Première papyrodie de l'année 2012 : l'affaire Karachi refait surface...
Replongeons dans cette affaire longtemps boudée par les médias qui avait été dévoilée par Bakchich Info dès 2008 puis investiguée plus en détails par Mediapart. Aujourd'hui nous sommes matraqués par ce dossier via l'ensemble des médias presse, TV, Internet et que Libération utilise pour régler ses propres comptes avec L'Express ou inversement au sujet d'un scoop qui n'en n'est plus un !
Chers messieurs Decouty et Barbier, il aurait fallu vous réveiller un peu plus tôt afin de relayer le travail colossal fournit par Edwy Plenel et son équipe de téméraires sur ce dossier explosif depuis 2008. Vos querelles stériles ne contribuent pas à grandir votre profession.
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Menayas vu par Pavel K. |
Suite à la mise en examen de l'ancien ministre Renaud Donnedieu de Vabres d'anciens noms qui avaient été enterrés refont surface dont celui de Gérard-Philippe Menayas, ancien directeur administratif et financier de la branche internationale de la Direction des Constructions Navales, celle-là même qui a vendu en 1994 au Pakistan des sous-marins Agosta. Interrogé le 2 décembre par le juge Renaud Van Ruymbecke, l'ancien haut fonctionnaire fait de nouvelles révélations et confirme que le ministre du Budget au moment des faits ne pouvait ignorer qu'il existait des rétrocommissions : « Il est clair que le ministère du Budget a nécessairement donné son accord pour la création de Heine. Vu l'importance du sujet, cette décision ne pouvait être prise qu'au niveau du cabinet du ministre ». A la demande du juge Van Ruymbecke qui souhaite savoir s'il a fallu le double accord du ministre de la Défense (à l'époque François Léotard) et de celui du Budget, Gérard-Philippe Menayas précise : « Oui. J'ai une expérience en la matière, ayant travaillé six ans à la direction du Trésor. Je n'imagine pas qu'une telle décision ait pu être prise sans l'aval du cabinet du ministre ». Le ministre du Budget à cette époque était un certain Nicolas Sarközy.
En novembre 2010, Claude Guéant, alors secrétaire général de l'Élysée, avait précisé qu'à "aucun moment", Nicolas Sarközy « n'avait eu à approuver des commissions relatives à des marchés à l'exportation, la procédure d'agrément préalable en cette matière ayant été supprimée dès le mois d'octobre 1992 ».
« Qui peut croire à une fable pareille ? »
Mais Gérard-Philippe Menayas ne s'arrête pas là et après avoir balancé les noms de Philippe Léotard et de Nicolas Sarközy, il évoque aussi le rôle de Benoît Bazire, le frère de Nicolas Bazire, alors directeur de cabinet d'Edouard Balladur à Matignon suivait particulièrement le contrat pakistanais : « Benoît Bazire (à la direction de l'armement) insistait tout particulièrement pour être informé en temps réel de tout événement lié à l'avancement de la négociation de ce contrat ».
C'est donc un "abus de biens sociaux" validé par les plus hautes autorités de l'Etat. L'enquête des juges Van Ruymbeke et Le Loire sur les ventes d'armes au Pakistan et à l'Arabie Saoudite a précisé, en décembre 2011, les responsabilités de l'ex-ministre de la défense, François Léotard, dans le choix des intermédiaires au cœur de l'affaire, et de l'ex-ministre du budget, Nicolas Sarközy, dans la gestion financière des contrats en cause.
Selon un document inédit, saisi dans les archives personnelles de l'ancien ministre Jacques Douffiagues (récemment décédé), un feu vert a bien été donné, en 1995, en pleine campagne présidentielle, par le ministre du budget d'alors afin d'apporter la garantie de l'Etat à l'office d'armement Sofresa dans la vente des frégates saoudiennes. Ce contrat, baptisé Sawari 2, promettait le paiement de 213 millions d'euros aux intermédiaires Ziad Takieddine et Abdul Rahman El Assir, soit 8 % du marché. Des commissions jugées illégitimes et aujourd'hui qualifiées d'abus de bien sociaux par la justice.
Le 30 mars 1995, dans un courrier adressé à l'office d'armement Sofresa par le ministre de la défense, François Lépine, le directeur de cabinet de François Léotard, souligne « la nécessité de mettre en place dans les plus brefs délais, un dispositif financier permettant aux autorités saoudiennes d'effectuer le premier paiement prévu au titre du contrat d'Etat à Etat Sawari II ».
