Des documents récemment révélés montrent les tactiques douteuses de la multinationale Suez pour combattre les partisans d’une gestion publique de l’eau. Un cabinet de conseil en communication percevait même un bonus s’il arrivait à convaincre les élus des bienfaits de la privatisation.
Comment les multinationales de l’eau parviennent-elles à influencer l’opinion publique et à faire pression sur les élus politiques ? Comment Suez ou Veolia mènent-elles la bataille contre les partisans de la gestion publique de l’eau ?
Des documents révélés parMarianne2montrent à quel point les multinationales sont prêtes à tout pour garder ou gagner des contrats d’exploitation. Le site Internet a publié des contrats passés entre la Lyonnaise des eaux (filiale du groupe GDF-Suez) et le cabinet de conseil en communication Vae Solis. Son rôle ? Lancer une campagne de communication pour décrédibiliser Gabriel Amard, président de la communauté d’agglomération Les Lacs de l’Essonne, et ses efforts pour émanciper cette collectivité locale de la tutelle des multinationales de l’eau.
Secrétaire national du Parti de gauche, Gabriel Amard a orchestré le retour en gestion publique du service de l’eau des Lacs de l’Essonne (regroupant les communes de Grigny et de Viry-Châtillon), à compter du 1er janvier 2011. Celui-ci était auparavant délégué à Veolia dans le cadre du Sedif (Syndicat des eaux d’Île-de-France). L’accord convenu à cette époque obligeait la nouvelle régie à acheter son eau en gros à la Lyonnaise des eaux, situation à laquelle Gabriel Amard et ses soutiens souhaitaient ouvertement mettre fin. Pire encore pour Suez : Gabriel Amard n’hésite pas à s’afficher en première ligne dans le débat politique sur la gestion privée de l’eau, parcourant la France pour soutenir les collectivités locales qui envisagent une remunicipalisation de leur service. L’élu a soutenu activement en mars 2012 le Forum Mondial Alternatif de l’Eau (FAME), organisé en opposition au Forum officiel promu par Suez et Veolia.
45 000 euros de bonus en cas de revirement politique
Un premier contrat, conclu entre la Lyonnaise et Vae Solis, détaille une stratégie de communication dirigée contre Gabriel Amard et la régie publique des Lacs de l’Essonne. Un des outils de cette campagne : Le blog "Mon Viry Nature" (fermé depuis peu), présenté comme l’initiative personnelle d’un simple habitant "gagné par le virus de l’écologie", mais en réalité alimenté par Vae Solis, sur la base d’enquêtes sur les principaux centres d’intérêts environnementaux des Franciliens. Autres modes d’action suggérés : l’organisation de rencontres confidentielles avec des élus, la rédaction d’argumentaires à destination des divers "opposants" aux projets de Gabriel Amard, ou encore l’encouragement à la "médiatisation spontanée" du sujet.
Derrière la façade "communicationnelle", c’est bien de lobbying qu’il s’agit. Avec un objectif précis : empêcher que la nouvelle régie municipale des Lacs de l’Essonne ne s’approvisionne à partir de 2013 auprès d’Eau de Paris, et non plus de la Lyonnaise. Le contrat stipule qu’aux 65 000 euros HT de rémunération forfaitaire pour l’"accompagnement" de Vae Solis s’ajoutent 45 000 euros supplémentaires en cas de "succès". Une prime si le cabinet de conseil parvient à faire changer cette décision politique...
Le lobbyiste nommé chef de cabinet ministériel
Sans doute les services de Vae Solis ont-ils donné entière satisfaction : un nouveau contrat est signé entre Vae Solis et la Lyonnaise des eaux au niveau national. Le cabinet de conseil assurera les mêmes missions de veille, d’élaboration d’argumentaires et d’organisation de rendez-vous avec des responsables politiques, pour Philippe Maillard, directeur général France de la Lyonnaise.
Antoine Boulay
Le comble de cette affaire ? Un des principaux dirigeants de Vae Solis, Antoine Boulay, spécifiquement mentionné dans les deux contrats avec la Lyonnaise et signataire du premier, est aujourd’hui chef de cabinet du nouveau ministre de l’Agriculture, Stéphane Le Foll. Il a fait partie de l’état-major de campagne de François Hollande – au moment même où il signait le contrat avec la Lyonnaise. Interrogé par Marianne2, Antoine Boulay déclare ne plus très bien se souvenir de cette mission – qui date pourtant d’il y a quelques mois seulement – et avoir décidé de "changer de vie"… Oubliés, donc, les rendez-vous entre dirigeants de Suez et responsables politiques, ainsi que le lobbying antidémocratique ?
