieurs réflexions :
« Le problème n'est pas l'existence d'emplois familiaux, en soi, mais bien plutôt celle d'emplois de complaisance. La plupart des emplois familiaux sont en effet des collègues qui travaillent effectivement et souvent beaucoup. Dans le premier cas, ces salariés apparaissent sur les trombinoscopes et autres supports de communication propres à chacune des équipes parlementaires concernées. Dans le second, qui représentent une proportion indéterminée mais importante des emplois familiaux, ces situations ne sont acceptables ni pour les représentants de notre profession, ni pour les parlementaires, ni pour le contribuable.
En effet, les emplois de complaisance, qu'ils soient familiaux ou pas, jettent l'opprobre sur l'ensemble de la classe politique, sur l'institution parlementaire et sur les membres de notre profession qui, eux, travaillent effectivement.
La question soulevée par les emplois familiaux est d'ordre déontologique. Mais elle ne révèle que le haut de l'iceberg car le problème central est l'absence de statut professionnel type convention collective pour les collaborateurs parlementaires. Ce vide juridique permet des arrangements "à la papa", en toute opacité, au sein d'une corporation qui tolère ou entretient, par son immobilisme, des situations que nous espérons voir disparaître : licenciement massif sans compensation suite aux élections, faible niveau des bases salariales, non paiement des heures supplémentaires, précarisation des salariés par la recrudescence du recours aux temps partiels...
Pour toutes ces raisons, notre syndicat milite pour la mise en place d'un cadre réglementaire transparent, qui permette l'application du droit du travail collectif et la valorisation des conditions socio professionnelles des collaborateurs d'élus face aux spécificités du secteur politique.
Alors que le travail parlementaire s'intensifie et se complexifie, au fil des années, il est temps que les parlementaires dotent leurs plus proches collaborateurs d'un statut professionnel pérenne exemplaire. Il en va de la qualité du travail attendu des parlementaires eux-mêmes dans l'exercice de leur mandat.
Nous avons d‘ailleurs rencontré l'ensemble des présidents de groupes parlementaires au printemps dernier pour leur demander leur appui. Le président du groupe socialiste d'alors, Jean-Pierre Bel, aujourd'hui président du Sénat, s'était alors engagé à faire évoluer le statut des collaborateurs parlementaires de Sénateurs en ce sens. Nous comptons sur lui pour transformer cette promesse en réalité ! »