On pensait être débarrassé de cette série hollywoodienne maintenant que Schwarzy est à la retraite, ben c'est râpé, Jack Servier reprend le rôle dans la version française. A la différence des studios d'Hollywood, en France on a moins de budget, donc y'a pas de cascadeurs et les victimes meurent pour de vrai !
Les victimes du Médiator réclament justice
Plus d’une centaine de plaintes contre le laboratoire Servier doivent être déposées ce matin par une association de malades, tandis que d’autres réclament un accord à l’amiable et la création d’un fonds public d’indemnisation.
Ce matin, quelque cent dix dossiers doivent être déposés au pôle de santé publique du tribunal de Paris par l’association d’aide aux victimes du Mediator et de l’Isoméride. Précisément cent plaintes pénales avec constitution de partie civile contre le laboratoire Servier pour « blessures involontaires », dix plaintes avec constitution de partie civile pour « homicide involontaire », auxquelles s’ajoute une plainte pénale déposée au nom de l’association elle-même. Ces procédures interviennent en parallèle à celle engagée par le parquet de Paris au mois de décembre et confiée à l’Office central de lutte contre les atteintes à l’environnement et à la santé publique (Oclaesp).
Une démarche jugée trop lourde par Georges-Alexandre Imbert, président de l’association d’aide aux victimes des accidents de médicaments. Lui préfère s’orienter vers une conciliation avec le laboratoire Servier afin de permettre une indemnisation des victimes plus rapide que ce que produirait une longue procédure pénale, qui pourrait durer plusieurs années. Et où il sera de toute façon difficile de prouver au cas par cas le lien entre la prise du Mediator et ses conséquences sur la santé. Signe d’un certain changement de ton dans la communication et la stratégie du laboratoire, celui-ci ne semble pas opposé à cette éventualité. Il faut dire qu’il était déjà passé par là avec les victimes de l’Isoméride, son autre médicament interdit, en 1997.
Dans l’attente du rapport de l’Igas
« Si notre responsabilité est engagée, Servier l’assumera, comme il l’a toujours fait », a déclaré hier la directrice générale du laboratoire, Lucy Vincent, au micro de RTL. Une promesse qui ne convainc guère le député PS Jean-Marie Le Guen, qui réclame que l’État mette en place « un fonds d’anticipation des indemnisations » et même « la mise sous séquestre des biens de Jacques Servier ». Difficile de s’y retrouver aujourd’hui pour les malades, autour desquels se pressent nombre d’avocats, flairant le procès de la décennie. Marc Paris, du collectif interassociatif sur la santé, conseille, lui, aux victimes de constituer leur dossier de plainte, démarche déjà longue et fastidieuse. Une seule certitude : tous attendent avec impatience le rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (Igas), à la fin de la semaine, qui devrait nous éclairer un peu plus sur la chaîne des responsabilités. Si Servier est aujourd’hui visé, il ne sera sans doute pas le seul. Car c’est tout un système qui est à réformer.
Le cardiologue Bernard Lung accuse Servier d'avoir modifié son rapport
Dans une étude de 2009, un cardiologue avait démontré la dangerosité du Mediator. Etude commandée par Servier. Aujourd'hui, le médecin accuse le laboratoire d'avoir dénaturé son rapport.
Bernard Lung, professeur en cardiologie, s'explique dans un entretien à Libération. Ce spécialiste des atteintes des valves cardiaques a été rémunéré 5.000 € par le laboratoire Servier pour une étude qui s'est finalement avérée démontrer "le lien de causalité entre le Mediator et les valvulopathies". Le médecin accuse aujourd'hui le laboratoire d'avoir modifié son rapport lors de sa présentation, afin d'éviter le retrait du Mediator.
Une modification sur la dernière diapositive
"Initialement, je devais rendre un rapport écrit. Puis le laboratoire m'a demandé de le présenter à l'Afssaps", explique-t-il. Et de poursuivre : "J'avais écrit que vu le signal fort [de toxicité], une surveillance échocardiographique des patients traités au benfluorex était adéquate [...] sur la dernière diapo." C'est seulement le jour de la présentation de l'étude que Bernard Lung se rend compte que sur cette diapo, a été ajouté : "Les propositions du laboratoire sont adéquates."
Une conclusion qui ne "correspondait pas à son sentiment". Pour autant, il n'y prête pas attention, tout "focalisé sur les chiffres" qu'il était. "Ça peut poser la question de savoir si les experts ne devraient pas être mandatés directement par l'Afssaps", conclut le médecin. Contacté par Libération, Servier n'a pas souhaité réagir.