La mort du colonel Kadhafi qui s'apparente beaucoup plus à une exécution sommaire a fait couler beaucoup d'encre et de sang. Nous avons entendu et lu beaucoup de théories, plus ou moins liées à l'exploitation pétrolière de la Libye. Cette version des faits est d'autant plus dérangeante qu'elle a été annoncée avant la mort du guide libyen.
Était-ce une prémonition ou bien l'issue logique et fatale réservée à ce dictateur qui ambitionnait de réunifier le continent africain ?
À vous de voir. Souvent la réalité n'est pas celle que l'on veut bien nous montrer...
Lors du précédent épisode nous avons pu découvrir au travers des recherches du docteur Robert Proctor comment l'industrie du tabac a construit son macabre empire commercial avec la complicité de scientifiques notamment français. Nous allons donc nous intéresser d'un peu plus près à ces français peu scrupuleux, qui vendaient leurs services aux marchands de la mort.
Keith Teel
Le 19 juin 1989, Keith Teel, avocat au cabinet Covington & Burling, écrit un mémo confidentiel à plusieurs hauts cadres de Philip Morris."Depuis un certain temps, écrit-il, nous travaillons à recruter des scientifiques français qui pourraient nous aider sur le problème de l'ETS environmental tobacco smoke, littéralement "fumée ambiante du tabac". La semaine dernière, en France, chez John Faccini, les membres de notre groupe britannique ont rencontré quatre scientifiques français qui, espérons-le, formeront (en France) le noyau dur d'un groupe de sept à neuf consultants sur la question de la qualité de l'air intérieur et de l'ETS." La rencontre qu'il y détaille a lieu chez un consultant d'origine britannique installé en France, ancien du groupe Pfizer devenu directeur de l'Institut français de toxicologie, une société privée installée à Lyon. Elle donne le coup d'envoi de la participation occulte d'un petit groupe de chercheurs français à une vaste campagne de propagande scientifique pour dédouaner le tabagisme passif de ses méfaits. Une plongée dans les documents internes que les cigarettiers américains ont depuis été contraints, par décision de justice, de rendre publics, offre un aperçu fascinant et inédit des "French connections" de cette conjuration.
Mais pour comprendre le "problème de l'ETS" qu'évoque l'avocat dans son mémo, il faut d'abord revenir en 1981. Cette année-là, le 17 janvier, le British Medical Journal publie les résultats d'une grande enquête épidémiologique montrant, sans ambiguïté, le lien entre tabagisme passif et cancer du poumon. L'étude menée par Takeshi Hirayama (Institut national de recherche sur le cancer, Tokyo) est solide. Plus de 91 000 femmes, non fumeuses et âgées de plus de 40 ans, recrutées sur l'ensemble du territoire nippon ont été suivies pendant près de quinze années : celles qui partagent la vie d'un fumeur montrent un risque de cancer pulmonaire accru, proportionnel à la quantité de cigarettes quotidiennement consommées par leur compagnon... Dans les années suivantes, une abondante littérature confirmera et renforcera ce constat.
Pour les cigarettiers, le risque se concrétise vite. Dès le milieu des années 1980, une trentaine d'Etats américains considèrent que les preuves scientifiques apportées suffisent à bannir la cigarette des lieux publics. D'où une baisse de la consommation. La réaction ne se fait pas attendre. Pour éviter la contagion, les industriels mettent sur pied un réseau mondial de ceux qu'ils nomment dans leurs documents internes les "blouses blanches" : des scientifiques secrètement rémunérés par eux comme consultants. "Le but de ce programme était d'identifier, de former et de promouvoir des scientifiques, médecins ou ingénieurs qui ne seraient pas assimilés à l'industrie par le public", expliquent Joaquin Barnoya et Stanton Glantz (université de Californie à San Francisco), deux des meilleurs connaisseurs des stratégies de l'industrie cigarettière, dans une analyse publiée en 2005 dans l'European Journal of Public Health. De fait, pour n'avoir aucun contact direct avec les cigarettiers, c'est le cabinet d'avocats Covington & Burling, mandaté par Philip Morris, qui s'occupe de recruter les "blouses blanches", de les payer, de les défrayer et de rendre compte de leurs activités.
Un mémo interne de Philip Morris, daté d'avril 1988, décrit en termes simples l'objectif du projet : "Il permettra de continuer d'utiliser l'argument selon lequel il n'y a pas de preuve scientifique convaincante que l'ETS représente un risque pour les non-fumeurs." Une autre note interne, datée de février de la même année, explique qu'il devra "disperser les suspicions de risques" - en mettant systématiquement en avant d'autres polluants de l'air intérieur.
Qui sont les "quatre scientifiques français" mentionnés par Covington & Burling dans le mémo de juin 1989 ?
