Depuis le pavé jeté dans la marre au cochons par Mathilde Mathieu (Mediapart, article payant) qui a dénoncé une pratique féodale utilisée notamment par François Grosdidier qui finançait sa propre association en tapant dans sa "réserve parlementaire", le site OWNI.fr en partenariat avec la ligue Anticor a enquêté pour percer les mystères de cette fameuse "réserve parlementaire".
La "réserve parlementaire" (financière) est une pratique apparue en 1973 sous la présidence de Georges Pompidou. Depuis cette date, et sans discontinuer, le gouvernement laisse chaque année à la discrétion du président de la Commission des Finances de chacune des deux chambres, une certaine masse de crédits, destinés à permettre aux parlementaires de financer des projets dans leur circonscription. Chaque année donc, une "réserve parlementaire" est attribuée aux parlementaires, de manière très opaque, par la Commission des Finances (environ 100 millions d'euros pour l'Assemblée nationale et 50 millions pour le Sénat), qui est ensuite redistribuée soit directement par la Commission des Finances, soit par le président du groupe politique du député. La dotation de cette réserve est très variable selon les députés et peut être nulle pour les nouveaux membres du Parlement, ou aller jusqu'à 110 000 euros par an. L'utilisation de cette réserve est à la seule appréciation des parlementaires. C'est "un pouvoir de subvention donné aux élus" (comprendre un privilège républicain) comme l'a déclaré Frédéric Lefebvre, ancien conseiller pour les relations avec le Parlement de Nicolas Sarközy au ministère de l'Intérieur. Elle sert notamment à financer des projets municipaux mais ne peut servir qu’à des travaux n’ayant pas encore commencé et ne peut excéder 50 % du montant total du projet. A noter que ces subventions à titre grâcieux ne peuvent théoriquement pas se combiner avec celle d’un autre parlementaire du département. Rappelons qu'en application de l'article 26 de la Constitution, le député, comme le sénateur, bénéficie d’un régime d’immunité parlementaire.
En résumé, c'est un principe aberrant qui favorise bien entendu le clientélisme sans que les parlementaires aient l’obligation de publier l’utilisation qui a été faite de ces fonds avec l'argent de nos impôts.
Le journaliste politique et indépendant Sylvain Lapoix associé à Pierrick Prévert (Secrétaire général d'Anticor) se sont efforcés de rendre une liste publique des subventions attribuées via ces enveloppes de fonds publics opaques afin d'en dénoncer les abus car comme vous allez pouvoir le constater quelques députés indélicats versent des subventions à des associations dont le Président n’est autre… qu’eux-mêmes !
Dans son article tonitruant intitulé "LES 150 MILLIONS ÉGARÉS DE LA RÉPUBLIQUE" publié sur OWNI.fr, Sylvain Lapoix, nous explique comment chaque année 150 millions d'euros échappent à la publication du budget et donc à tout contrôle de la Cour des Comptes.
En approfondissant cette liste Sylvain Lapoix lève quelques lièvres intéressants, il cite notamment une organisation du nom de "Mouvement Initiative et Liberté" qui a perçu une "enveloppe" de 50 000 euros, en 2011. Contacté par OWNI, ce mouvement n'a pas souhaité répondre aux questions sur la "réserve parlementaire".
Vous croyez vraiment que je vais répondre à une question pareille ? — C’est votre droit. Et pensez-vous que je puisse avoir des détails sur le statut du Mil vis-à-vis de l’UMP ? — Il faut aller voir sur le site |
Après vérification sur le site en question OWNI a découvert que le MIL est un "parti associé à l'UMP" et qu'à ce titre il peut disposer de représentants dans son bureau politique. 50 000 € d’argent public ont donc été attribués, en 2011 et en toute discrétion, à un club politique disposant de ses entrées au sein du parti majoritaire à droite.
130 000 euros versés à l’Association de développement durable du Territoire Maures laquelle a pour président Jean-Michel Couve, député UMP de la 4è circonscription du Var. Cette association aurait pour objectif la rédaction d’un Schéma de développement durable du tourisme, un thème qui semble tenir à cœur à Jean-Michel Couve puisqu’il est aussi secrétaire nationale en Charge de l’Hôtellerie-restauration et des Loisirs de l’UMP.
10 000 € entrés dans les caisses du Lion’s Club de Conflans-Montjoie dont son président, Claude Ney, est directeur de cabinet chez Arnaud Richard, député UMP des Yvelines (lire l'article du Journal des deux rives).