L'étude fatale réclamée en... 1999 !
Toujours aucune trace de l'étude réclamée par l'Agence européenne du médicament en 1999, et effectivement proposée par les laboratoires Servier en 2001. Il existe pourtant de troublantes similitudes avec une autre étude dévoilée... en 2009. Celle qui fut fatale au Mediator !
Où est passée l'étude évoquée par les laboratoires Servier dans un courrier adressé en février 2001 à une représentante de l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps) ?
Aujourd'hui encore, personne ne sait ce qu'est vraiment devenue cette étude réclamée par l'Agence européenne du médicament deux ans plus tôt, en 1999, à la suite des inquiétantes révélations d'une étude italienne sur la toxicité potentielle du Mediator. Ce matin, lors d'un appel quelque peu surréaliste, les laboratoires Servier nous indiquaient, enfin, rechercher "activement" la trace de cette étude...
Encore Irène Frachon !
Il existe pourtant de troublantes similitudes (durée d'un an, et surtout existence du volet échocardiographique *) avec une autre étude des laboratoires Servier qu'on voit apparaître... en 2009 (étude Regulate). Selon les informations que nous avons pu collecter, cette étude portant sur 840 patients débute en janvier 2006. Elle dure un an. Il faut pourtant attendre encore deux ans et demi pour que les résultats commencent à être dévoilés.
Un peu par hasard
Et de quelle manière ! Irène Frachon, la pneumologue du CHU de Brest qui s'est battue pour faire interdire le Mediator, apprend presque par hasard son existence, "en avril ou mai 2009". "J'avais sollicité des confrères des CHU de toute la France pour savoir si, comme moi, ils rencontraient des cas suspects liés à la prise de Mediator. Un confrère de Lyon prend contact avec moi et m'informe que l'un de ses collègues a été chargé par les laboratoires Servier de conduire une étude internationale sur le benfluorex (la molécule du Mediator).
Celui-ci ignorait tout des suspicions d'atteintes des valves cardiaques. Les laboratoires Servier l'avaient rassuré à ce sujet un an plus tôt... L'étude qu'il conduisait ne prévoyait pas une étude fine des valves du coeur. Ce qui a finalement été pris en compte par la cardiologue chargée de l'étude échocardiographique. Mais il a fallu insister pour que l'Afssaps réclame les résultats", rapporte Irène Frachon.
L'incroyable réunion du 29 septembre
L'étude est évoquée pour la première fois lors de la réunion de la commission nationale de pharmacovigilance de l'Afssaps du 7 juillet 2009. Un représentant des laboratoires Servier est présent, et informe la commission que "l'étude est en cours d'analyse". Ses résultats "seraient disponibles début 2010" !
La commission, malgré la présentation très inquiétante qu'Irène Frachon a dressée quelques minutes plus tôt, se prononce, par 16 voix contre deux et deux abstentions, "en faveur de l'attente des résultats de l'ensemble des études en cours avant de proposer d'éventuelles mesures" !
Des résultats stupéfiants
La commission n'attendra finalement pas début 2010. Le 29 septembre, les résultats de l'étude tombent. Et ils sont stupéfiants : en un an, près d'un patient traité au benfluorex sur sept (13,33 %) présente des fuites aortiques anormales au niveau des valves cardiaques. "C'était un signal fort", explique dans une interview accordée au magazine en ligne Theheart.org, le 13 décembre dernier, la cardiologue qui a mené l'étude, le Pr Geneviève Derumeaux, par ailleurs présidente de la Société française de cardiologie.
Dix longues années
Cette fois-ci, la commission de pharmacovigilance entend bien le "signal" et juge "le profil de tolérance du produit inacceptable". Le 24 novembre, le directeur général de l'Afssaps suspend l'autorisation de mise sur le marché du Mediator. Il aura fallu dix longues années pour avoir la preuve de la dangerosité du Mediator et connaître la vérité.
Avec au final, cette question posée par l'expert de l'Afssaps que nous sollicitions hier : "Combien de morts auraient pu être évitées si, comme prévu, l'étude avait été conduite en 2001, comme annoncée par les laboratoires Servier ?"
(*) Le protocole de l’étude proposée en février 2001 par les laboratoires Servier comporte 700 patients et prévoit de comparer le benfluorex molécule du Mediator, à l’acarbose, un médicament antidiabétique concurrent. Celle dévoilée en 2009 opposait le benfluorex au pioglitazone. Elle comportait cependant la très décisive étude échocardiographique proposée en 2001 par Servier.
Sources : l'Humanité, Le Télégramme, Libération et le Papy Mouzeot