Le message de l'avocat ne précise pas le nom de ces "consultants" français. Quelques mois plus tard, Philip Morris fait organiser à Montréal (Canada) un "symposium international sur l'ETS". La conférence semble d'abord un événement scientifique "normal" : elle se tient dans les murs d'une prestigieuse institution - l'université McGill - et est financée par une organisation au nom rassurant - l'Institute for International Health and Development (IIHD). La "conférence de McGill" est aujourd'hui citée comme un modèle de manipulation de la science et d'"industrie du doute".
Car non seulement l'IIHD était une organisation-écran de l'industrie du tabac, non seulement les portes de l'université McGill avaient été ouvertes par le toxicologue Donald Ecobichon, un professeur de l'institution financée par les cigarettiers, mais la totalité des quelque 80 participants étaient invités, et payés ou défrayés, par Covington & Burling. Les "tobacco documents" mentionnent parmi eux quatre Français : André Fave, présenté comme un vétérinaire sans affiliation académique, Roland Fritsch et Guy Crépat, professeurs de biologie à l'université de Bourgogne, et Alain Viala, professeur à la faculté de pharmacie de Marseille...
Comment évaluer leur rôle ? D'abord, leur seule présence sur la liste des participants contribue à donner un caractère international à l'événement, gage de crédibilité. Dans un rapport d'activité adressé à ses commanditaires, Covington & Burling se félicite ainsi que "quelque 30 scientifiques européens de sept pays différents" aient participé à l'événement. Ensuite, il s'agissait pour les quatre Français de se "former" à la rhétorique de l'industrie. De fait, dans le mémo de juin 1989, Covington & Burling déplore que les scientifiques français approchés, bien que désireux de s'investir, soient désarmés sur le terrain du tabagisme passif. Dès lors, écrivent les avocats de Covington & Burling, "nous avons pensé qu'il serait utile qu'ils échangent avec plusieurs de nos scientifiques britanniques plus avertis". Lesquels sont présents en masse à Montréal.
Quant à l'utilité de la conférence, elle ne fait aucun doute : Covington & Burling précise que le compte rendu, édité sous forme de livre, a été distribué en Europe à "des journalistes et des parlementaires". Quelque 400 copies ont été ainsi écoulées. Or les conclusions du conclave sont, bien sûr, que le tabagisme passif est "un sujet controversé", en raison "du peu de confiance dans les publications", de "l'impossibilité à conclure" du fait des "biais introduits dans les travaux sur l'ETS"... Bref, qu'il n'y a encore nulle raison d'exclure la cigarette des lieux publics. Dans les documents internes du Tobacco Institute - un think tank financé par les majors du tabac -, on trouve ainsi une lettre type exposant les conclusions de la "conférence de McGill" adressée à plusieurs dizaines de journalistes américains de la presse nationale et régionale identifiés comme "équilibrés" ou "favorables"...
Les quatre Français présents à Montréal en novembre 1989 ont continué, dans les années suivantes, à percevoir de l'argent de Covington & Burling. Et dès 1990 d'autres Français les rejoignent sur les listes de consultants dressées par le cabinet d'avocats. On y trouve Dominique Bienfait (chef du service aérolique et climatisation du Centre scientifique et technique du bâtiment), André Rico (toxicologue à l'Ecole nationale vétérinaire de Toulouse, légion d'honneur 1998), Georges Tymen (spécialiste des particules en suspension dans l'atmosphère à l'université de Brest), John Faccini (alors président de la Fédération internationale des sociétés de toxicologues-pathologistes) ou encore Jacques Descotes (aujourd'hui directeur du Centre antipoison - Centre de pharmacovigilance du CHU de Lyon)...
Seule une part des émoluments des "blouses blanches" françaises figure dans les "tobacco documents", les archives de l'industrie n'étant encore pas intégralement numérisées. Le bilan 1991 de Covington & Burling indique par exemple que les sommes offertes à chacun varient considérablement, des modiques 2 279 francs suisses (2 580 euros courants) de M. Descotes, qui n'a semble-t-il joué qu'un rôle mineur dans le dispositif, aux 46 445 francs suisses (52 584 euros courants) de M. Faccini, discrètement versés sur un compte en Suisse. La moyenne se situe sur 1991 autour d'une dizaine de milliers de francs suisses par consultant. Ces rémunérations sont toutefois très inférieures à celles des consultants britanniques dont certains sont payés jusqu'à dix fois plus.
Ces sommes ne sont pas des crédits de recherche. A quels services correspondent-elles ? Souvent, les documents ne l'explicitent pas. « J'ai été contacté, au début des années 1990, par un toxicologue britannique du nom de George Leslie qui m'a proposé de faire partie d'un groupe de scientifiques intéressés par l'étude de la pollution de l'air intérieur, raconte Jacques Descotes, seul "consultant" que les journalistes du Monde ont réussi à joindre et à faire réagir à sa présence dans les "tobacco documents". J'ai accepté, mais mon seul contact a toujours été George Leslie et je n'ai jamais eu de liens avec Philip Morris ou Covington & Burling. Je n'ai jamais été payé. Les 2 279 francs suisses dont il est question dans les documents sont vraisemblablement les frais liés aux coûts de mes participations à des conférences ».
