Comme annoncé lundi sur ce modeste beulogue, le commissaire divisionnaire de police du Nord, Jean-Christophe Lagarde, a bien été entendu cette semaine par ses collègues de l'IGPN. Après avoir passé la journée de jeudi en garde à vue, le patron de la sûreté départementale du Nord, a été mis en examen pour proxénétisme aggravé en bande organisée et recel d'abus de biens sociaux puis placé sous contrôle judiciaire depuis vendredi soir.
Ses étroites relations avec notre "Bill Clinton national", Dominique Strauss-Kahn, apportent une nouvelle dimension à l'affaire de proxénétisme de Lille qui remonte jusqu'au gratin de la politique.
Les questions de ses collègues de l'IGPN avaient porté sur les déplacements organisés à Paris avec des prostituées mais aussi sur ses trois voyages à Washington, dont le dernier du 11 au 13 mai 2011, à la veille du scandale du Sofitel de Manhattan. Jusqu'ici, cinq personnes avaient été mises en examen pour proxénétisme aggravé en bande organisée dans cette affaire, dont le propriétaire du Carlton, Hervé Franchois, son directeur Francis Henrion, et son chargé des relations publiques René Kojfer ainsi que le responsable d'une filiale du groupe de BTP Eiffage, David Roquet, écroué depuis la semaine dernière et mis à pied par son entreprise depuis hier. Seul l'avocat Emmanuel Riglaire a été laissé libre.
René Kojfer affirme que le commissaire a réservé pour quelques-uns de ses amis des "chambres avec cadeau", c'est-à-dire des prostituées, au Carlton et à l'hôtel des Tours à Lille... Plus embarrassant, le policier aurait participé lui-même à des soirées tarifées, notamment avec Dominique Strauss-Kahn quand il était patron du FMI. Voire les aurait coorganisées avec David Roquet, le directeur de la filiale d'Eiffage.
La veille, mercredi 19, c'est un autre protagoniste du dossier et son ancienne compagne qui ont été déférés après leur garde à vue. Fabrice Paszkowski, gérant de société pharmaceutique, est présenté comme l'homme qui aurait mis en contact DSK avec les autres membres du groupe. Un intermédiaire efficace, investi en politique, à gauche, ami de la famille Mellick et qui aurait lui aussi participé aux parties fines, à Paris et à Washington. Fabrice Paszkowski a aussi été mis en examen pour proxénétisme, abus de biens sociaux, association de malfaiteurs et escroquerie et a été placé en détention provisoire. Son ex-compagne Virginie Dufour, a été mise en examen pour proxénétisme aggravé en bande organisée et escroquerie mais laissée libre, elle aurait financé les billets d'avion par le biais de sa société d'événementiel.
La justice s'était penchée sur leur cas à propos du réglement des frais liés à ces voyages outre-Atlantique à trois reprises entre décembre 2010 et mai 2011 à Washington, auxquels a participé le commissaire Lagarde et comprenant des rencontres avec l'ex-directeur du FMI.
La Voix du Nord a affirmé que des jeunes femmes, présentées comme des "secrétaires" d'Eiffage pendant le premier voyage, les accompagnaient lors de ces escapades.
Eiffage a indiqué dans un communiqué qu'il se "réserve d'utiliser toutes les voies de droit pour faire en sorte que son image ne soit pas mise en cause au titre d'actes individuels qu'il condamne fermement".
Il serait reproché à ces chefs d'entreprise d'avoir participé au montage financier permettant de régler les frais liés à des soirées avec des prostituées à l'hôtel Murano à Paris, auxquelles auraient participé Jean-Christophe Lagarde et Dominique Strauss-Kahn.
Voici ce qu'a expliqué ce directeur d'une filiale du groupe de BTP Eiffage dans le Pas-de-Calais à propos des rendez-vous organisés à Paris :
« En fait, c'est Fabrice Paszkowski qui m'a dit qu'on avait l'occasion de déjeuner avec monsieur Strauss-Kahn et qu'il apprécierait que je ramène des copines, en fait des prostituées ». La première rencontre aurait eu lieu en mars 2009, d'abord au restaurant L'Aventure (un club restaurant proche de l'Étoile) où les protagonistes auraient commencé à avoir des relations sexuelles avant de poursuivre leurs ébats dans un hôtel luxueux du boulevard du temple, le Murano. Deux autres rendez-vous ont lieu début et fin 2010, toujours au Murano.
L'une de ces scènes est ainsi décrite par le chef d'entreprise : « Je suis allé avec Jade, une prostituée que René Kojfer, m'avait fait connaître. Il y avait Fabrice et Jean-Christophe Lagarde. On s'est retrouvés à la gare et puis, à quatre, nous sommes allés sur Paris. Nous nous sommes rendus dans un hôtel, l'hôtel Murano. Nous avons mangé dans la chambre puis nous avons eu des relations sexuelles tarifées. Chacun était avec sa copine, moi j'étais avec Jade, DSK avait aussi sa copine et il y avait d'autres personnes ».
A la question des policiers : « Est-ce que M. Strauss-Kahn a payé quelque chose ?
– Non, il était invité, répond David Roquet.
– Il était invité mais il venait avec une copine ?
