« En politique expérimenté, Nicolas Sarközy doit se dire qu'il ne faut pas changer de stratégie en route et garder son premier cap. Quand on change de pied, c’est risqué », analyse Rama Yade. L’ancienne secrétaire d’État, qui avait quitté l’UMP en décembre en dénonçant une course après le FN, jure que le candidat peut encore inverser la tendance avec un déclic « avant le premier tour ».
« Il faut un discours de rassemblement républicain, d'unité nationale », explique-t-elle, évoquant avec nostalgie le discours d’intronisation du candidat Sarközy, le 14 janvier 2007, porte de Versailles. Il s’était alors présenté en "petit Français de sang mêlé" et avait multiplié les références historiques. « Même des gens de gauche s'étaient dit “ah ouais” ! Il sortait du classique, il personnifiait la France, il avait su rassembler tout le monde, se souvient-elle. En 2007, il avait basculé dans autre chose, c’est ce qu’il faut refaire. »
- 5. Des réserves de voix très faibles au centre
Les ténors de droite le savent, pour l’instant les reports des électeurs de François Bayrou ne sont pas assez bons. Alors, ils tentent une vaste intoxication. « Nicolas Sarkozy n’est pas dans le second tour, il est dans l’optique de virer en tête au premier. Donc son entourage raconte que Bayrou appellera à voter Sarkozy. Pécresse, Juppé, NKM, etc., expliquent dans tous les médias qu’il ferait un excellent premier ministre. C’est une bonne stratégie, car cela le vide de sa substance électorale », explique un membre de la majorité.
Pour Rama Yade, les électeurs ne sont "pas dupes". « L'enjeu n'est pas de débaucher des gens mais de convaincre les électeurs », explique-t-elle. Cela passe, pour l’ancienne secrétaire d’Etat, par « un élargissement du projet de Sarközy et une reprise d’une partie du programme de François Bayrou où tous les deux peuvent se retrouver : sur l’école, le produire en France, la lutte contre les déficits, la reconnaissance du vote blanc, la moralisation de la vie publique ».
« Nicolas Sarközy comme François Bayrou ont intérêt à un rapprochement, assure l'ancienne secrétaire d'État. Pour le président, cela permettrait d'élargir son audience pour prendre en compte les idées plus sociales, plus humanistes. Pour François Bayrou, ce serait la confirmation de son discours, du fait que Hollande n'est pas réaliste dans son programme. » D’autant, ajoute-t-elle, que le leader du MoDem « ne peut pas rester dans une posture d'isolement. Ne pas choisir, c’est prendre le même risque qu’en 2007 pour lui : 18 % et 5 ans de silence ».
- 6. Un siphonnage des voix frontistes incertain
Mais pour l’instant, cette stratégie de l’UMP – déjà tentée plusieurs fois (exemple en juillet 2011) – ne fonctionne pas. Joints par Mediapart, François Bayrou, excédé, explique que ce sont « des âneries », tandis que sa directrice de campagne, Marielle de Sarnez, dénonce une « manœuvre d'intox ». Centristes et frontistes semblent pour l'instant rester dans leurs camps. « La grande erreur de Sarkozy, c’est de ne pas avoir permis une dynamique avec une candidature Borloo au premier tour, comme celle de Mélenchon qui profitera à Hollande », analyse Dominique Paillé. « Et même s’il caresse les électeurs du FN dans le sens du poil, Marine Le Pen mise sur les législatives dans la foulée, donc elle va poursuivre sa ligne anti-sarkozyste ».
- 7. Un candidat rejeté sur le terrain
L’antisarkozysme ambiant déteint désormais sur la stratégie adoptée. Depuis les huées de Bayonne début mars, l’équipe de campagne de Sarközy communique son programme la veille pour le lendemain. Les insultes à la Réunion n’ont pas arrangé les choses. Son déplacement en banlieue, à Drancy (Seine-Saint-Denis), le 9 avril, a été tenu secret jusqu’au dernier moment. Les journalistes ont été prévenus à 10h38 par mail qu’un bus partirait du QG... à 11 heures. Par ailleurs, le candidat, qui affectionnait les longs bains de foule en 2007, les écourte en 2012. À la Concorde, la foule n’a pas attendu la fin de sa traversée pour plier bagages. Tandis qu’à Vincennes, Hollande jouait les prolongations en signant des autographes.