Un courrier d'avril 1992, envoyé par George Leslie à Covington & Burling, indique toutefois que M. Descotes a facturé des honoraires pour sa présence à une conférence à Athènes (Grèce) en 1992, sans toutefois en préciser le montant. Pour ce même événement, André Rico et Alain Viala ont réclamé 4 000 francs français (830 euros courants) par jour, comme le montrent les factures qu'ils ont établies à l'intention de George Leslie... Toutes ces réunions scientifiques sur la qualité de l'air intérieur sont co-organisées par l'association Indoor Air International (IAI), dont George Leslie est le coordinateur. Les "tobacco documents" l'indiquent sans ambiguïté : tout est financé par l'argent du tabac et mis en musique par George Leslie, sous la supervision de ses maîtres. Ces conférences sont l'un des éléments-clés de la stratégie des cigarettiers pour relativiser les risques liés au tabagisme passif.
«Au début, j'avoue ne pas m'être trop posé la question de la provenance de tout cet argent qui servait à organiser ces conférences, toujours tenues dans des cadres agréables. Je n'ai appris qu'incidemment, par un autre membre du groupe, que l'argent provenait de Philip Morris, poursuit M. Descotes. Au départ j'ai imaginé que l'objectif était de constituer un réseau de taupes dans la communauté scientifique et médicale, des sortes d'agents dormants qui pourraient être "réveillés". Comme je n'avais pas l'intention d'être jamais "réveillé", cela ne me posait pas de problème. Aujourd'hui encore, je ne comprends pas l'intérêt qu'ils pouvaient avoir dans l'organisation de ces conférences sur l'air intérieur puisque aucun de nous n'était spécialiste du tabac et qu'il n'était presque jamais question de tabagisme passif...».
L'explication est simple. On la trouve notamment dans un mémo de 1990 de Covington & Burling adressé à Philip Morris, présentant une conférence à venir à Lisbonne (Portugal) : "Le centre d'intérêt ne sera pas le tabac, ce sera plutôt de montrer l'insignifiance de la fumée ambiante de la cigarette, en mettant en avant les vrais problèmes de qualité de l'air", écrit Covington & Burling. Après Montréal et Lisbonne, le cabinet se félicite, dans la même note interne, de voir venir d'autres conclaves sur le sujet, organisés ou noyautés par ses "blouses blanches" : Budapest, Hanovre, Milan, Visby, Windsor, Oslo...
Et en France ? En 1995, 1998 puis 2001, Guy Crépat et Roland Frisch (université de Bourgogne) organisent au sein de leur institution de telles conférences sur l'air intérieur. Aux côtés d'Indoor Air International (IAI) apparaissent comme co-organisateurs deux associations scientifiques sans lien avec le tabac : la Société Française de Toxicologie (SFT) et l'Association pour la Prévention de la Pollution Atmosphérique (APPA).
Mais l'organisation est sous influence. En 1995, près de la moitié des 18 membres du comité technique de la conférence sont des consultants payés ou confortablement défrayés par l'argent du tabac. En 1998, ils sont cinq sur six ; en 2001, ils sont quatre sur quatre.
Résultat ? Là encore, les scientifiques qui y participent parlent de tout ce qui peut polluer l'air intérieur - "allergènes animaux", "champignons et moisissures", "émanations des moteurs Diesel ", "virus et bactéries", "radon ", etc... sauf du tabagisme passif.
Au contraire du faux colloque de McGill, ces conférences voient la participation d'une majorité de scientifiques sans lien avec le tabac, venant simplement présenter leurs travaux. Mais en excluant ou en marginalisant le tabagisme passif, les "blouses blanches" de l'IAI - qui deviendra plus tard l'International Society of the Built Environment (ISBE) - parviennent à diluer, voire à faire disparaître les risques liés à la fumée de cigarette... Dans un mémo adressé à Philip Morris en 1990, Covington & Burling l'explique sans fard : "Nos consultants ont créé la seule société scientifique au monde qui traite des questions de qualité de l'air intérieur."
D'où le rôle des cigarettiers dans la construction de l'ensemble d'un domaine de recherche et sa perception par le public, les décideurs... et les médecins eux-mêmes ! «Jusqu'en 2005, de nombreux collègues de l'Académie de médecine, tout à fait honnêtes, me demandaient si j'étais sûr que le tabagisme passif relevait bien de la santé publique et pas plutôt de la politesse», confie le professeur Gérard Dubois (CHU d'Amiens), pionnier français de la lutte contre le tabac.