En épluchant les 1243 lignes du fichier, OWNI a pu identifier un montant à peine supérieur à 10 millions d’euros, soit un quinzième du montant de la réserve. Il reste 140 millions d'euros qui sont encore intraçables, peut-être dispersés dans la nature ! Déterminés à participer au comblement de notre déficit les journalsites d'OWNI se sont donc adressés succéssivement vers l’Assemblée, le ministère de l’Économie et le ministère de l’Intérieur afin d'obtenir des réponses à deux questions très simples :
Existe-t-il une base compilant les montants de la réserve parlementaire ?
Existe-t-il un interlocuteur pour nous parler du système ?
Pour toute forme de réponse voici ce que le site OWNI a obtenu : sujet “trop technique” et que les auteurs des “Jaunes” (les annexes) ne répondaient “jamais aux journalistes, ne cherchez pas”, d'après un fonctionnaire du Trésor. Circulez y'a plus rien à voir !
Comme le signale Sylvain Lapoix dans son article : "L’analyse de ce fichier et ses insuffisances imposent cependant quelques constats : les sommes utilisées de façon discrétionnaires le sont parfois dans des cadres qui recoupent clairement la définition du conflit d’intérêt. Quand ce n’est pas le cas (comme pour l’écrasante majorité des bénéficiaires), il s’agit de subventions pour des missions d’intérêt général (aide à l’emploi, l’enfance, l’éducation, l’insertion, etc.) normalement prises en charges par les collectivités ou l’État et donc de circuits détournés d’aide publique. Lesquels donnent parfois lieu, comme c’est le cas pour le député Grosdidier, à des détournements à des profits politiques".
Engagée depuis de nombreuses années dans la lutte anticorruption, l’association Anticor tente d’alerter sur le sujet.
Sur la réserve parlementaire, notre action vise surtout à la mobilisation et à l’information. À l’occasion des dernières législatives, nous avons fait signer la charte Anticor des engagements des candidats à la députation qui engage ses signataires à, notamment, “mettre un terme à la pratique féodale de distribution opaque et inéquitable de la réserve parlementaire”.
Pierrick Prévert |
Claude Bartolone, nouveau président de l’Assemblée, avait cependant affiché son intention de réformer le système en promettant notamment de publier des données (lire le paragraphe "Quelle réforme envisagez-vous pour la réserve parlementaire ?" sur le site acteurspublics.com). En fait il a donné comme instruction aux parlementaires socialistes que de limiter l’enveloppe et de respecter les délais administratifs, ainsi que d’éviter les petites subventions.
Quelques oublis notoires (réserve parlementaire, programme 122) figurent aussi dans le rapport Jospin (ci-dessous) ce que déplore Pierrick Prévert dont l'association Anticor n'a pas été sollicitée au sein de la Commission de "rénovation" et de "déontologie" de la vie publique.
Chaque petit pas est encourageant, et ces propositions vont incontestablement dans le bon sens mais il est très difficile de s’enthousiasmer tant elles sont en demi-teinte. Le rapport Jospin a 10 ans de retard. Il préconise la fin du cumul avec un mandat exécutif local. Sur le même sujet, la position d’Anticor qui n’est pas franchement révolutionnaire est : interdiction du cumul dans le temps (pas plus de deux mandats successifs), interdiction du cumul avec des mandats exécutifs, mais aussi avec des fonctions exécutives. |
Je pense qu'il serait temps, non pas d'intégrer la Cour des comptes au sein de l'Assemblée nationale comme cela vient d'être enfin admis, mais qu'il est plus que nécessaire, d'adjoindre un collectif totalement indépendant constitué d'un collège de citoyens tirés au sort chaque année avec pourquoi pas des membres de l'association Anticor, tel le jury qui officie aux Assises, afin de passer à la loupe toutes les dépenses de nos parlementaires et de tous les élus dans leur ensemble.
En appliquant "l'austérité" dans cette direction les citoyens auraient une solution bien plus économique et plus équitable pour participer à la réduction des dépenses de l'État plutôt que d'envisager de prochains licenciements et des baisses de salaire des véritables travailleurs de notre pays.
"Dans l’attente d’une démarche d’Open Data sur les montants attribués et dépensés dans ce cadre, qui nous apparaît comme la seule démarche logique quant à l’usage des deniers de l’État, Owni s’associe à Anticor pour inviter les citoyens à nous aider dans notre exploration des données déjà collectées".
Un formulaire est mis à la disposition de tous afin de signaler des liens dont chacun aurait connaissance entre une association bénéficiaire et un parlementaire ainsi que la source sur laquelle il s’appuie.
Pour lire l'article complet de Sylvain Lapoix et accéder au formulaire concernant l'usage de la réserve parlementaire cliquez ici : LES 150 MILLIONS ÉGARÉS DE LA RÉPUBLIQUE
Sources : @dam blog alteretcætera, OWNI.fr, Anticor