La «caravane de la liberté» à La Kasbah
Les manifestants, venus des quatre coins de la Tunisie, poursuivent leur sit-in à La Kasbah depuis dimanche dernier. Au moment où on affirme que certains d'entre eux ont pris le chemin du retour à leurs maisons dans différentes régions, on a remarqué hier la présence de nouveaux manifestants qui ont rejoint le camping, augmentant ainsi le nombre des participants au sit-in. En effet, des régions comme Sfax et Tataouine sont désormais représentées et de nouvelles tentes ont été installées sur la place.
Le remaniement du gouvernement de transition ne semble pas avoir plu à tous les protestataires qui ont continué, hier, à manifester leur mécontentement. Les foules se serraient partout dans la place de La Kasbah, scandant des slogans réclamant principalement la démission de Mohammed Ghannouchi, le Premier ministre, ainsi que la dissolution du gouvernement actuel et l’installation d’un régime parlementaire. Les discussions entres les manifestants continuent et les avis sont parfois contradictoires. Un avocat syndicaliste essaie de convaincre l’un des coordinateurs de la caravane de l’intérêt de laisser le gouvernement transitoire faire son travail. «Vu mon expérience dans la vie politique, souligne l’avocat, j’estime qu’il ne faut pas s’obstiner à vouloir tout obtenir en même temps ! Hier, il y a eu une nouvelle composition du gouvernement sur laquelle il y a eu un consensus de la part de l’Ugtt, des différents partis politiques ainsi que des composantes de la société civile. Ce n’est qu’une période transitoire et le fait de refuser cette composition homogène du gouvernement ne fait que réduire le nombre des gens qui soutiennent cette protestation. La question qui se pose maintenant est : qu’y a-t-il après ce refus et ce sit-in ? Nous ne voulons pas qu’on arrive à un stade où l’on verra des gens se moquer de la révolution qui tomberait dans l’absurde. Nous voulons que cette pression soit menée selon une stratégie politique pour parvenir aux fins escomptées de cette révolution pour la liberté et la dignité. On a atteint quelque 70% des revendications, c’est bien et c’est une autre étape désormais et une autre stratégie qui prend en considération d’autres facteurs qui viennent s’ajouter sur la scène et nous serons tous des garants pour cette révolution…».
Ultime objectif : une vraie démocratie
Le coordinateur, Malek, la vingtaine, répond à son interlocuteur syndicaliste : «La stratégie doit répondre aux principaux axes des revendications pour lesquelles nous sommes, tous, ici. Nous avons fait plusieurs sacrifices et nous sommes conscients de la difficulté de la mission mais nous sommes prêts à donner plus de sacrifices même si ce sont nos vies que nous risquons et ce sera un honneur pour nous de les sacrifier pour la noble cause. Pendant ces jours, nous avons été victimes de plusieurs dépassements d’ordre sécuritaire. Il y a deux jours de ça, l’un des protestataires a reçu une information qui lui a affirmé la mort de sa mère et en partant de la caravane, il a été interpelé et agressé par une trentaine d’agents de la police politique !
Nous ne sommes pas prêts à céder. Nous voulons un Conseil constitutionnel qui sera le garant de la nouvelle histoire de la Tunisie que nous voulons démocratique à cent pour cent. C’est notre ultime objectif…».
Perdant quelque part la confiance dans les médias nationaux, les coordinateurs de la «caravane de la liberté» ont installé une équipe de jeunes dotés de leur propre matériel informatique pour assurer la couverture de cette manifestation pacifique via une page éditée en arabe sur «Facebook».
De nouveaux ingrédients viennent s’ajouter à la scène de La Kasbah rendant la situation plus difficile à gérer. En effet, depuis deux jours, certains ont entamé une grève de la faim. «Il y a des gens qui se sont infiltrés et qui viennent perturber la caravane, souligne Ridha, agent d’administration venant de Sidi Bouzid. Ce sont ces mêmes gens qui ont jeté les pierres sur les agents de l’ordre avant-hier, essayant de chauffer l’ambiance. Pour répondre à ces pratiques, je dirais que nous avons désormais une certaine culture révolutionnaire. La provocation ne fait qu’aggraver la situation».