La société savante en question - l'ISBE, donc - fonde même une revue scientifique, Indoor and Built Environment. Mais là encore, les dés sont pipés. Une étude dirigée par David Garne (université de Sydney, Australie) parue en 2005 dans The Lancet a montré qu'Indoor and Built Environment publiait une large part de travaux menés par des consultants du tabac aux conclusions favorables à l'industrie. La revue valorise aussi les "blouses blanches" qui ne parviennent pas à publier dans d'autres revues scientifiques. Selon la base de données Scopus, Guy Crépat a publié cinq articles dans toute sa carrière, dont quatre dans Indoor and Built Environment. Son compère Roland Fritsch en a un total de quatre à son actif, dont trois dans la fameuse revue...
Contrôle sur le contenu de conférences, contrôle sur une revue savante : l'industrie du tabac a donc eu entre ses mains d'utiles ficelles. Mais ce n'est pas tout. En juin 1990, la panique s'empare des cigarettiers : l'Agence américaine de protection de l'environnement (EPA) vient de conclure que la fumée de cigarette est un cancérogène avéré et que 3 800 Américains meurent chaque année du tabagisme passif. Ces conclusions - provisoires - sont ouvertes aux commentaires. L'industrie active ses troupes. Comme d'autres, Guy Crépat et John Faccini se muent en lobbyistes internationaux et, sans déclarer leurs liens financiers avec les cigarettiers, soumettent chacun un commentaire très critique envers la méthodologie de l'EPA. Dans sa contribution, Guy Crépat critique les statistiques utilisées par l'agence américaine, bien que n'ayant lui-même jamais publié de travaux de biostatistiques... A l'appui de son argumentaire, il cite également, en annexe, une publication d'Alain Viala, autre "blouse blanche" française de l'industrie... De son côté, John Faccini adresse en guise de commentaire à l'EPA la version anglophone de l'un de ses articles, écrit à la demande des industriels.
Après le lobbying transatlantique, place à l'entrisme local. Certains consultants s'immiscent dans l'APPA - qui, elle, n'a aucun lien avec les cigarettiers. Cette association de médecins et de scientifiques est un interlocuteur-clé des pouvoirs publics sur les questions de qualité de l'air. Au début des années 1990, Alain Viala devient président de son comité régional PACA-Marseille. Choquée, l'actuelle direction de l'APPA dit n'avoir jamais été informée d'un tel conflit d'intérêts, mais précise que l'association s'est séparée de M. Viala voilà plusieurs années, à la suite de la découverte d'autres malversations qui se sont soldées devant la justice...
Son implication dans l'APPA et son titre de professeur donnent à M. Viala toute légitimité à s'exprimer dans la presse. Le Parisien le cite le 18 octobre 1991 : il y déclare que "les risques de cancer [dû au tabagisme passif] ne sont pas certains". A l'Agence France Presse (AFP), il assure à la même époque qu'il n'y a pas de "démonstration convaincante que l'exposition à la fumée ambiante du tabac augmente les risques de cancer chez les non-fumeurs". Le professeur de médecine Stanton Glantz, spécialiste des stratégies des majors de la cigarette, y voit "la rhétorique classique de l'industrie" et note que les termes employés par M. Viala, "fumée ambiante du tabac", sont une expression inventée par les cigarettiers.
Source : Stéphane Foucart et David Leloup - LeMonde.fr
Certains d'entre vous se souviennent encore de ce film exceptionnel de Michael Mann tiré de faits réels et intitulé RÉVÉLATIONS (The Insider). Ce film relatait l'histoire authentique du docteur Jeffrey Wigand (interprété par Russel Crowe), ancien vice-président responsable de la recherche et du développement du fabricant de cigarettes américain, Brown & Williamson Tobacco Corporation de Louisville (Kentucky). Le docteur Wigand est surtout connu pour être le premier dénonciateur des méfaits de l'industrie du tabac.
Plus qu'un film, un documentaire
Le journal Le Monde vient de publier une série d'articles qui dévoilent ce qui se trouve derrière l'écran de fumée. Le quotidien affirme qu'au début des années 80, l'industrie américaine du tabac embauchait des "blouses blanches" étrangères, notamment françaises, pour nier l'existence de liens entre le tabagisme passif et les risques de cancer. L'origine de ces recrutements remonte à 1981, où une grande enquête épidémiologique a montré le lien entre le tabagisme passif et le cancer du poumon. Dans la foulée, une trentaine d'Etat américains ont décidé d'interdire le tabac dans les lieux publics. S'en est suivi logiquement une baisse dans la consommation de cigarettes aux Etats-Unis. Pour riposter, les cigarettiers ont monté un réseau mondial de scientifiques destiné à démontrer l'invalidité de l'étude. L'industrie du tabac a donc recruté des Français dans les années 1980 pour prêcher la "bonne parole".