Ce dispositif qui doit enclencher les paiements saoudiens nécessite qu'une garantie de l'État, validée par le ministre du budget, soit apportée à l'office d'armement Sofresa pour le paiement d'une caution de bonne exécution. « Je vous confirme avoir obtenu l'accord de mon collègue du Budget sur cette solution intérimaire, et notamment sur le fait que la garantie de l'Etat vous serait accordée », annonce M. Lépine au nom du ministre de la défense, François Léotard.
Donc en réalité, les commissions étaient toujours examinées par le ministre du budget, qui statuait sur leur déductibilité. Les pots-de-vins étaient en effet alors déductibles de l'impôt sur les sociétés.
Un ancien dirigeant de la DCN a répété à la justice que le système de paiement des commissions, mis en place en 1994, pour le contrat des sous-marins pakistanais, ne pouvait pas non plus échapper au contrôle de Bercy. Notamment la société écran luxembourgeoise Heine, créée de toutes pièces pour faire transiter les commissions d'un montant de 133,2 millions de francs en février 1995.
« Il est clair que le ministère du budget a nécessairement donné son accord pour la création d'Heine, vu l'importance du sujet, cette décision ne pouvait être prise qu'au niveau du cabinet du ministre », a certifié Gérard-Philippe Menayas au juge Van Ruymbeke, dans un procès verbal du 2 décembre révélé par le Nouvel Obs et repris lundi par Libération.
M. Menayas assure que « la mise en place de la structure Heine n'a donc pu se faire qu'avec le double accord des deux cabinets du ministre du budget et de celui de la défense ». Précisant le contrôle exercé par l'Etat sur la DCNI - les ministères de la défense, des finances et du budget sont représentés à son conseil d'administration -, l'ancien directeur de la DCN explique qu'il a aussi obtenu « au niveau des déclarations fiscales », « l'accord de la direction générale des impôts (Bureau CF3) pour payer les commissions ». Et par conséquent l'accord du ministre du budget pour la déductibilité des pots de vins de la DCN.
Entendu le 6 juillet 2011, l'ancien commissaire du gouvernement des sociétés d'exportation d'armement, Philippe Bros, avait lui aussi pointé le rôle de Bercy dans sa déposition: « Pour ce type de contrat, le rôle du ministère des finances est important, notamment pour le bouclage des financements. Un bureau spécialisé donnait son feu vert pour le versement des commissions ».
Voici, pour preuve, deux liasses fiscales du contrat Agosta :
La version officielle de François Léotard sur son rôle auprès des intermédiaires est elle aussi désormais fragilisée par l'enquête des juges. « J'ai reçu M. Takieddine au ministère parce qu'on me disait que c'était mon devoir », avait-il déclaré au juge Marc Trévidic, en janvier 2011, en assurant ne pas avoir gardé « de souvenir précis » des réunions. « A aucun moment il n'a été question d'argent, a-t-il déclaré. J'ajoute qu'à la fin, la totalité des ministres étaient favorable à ce contrat ».
« François Léotard connaissait Ziad Takieddine et l'a reçu » a déclaré Renaud Donnedieu de Vabres aux juges Renaud Van Ruymbeke et Roger le Loire, le jour de sa mise en examen, le 15 décembre. L'ancien ministre des affaires européennes puis de la culture, ex-chargé de mission chez Léotard à la défense, avait déclaré précédemment ne pas se souvenir de sa première rencontre avec les intermédiaires. « Je ne me souviens plus de la manière dont je les ai reçus. Etait-ce à la demande de M. Léotard ? Je ne m'en souviens plus », avait-il dit, en novembre 2010. « Je l'ai connu par l'intermédiaire de M. Léotard, déclare-t-il le 13 décembre. Il me le présente comme un vecteur très direct vis à vis de l'Arabie saoudite [...] C'était une période où de nombreux interlocuteurs ont frappé à la porte du ministère de la défense et d'autres ministères, a indiqué M. Donnedieu de Vabres, le 15 décembre. L'important est, à ce moment-là, la vérification de l'utilité potentielle. Ziad Takieddine a évoqué devant le Ministre la connaissance qu'il avait d'un certain nombre de personnalités qui pouvaient être utiles à la conclusion de ces contrats ».
Selon un autre témoin, le choix de Ziad Takieddine comme intermédiaire semble découler de la nomination de Jacques Douffiagues, ancien ministre et membre du parti républicain, à la tête de l'office d'armement dédié à l'Arabie saoudite, la Sofresa. Jacques-Yves Gourcuff, l'ancien directeur général adjoint de cet office d'Etat, a souligné, lors d'une audition en septembre 2011, que M. Douffiagues était arrivé « sans connaissance ou compétence de la vente d'armes, de l'exportation et des pays arabes ».