– Oui ! »
Si les faits étaient établis, ils pourraient constituer de l'abus de bien social, et donc du recel d'abus de bien social pour les bénéficiaires. La société de Virginie Dufour aurait, elle, pris en charge les billets d'avions de plusieurs déplacements à Washington auxquels auraient participé David Roquet, Jean-Christophe Lagarde et Fabrice Paszkowski. Trois voyages ont été relevés par les enquêteurs : en décembre 2010, février 2011 et du 11 au 13 mai 2011, soit la veille du samedi 14 lorsque le patron du FMI sera arrêté à New York.
La veille de l'arrestation et incarcération de Dominique Strauss-Kahn à New York. Les policiers ont saisi le passeport de David Roquet avec ses visas et un billet d'avion retour. David Roquet a affirmé que les billets d'avion ont été réservés à chaque fois par son ami Fabrice Paskowski, via l'agence événementielle de sa compagne, Virginie Dufour : « C'est sa société qui avançait l'argent, et ensuite elle établissait une facture ; c'est pareil avec Fabrice : il organisait, il prenait la moitié des frais et me disait ce qu'il me restait à charge [...] Je tiens à préciser que le prix de chaque nuit était de 1 200 euros la nuit, et cinq chambres étaient réservées ». La filiale d'Eiffage, Matériaux enrobés du Nord, aurait réglé une large partie de l'addition : entre 12.000 et 15.000 euros. Économe sur les deniers de son entreprise, David Roquet prenait, dit-il, des billets ordinaires et non business.
Billets de train, d'avion, boissons, déjeuners, dîners... « Au dos des factures, j'indiquais DSK et le nombre de personnes présentes », a ajouté David Roquet, précisant que cela se faisait "avec l'aval de son patron". Le salarié a également expliqué que certaines sociétés "dépensaient des dizaines de milliers d'euros pour manger une fois avec un conseiller général ou un ministre", afin de promouvoir leur activité.
À David Roquet, les policiers demandent encore :
« Comment étaient organisées ces soirées ?
Réponse du responsable du BTP :
– En fait, on calait nos agendas pour organiser ces soirées.
– Qu'est-ce qui a motivé leur organisation ?
– C'est Fabrice qui m'a fait connaître M. Strauss-Kahn. J'étais fasciné par ce dernier et Fabrice m'avait dit qu'il le connaissait très bien. Je voulais savoir si c'était vrai et donc c'est parti comme ça et les soirées se sont organisées. Mais ces soirées ne m'ont jamais rien amené.
– Cela a ramené quelque chose à Fabrice ou à Jean-Christophe ?
– Non, absolument rien ».
Les éventuelles contreparties de ces "cadeaux" sont évidemment l'un des volets de l'enquête.
Deux hôtels, le Carlton et l'Hôtel des Tours, propriété de M. Henrion, devaient être fermés sur ordre des juges vendredi après-midi, mais sont restés ouverts. Constatant la présence de clients dans l'après-midi, la police judiciaire a indiqué qu'elle référerait au juge d'instruction d'une "obstruction à la justice", selon un employé.
Tout a démarré avec l'arrestation de Dominique Alderweireld dit "Dodo la saumure", proxénète de son état, tenancier de maisons closes, jusqu'à 11 établissements répartis tout au long de la frontière, de Tournai, en passant par Courtrai, Renaix, Péruwelz, Mons, jusqu'à Couvin. Dans le collimateur de la justice depuis l'année 2000, le maquereau officiait aussi comme "indic" depuis les années 1980. Persuadé d'être à l'abris de la justice, croyant être protégé par des grands pontes de la police lilloise qu'il avait corrompu, Dodo la saumure est allé beaucoup trop loin. Jusqu'à inviter les médias pour inaugurer son "Smoke Havanas" en 2010 ("restaurant" fumeur avec carte de membre), vite rebaptisé Le Low Cost, la carte de membre n'étant plus nécessaire. Puis brusquement tout s'accélère avec l'arrestation en Belgique de Dominique Alderweireld, alias ainsi que de Béatrice, sa compagne, qui dévoilera un réseau de prostitution hôtelière d'envergure internationale.
Vient ensuite l'implication policière et le rôle supposé du divisionnaire Lagarde, ancien adjoint du commissaire Neyret, tombé récemment pour trafic de stupéfiants à Lyon, dans le réseau. Pour un avocat, familier du dossier, la bande cherchait notamment à compromettre des policiers dans ces soirées coquines. Plusieurs fonctionnaires, tel Menault, auraient compris le piège. En toile de fond, la traditionnelle guerre des polices était vive à Lille, PJ et Sûreté voulant chacune à étendre sa zone d'influence. La Sûreté, effectifs gonflés à 80 hommes, aurait fini par agacer. La franc-maçonnerie fait aussi partie du décor, la plupart des noms mentionnés se retrouvant au Grand Orient mais pas toujours dans la même loge.
L'apparition du nom de Dominique Strauss-Kahn n'a fait qu'amplifier l'affaire. Le nom de l'ancien patron du FMI revient souvent dans les écoutes mises en place début 2011. Notamment dans la bouche de René Kojfer, "chargé des relations publiques du Carlton" sur sa carte de visite mais surtout vieille connaissance de Dodo la saumure. Parties fines dans la capitale, escapades à Washington alimentaient les conversations. Des bavardages et des vantardises, qui, ajoutés au rapport du patron de la Sécurité publique du Nord, avaient sans doute fini par provoquer un peu de bruit à Paris.
Source : Le Point