Stéphane Foucart
Nous allons pénétrer dans l'univers obscur des cigarettiers, qui mêle un enchevêtrement d'hommes et d'institutions devenus les rouages d'une subtile mécanique, capable d'infiltrer la culture et la science, de subvertir la médecine et de corrompre en masse. Pour nous guider à travers ce dédale machiavélique, le journaliste Stéphane Foucart du Monde s'est basé sur les travaux de Robert Proctor, historien des sciences de 57 ans, professeur à la prestigieuse université Stanford (Californie), il est l'auteur de Golden Holocaust, un livre qui paraît ces jours-ci aux Etats-Unis et qui inquiète sérieusement l'industrie américaine du tabac. Au point qu'elle a eu recours à toutes les voies légales pour tenter de mettre la main sur le manuscrit avant sa publication. Sans succès.
Qu'y a-t-il dans ce pavé de 750 pages qui trouble tant des géants comme RJ Reynolds ou Philip Morris ? Il y a leurs propres mots. Leurs petits et grands secrets, puisés dans les mémos et les messages internes, dans les rapports confidentiels, dans les comptes rendus de recherche de leurs propres chimistes, de leurs propres médecins. Le fait est peu connu en France : cette précieuse et explosive documentation - les "tobacco documents" - est publique depuis la fin des années 1990. En 1998, le Master Settlement Agreement, qui clôt les poursuites engagées par 46 Etats américains contre les cigarettiers, ne comprend pas qu'un volet financier (le versement de 250 milliards de dollars - 188 milliards d'euros - échelonnés sur deux décennies), il ordonne aussi la mise dans le domaine public des secrets de l'industrie.
Infiltration
Des millions de documents, recouvrant plus de cinq décennies, ont ainsi été exfiltrés des quartiers généraux des grands cigarettiers et confiés à l'université de Californie à San Francisco, chargée de bâtir la Legacy Tobacco Documents Library, et de mettre sur le Net ce fabuleux corpus. Treize millions de documents, soit plus de 79 millions de pages, sont déjà numérisés. De nouveaux sont ajoutés chaque jour ou presque. C'est au prisme de ces archives que Golden Holocaust tente de raconter une histoire globale de la cigarette. Robert Proctor épluche les "tobacco documents" depuis plus de dix ans. De quoi devenir paranoïaque. Entre mille autres choses, il y a découvert que le professeur qui l'a recruté à Stanford, voilà de nombreuses années, avait secrètement émargé chez les géants du tabac. Il y a aussi compris pourquoi une de ses demandes de financement avait été refusée par la National Science Foundation (principale agence fédérale de financement de la recherche américaine) : celui qui examinait les dossiers touchait de l'argent du tabac...
Tous ceux qui ont passé du temps sur les "tobacco documents" sont peu ou prou arrivés aux mêmes conclusions. Les experts de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) en ont tiré un rapport explosif de 260 pages, publié en juillet 2000, montrant comment les cigarettiers avaient infiltré leur organisation grâce à des associations écrans ou à des scientifiques secrètement payés par eux. Le tout, bien sûr, pour entraver la mise en oeuvre de politiques de contrôle du tabac. Et lors des poursuites engagées en 1999 par l'administration Clinton, en partie fondées sur les "documents", les procureurs fédéraux ont plaidé que les manufacturiers américains du tabac ont "préparé et exécuté - et continuent à préparer et exécuter - un vaste complot depuis un demi-siècle pour tromper le public".
5,5 millions de morts par an
Robert Proctor
La cigarette, ce sont d'abord des chiffres. Des chiffres colossaux. Chaque année, la cigarette tue plus que le paludisme, plus que le sida, plus que la guerre, plus que le terrorisme. Et plus que la somme des quatre. Plus de cinq millions et demi de vies emportées prématurément chaque année. Cent millions de morts au XXe siècle ; sans doute un milliard pour le siècle en cours.
Réfléchir au tabac donne le vertige et la nausée. Chaque année, il se produit suffisamment de cigarettes pour emplir 24 pyramides de Khéops. Leur combustion déposera quelque 60 000 tonnes de goudron au fond de poumons humains. On peut aussi aborder la question en se demandant ce que l'homme a inventé de plus inutilement dangereux pour lui-même : rien.Robert Proctor résume ainsi :« La cigarette, est l'invention la plus meurtrière de l'histoire de l'humanité ».
Il y a d'autres chiffres, d'autres calculs.«A chaque million de cigarettes fumées au cours d'une année, il y aura un mort prématuré dans les vingt-cinq ans qui suivent. C'est une loi qui est valable à peu près partout», constate Robert Proctor. Cette macabre règle de trois a des applications inattendues. Comme celle de savoir combien de morts ont causé les mensonges des hauts cadres de "Big Tobacco".