Un nouveau souffle politique
Dans l’une des nouvelles tentes de la «caravane de la liberté», nous avons rencontré Mohamed, un mahdois la quarantaine, qui a affirmé qu’il vient de rallier le sit-in en guise de solidarité. «Nous ne voulons plus des anciennes figures politiques dans lesquelles nous n’avons plus confiance, souligne-t-il. Par exemple, le système de travail du ministère de l’Intérieur est resté le même qu’avant. Aussi, le système qui englobe le gouverneur, le délégué et la municipalité est encore le même avec des failles qui permettent la corruption. Ce sont les noms qui ont changé et non le système !».
Pour sa part, Mahmoud, travailleur aux mines de Métlaoui, indique qu’une liste des revendications à été donnée à l’ordre national des avocats de Tunis qui aurait eu une réunion hier avec des représentants de l’Ugtt pour formuler un accord commun sur les points principaux de ces revendications.
Par ailleurs, cinq médecins ont entamé hier une action de secours de premier degré dans le camping. Lilia, l’une de ces médecins, affirme que cette action qui relève du volontariat, vu la situation de plus en plus dégradée de certains cas dans cette caravane, et que cela n’a rien à voir avec la politique.
Les forces anti-émeutes ont dispersé, tard dans l’après-midi, par la force, des centaines de manifestants en faisant usage de gaz lacrymogènes. Cette opération d’évacuation n’a pas dégénéré en rixe entre protestataires et forces de l’ordre, mais elle a causé plusieurs cas d’évanouissement sous l’effet de l’inhalation du gaz lacrymogène. Dans le souci de prévenir le retour des contestataires, la place du gouvernement à La Kasbah a été entourée de barbelés après avoir délogé tous les protestataires.
A Tunis, la place de la Kasbah évacuée par la force
Des policiers tunisiens passent à côté d'une des tentes des manifestants en face des bureaux du Premier ministre à Tunis, le 28 janvier 2011. |
A Tunis, la police a évacué vendredi 28 janvier les manifestants qui assiégeaient depuis plusieurs jours la Kasbah où se trouvent les bureaux du Premier ministre. Les échauffourées ont fait une quinzaine de blessés. Après le remaniement ministériel de jeudi qui a vu des changements aux postes clés, Mohammed Ghannouchi, le Premier ministre tunisien, serait prêt à rencontrer les manifestants.
Vers 16 heures 30, tout à coup, il y a eu des scènes de panique dans le centre-ville de Tunis. Des centaines de jeunes pour la plupart sont arrivés en trombe de la place de la Kasbah, les yeux rouges, certains montraient leurs blessures de coups de matraque. Il y aurait au moins cinq blessés, selon un médecin, mais sans doute un peu plus.
D’après les témoins, l’armée aurait, dans un premier temps, évacué l’esplanade devant le siège du gouvernement pour laisser la place aux forces anti-émeutes. Les policiers ont alors lancé des dizaines de gaz lacrymogènes et dispersé les manifestants à coups de matraque.
Ce soir, la place de la Kasbah était toujours inaccessible et l’air y était complètement irrespirable. Du coup, les manifestations se sont déplacées vers le centre-ville. Certains ont lancé des pierres vers la police.
Un calme précaire est revenu dans le centre-ville. Toutes les boutiques ont tiré leur rideau, mais tous les manifestants disent qu’ils comptent continuer à manifester et demander la démission du Premier ministre, Mohammed Ghannouchi, symbole du régime de Ben Ali, selon eux, quitte à revenir demain s’il le faut.
Qu'en disent les journaux Tunisiens ?
Informez-vous au travers des deux quotidiens Tunisiens Le Temps et La Presse de Tunisie, ci-dessous au format pdf.
Sources : rfi.fr, LaPressedeTunisie.tn