« J'avais rencontré M. Takieddine parce qu'il était venu dans ce système avec M. Douffiagues, mi 1993 (...) après les élections législatives, a déclaré M. Gourcuff. L'arrivée de Douffiagues constitue un changement de stratégie de la part de Sofresa, qui était jusqu'alors non impliquée dans la politique. A mon avis, les seules personnes qui savent et qui connaissent le fonctionnement sont M. Léotard et M. Donnedieu de Vabres ».
« Je n'ai pas négocié le montant de l'enveloppe, ni la répartition, a précisé M. Donnedieu de Vabres aux policiers le 13 décembre. Je me doutais qu'un certain nombre de personnes allaient toucher des commissions, dont M. Takieddine. Par contre, je ne savais pas par quel biais, ni le montant qu'ils allaient percevoir ».
L'ancien collaborateur de M. Léotard n'a pas été plus bavard sur les missions même informelles qu'il a pu exercer au sein de l'équipe de campagne d'Edouard Balladur. « J'étais le représentant de François Léotard, mais je n'avais aucune fonction opérationnelle. Je continuais à travailler au ministère de la défense », a-t-il expliqué.
Comme on le sait, le second contrat accordé aux intermédiaires par le gouvernement Balladur, celui des sous-marins pakistanais Agosta, a également donné lieu à des pressions sur les industriels.
Questionné sur ce point, M. Donnedieu de Vabres a fait un tout petit pas vers la vérité, le 13 décembre. A la question des policiers « Estimez-vous avoir imposé à la DCNI Messieurs Ben Moussalem, Al Assir et Ziad Takieddine, dit le réseau K ? », Donnedieu de Vabres a timidement répondu : « Comme intermédiaire bénéficiant de contrat non. Comme personne utile par les informations, c'est tout à fait possible ».
Le commissaire divisionnaire a insisté : « Comment se fait-il que M. Takieddine, alors qu'il est étranger au milieu de l'armement et n'y a jamais travaillé, peut-il devenir incontournable et être un intermédiaire indispensable pour les contrats de ce niveau ? ». « Ce n'est pas un franco-français, a répondu, évasif, Donnedieu de Vabres. Les liens qu'il avait avec des personnalités, MM. El Assir et Ben Moussalem (ses associés, ndlr) ont été reconnus utiles. Je ne sais pas comment il les avait rencontré ni quand ».
Entendu le 13 décembre et mis en examen par les juges, l'ancien président de la DCN, Dominique Castellan, s'est montré très précis sur l'intervention du cabinet Léotard.
« Courant 1994, j'ai été convoqué un jour par M. Donnedieu de Vabres qui m'a dit qu'il y avait des blocages sur le contrat. Il m'a demandé de prendre contact avec M. Takieddine. J'ai confié cette mission à M. Aris (alors vice-président de la DCNI) en lui demandant de rencontrer M. Takieddine et de discuter avec lui ».
Selon M. Castellan, il ne s'agissait pas d'un ordre formel mais d'un conseil insistant. « J'aurais été fou de ne pas prendre en considération ce conseil qui venait du cabinet du ministre », commente-t-il.
« J'ai une deuxième fois été convoqué au cabinet du ministre par un autre conseiller qui m'a fait part des instructions de M. Donnedieu de Vabres d'arrêter de tergiverser et de signer l'accord avec M. Takieddine sur ses dernières bases ». Cette fois, c'était un ordre.
M. Castellan comprend que le réseau "recommandé par Donnedieu de Vabres" est connecté "au niveau politique le plus haut" au Pakistan, à savoir Asif Ali Zardari, le mari de Benazir Bhutto, premier ministre de l'époque. M. Zardari est aujourd'hui le président du Pakistan. « Mais ce que demandait M. Takieddine était trop élevé par rapport à ce qu'il apportait », confie l'ancien patron de la DCN. M. Castellan semblait donc déjà envisager la mise en place par ses autorités de tutelle d'un système de détournement de fonds.
« Si on perd le triple A, je suis mort ! »
S'il est battu lors de la présidentielle, le monarque ne coupera pas à une convocation dans le cabinet du juge Renaud Van Ruymbeke.
[à suivre : Les fonds secrets ont bien été mobilisés pour la campagne de Balladur]
Source : Mediapart, BFM-tv