Maintenir la controverse vivante
Le 14 décembre 1953, les grands patrons du tabac se retrouvent discrètement à l'hôtel Plaza de New York. Quelques mois auparavant, des expériences menées sur des souris ont montré que le produit qu'ils vendent est cancérigène, ce que les médecins allemands savaient depuis les années 1920, et des journaux commencent à évoquer cette possibilité. Au terme de réunions avec le patron de Hill & Knowlton, conseiller en relations publiques, les géants du tabac se lancent dans une entreprise de propagande et d'instrumentalisation du doute scientifique qui retardera la prise de conscience des ravages de la cigarette. Il faut "maintenir la controverse vivante". Un cadre de Brown & Williamson l'écrit dans un célèbre mémo, découvert dans les "tobacco documents" : "Le doute est ce que nous produisons". Ce n'est qu'en 1964 que les autorités sanitaires américaines commenceront à communiquer clairement sur le lien entre tabac et cancer du poumon.
Dix ans de retard. «Si on décale les courbes de la consommation du tabac, c'est-à-dire si on place en 1954 le début de fléchissement constaté à partir de 1964, on voit que 8 000 milliards de cigarettes "en trop" ont été consommées aux Etats-Unis. Elles n'auraient pas été fumées si le public avait su la vérité dix ans plus tôt, explique Robert Proctor. Cela représente environ huit millions de morts dans les décennies suivantes». Les mensonges d'une demi-douzaine de capitaines d'industrie provoquant la mort de plusieurs millions de personnes ? Une fiction qui mettrait en scène une conspiration de cette ampleur serait taxée d'irréalisme ou de loufoquerie...
Tout ne commence pas en décembre 1953. D'autres manoeuvres sont plus anciennes. Le plan Marshall, par exemple. Le grand programme d'aide à la reconstruction de l'Europe dévastée par la seconde guerre mondiale a également été "mis à profit par les cigarettiers américains pour rendre les populations européennes accros au tabac blond flue-cured, facilement inhalable". Tout est là. Le "flue-curing" est une technique de séchage des feuilles de tabac qui se répand largement aux Etats-Unis à la fin du XIXe siècle, et qui permet de rendre la fumée moins irritante, donc plus profondément inhalable. Or jusque dans la première moitié du XXe siècle, on fume encore, dans une bonne part de l'Europe continentale, du tabac brun, très âcre, beaucoup moins dangereux et addictif. Car plus la fumée peut pénétrer profondément dans les poumons, plus l'afflux de nicotine dans l'organisme est rapide, plus l'addiction qui se développe est forte. Et plus les dégâts occasionnés sur les tissus pulmonaires sont importants. «Au cours de la réunion de Paris (le 12 juillet 1947) qui a mis en mouvement le plan Marshall, il n'y avait aucune demande des Européens spécifique au tabac, raconte Robert Proctor. Cela a été proposé et mis en avant par un sénateur de Virginie. Au total, pour deux dollars de nourriture, un dollar de tabac a été acheminé en Europe».
Rendre les fumeurs le plus accro possible
Le succès de la cigarette repose toujours, aujourd'hui, sur le talent des chimistes de "Big Tobacco" pour rendre la fumée plus douce, plus volatile, plus pénétrante. Les fumeurs, qui connaissent cette sensation de piquante fraîcheur aux poumons, tiennent pour naturel et normal de fumer ainsi. "Avaler" la fumée, dit-on. C'est au contraire le résultat d'une chimie pointue et compliquée. Plusieurs centaines de composés - accélérateurs de combustion, ammoniac, adjuvants divers, sucres, etc... sont ajoutés au tabac. Ils rendent la fumée moins irritante, plus inhalable. «On peut dire que la cigarette est véritablement un produit défectueux en ce sens qu'il est beaucoup plus nocif qu'il ne devrait "normalement" l'être... Il est modifié pour rendre les fumeurs le plus accro possible et cela le rend plus dangereux», explique Robert Proctor.
Parfois, ce qu'on retrouve dans les cigarettes n'a pas été ajouté par les chimistes de l'industrie, mais par les caprices de la nature. Ainsi du polonium 210. Pour des raisons non encore éclaircies, la feuille de tabac a une détestable propriété : elle fixe et concentre cet élément radioactif naturellement présent dans l'environnement à des teneurs infimes. Les "tobacco documents" montrent que, dès les années 1950, l'industrie a découvert cette vérité qui dérange. Elle ne divulguera rien. Les premières publications indépendantes sur le sujet n'interviendront qu'au milieu des années 1960...