Sur le terrain, sortis des quartiers qui leur sont acquis, les militants de la majorité reçoivent un accueil difficile, comme Mediapart a pu le constater dans ses reportages vidéo (ici et là ou encore là). « On rame à contre-courant », nous confiait un militant, à Caen (Calvados). Le bus UMP, qui circulait dans les rues de Paris en amont du meeting de la Concorde, a lui aussi été mal accueilli. Les militants ne cachent plus leurs difficutés. Tous reconnaissent « le rejet de la personne du président », les dégâts « des premiers mois bling-bling ».
Les ténors, eux, ont trouvé leur argument, que nous résume un membre de la majorité : « L’anti-sarkozysme a toujours existé. En 2007 on s’en prenait plein la figure. Sarközy est atypique, et le pays est conservateur. » Autre pirouette, relayée abondamment à droite : cet anti-sarkozysme serait « le fait d’une élite parisienne », qui parlerait à la place de la « majorité silencieuse ». Dominique Paillé, lui, parie qu’« au second tour, ce rejet va s’amplifier ».
- 8. Pas de projet concret
« Ce sera projet contre projet », ont répété tous les ténors de la majorité pendant des mois. Mais depuis que son candidat est déclaré, l’UMP ne fait campagne ni sur son bilan – mauvais – ni sur son projet – articulé autour d'une idée phare démagogique, « redonner la parole au peuple », avec le recours au référendum pour le système d'indemnisation et de formation des chômeurs, mais aussi pour les droits des étrangers. Accusant ses adversaires de mener une campagne anti-sarkozyste, la droite se déchaîne : vagues de communiqués anti-Hollande, attaques quotidiennes contre les socialistes dans les médias. Depuis une semaine, elle agite même le spectre d’une attaque spéculative en cas de victoire du PS.
À chaque meeting, ce sont encore les mêmes gimmicks contre la gauche qui sont récités par Sarközy. À court d’arguments, le parti présidentiel met sur la table des sujets loin des priorités : l’étiquetage de la viande halal, la réforme du permis de conduire ou encore l’idée de deux ou trois débats d'entre-deux-tours – au lieu d’un. Dans Le Figaro, Nathalie Kosciusko-Morizet tente de polémiquer sur le refus du candidat socialiste de faire deux débats : « Hollande n’aime pas le suffrage universel », décrète-t-elle.
« Comme il n’y a pas de débat de fond, ce sont uniquement du casting et des effets. Sarközy avance son discours à la Concorde pour doubler Hollande. Il agite les peurs, en prédisant la même menace que Giscard en 1981 avec les chars russes sur les Champs-Elysées. C’est ridicule et ça ne fait pas un argument de campagne ! » dénonce Dominique Paillé. L’ancien porte-parole de l’UMP regarde avec dépit dans le rétroviseur : « En 2007, l’antisarkozysme était moins important car Sarközy avait un vrai projet, il était le candidat de la rupture, il affichait un dynamisme créatif et il avait face à lui une candidate ni crédible, ni soutenue par son parti. Aujourd’hui, il n’a aucun projet concret, il a un bilan lourd à porter mais qu’il ne sait pas vendre. Il s’en prend violemment à Hollande alors que celui-ci ne suscite aucune antipathie. »
- 9. Un bilan mal défendu
À écouter dirigeants, élus et militants, le bilan ne serait « pas si mauvais » étant donné « les quatre années de crise ». Mais beaucoup estiment qu’il n’a été ni « valorisé » ni « défendu ». Chez les radicaux, plus critiques, même constat. « On doit mettre plus en avant son action contre la crise, pense Rama Yade. Sarközy a beaucoup réformé, mais le problème c’est qu’il n’y a pas toujours eu de service après-vente des réformes. Certaines réformes ont été trop vite oubliées, les esprits n’ont pas eu le temps d’en être imprégnés. Et les polémiques (les Roms, la déchéance de la nationalité, etc.) n’aident pas beaucoup à les retenir. »
- 10. Une multiplication d'affaires
Affaires Karachi, Takieddine, Wœrth-Bettencourt, liens noués avec le dictateur libyen Kadhafi, ou, plus récemment, mystère autour du financement de son appartement de l'île de la Jatte. Jamais un président sortant, dès son premier mandat, n’a été cerné par autant d’affaires, entre financement politique et enrichissement personnel. Des affaires qui ont plombé son mandat et empoisonné sa campagne.
Sources : Mediapart