Golden Holocaust raconte par le menu comment les cadres de l'industrie ont réagi à ce "petit souci" de qualité du produit fini. Et le luxe de détails prodigués par les "tobacco documents" fait basculer dans un univers sidérant. Dans un premier temps, les cigarettiers cherchent à se débarrasser de cet élément radioactif. Ils font mener des travaux qu'ils gardent secrets. Car les publier pourrait "réveiller un géant endormi" ("waking a sleeping giant", dans le texte), écrit un cadre de Philip Morris à son patron, en 1978, ajoutant : «Le sujet va faire du bruit et je doute qu'il faille fournir des faits».
Plusieurs solutions sont découvertes. Changer d'engrais ? Traiter les feuilles de tabac à l'aide d'un bain d'acide ? Sélectionner les feuilles les moins chargées en polonium ? Aucune de ces solutions ne sera, semble-t-il, retenue. Car résoudre ce problème ne procure pas d'"avantage commercial", selon l'expression d'un haut cadre de RJ Reynolds, consignée dans les documents. Le passage des feuilles de tabac par un bain acide, par exemple, contraindrait à une "gestion spécifique" d'effluents radioactifs. Cela coûte de l'argent.
Une forme d'esclavage
Surtout, redoutent les industriels, ce traitement pourrait affecter les propriétés chimiques de la nicotine, la rendant moins efficace à entretenir leur capital le plus précieux : l'addiction. Et puis, mieux vaut ne pas mettre sur la place publique ce problème, même si c'est pour annoncer l'avoir résolu. Dans les années 1980, Philip Morris ferme son laboratoire ad hoc. Surtout, ne pas réveiller le "géant endormi".
Quelque trente années plus tard, il dort toujours d'un sommeil de plomb. Combien de fumeurs savent qu'ils ont dans la poche un paquet de 20 tiges légèrement chargées de polonium 210 ?Combien savent qu'un paquet et demi par jour équivaut, selon une évaluation publiée en 1982 dans le New England Journal of Medicine, à s'exposer annuellement à une dose de rayonnement équivalente à 300 radiographies du thorax ? Combien savent que ce polonium 210 est responsable d'une fraction non négligeable des cancers contractés par les fumeurs ? Lorsqu'on sait, il y a quelque chose de tristement effarant à voir des militants antinucléaires griller une cigarette lorsqu'ils attendent, pour les intercepter, les convois d'oxyde d'uranium de l'industrie nucléaire ; eux-mêmes introduisent dans leur organisme un radioélément qui les irradiera de l'intérieur...
On mesure le succès d'une entreprise de propagande à l'aune de ce genre de paradoxe. Il y en a d'autres. Par exemple, le plaisir procuré par la cigarette. «C'est une pure fabrication de l'industrie, répond M. Proctor. C'est une différence fondamentale avec d'autres drogues comme l'alcool et le cannabis. La cigarette n'est pas une drogue récréative : elle ne procure aucune ébriété, aucune ivresse». Elle ne fait que soulager celui qui est accoutumé au tabac, elle le rend fonctionnel. «C'est écrit en toutes lettres dans les documents : fumer n'est pas comme "boire de l'alcool", c'est comme "être alcoolique", dit Robert Proctor. Parmi ceux qui aiment la bière ou le vin, seuls 3 % environ sont accros à l'alcool. Alors qu'entre 80 % et 90 % des fumeurs sont dépendants. C'est une forme d'esclavage».
Propagande
Pourtant, l'American Civil Liberties Union (ACLU), l'équivalent de notre Ligue des droits de l'homme, a fait campagne au début des années 1990 pour la "liberté" de fumer sur le lieu de travail. Mais il est vrai que la prestigieuse ACLU venait, elle aussi, de toucher quelques centaines de milliers de dollars de l'industrie du tabac... «Comment peut-on parler de liberté lorsque 90 % des fumeurs interrogés disent vouloir s'arrêter sans y parvenir ?». Le novlangue d'Orwell n'est pas loin. "La guerre, c'est la paix", "l'amour, c'est la haine" professait le Parti omnipotent de 1984. Dans le monde du tabac, "l'esclavage, c'est la liberté".
Et ce message fait mouche. Les adolescents voient souvent dans la cigarette une manifestation d'esprit rebelle. Convaincre qu'inféoder ses fonctions biologiques à de grands groupes industriels tient de la rébellion, voilà un tour de force marketing, dont le projet est inscrit en toutes lettres dans les "tobacco documents" : il faut vendre aux jeunes l'idée que fumer procède d'une "rébellion acceptable".
Créer de toutes pièces des réflexes mentaux dans la population, qui ne résistent ni à l'analyse critique ni même au simple bon sens, est la part la plus fascinante de cette histoire. C'est le fruit d'investissements lourds. Depuis des décennies, les apparitions des marques de cigarettes dans le cinéma hollywoodien sont millimétrées, à coups de millions de dollars. D'autres millions sont investis par l'industrie dans la recherche biomédicale académique : non pour trouver des remèdes aux maladies du tabac mais, très souvent, pour documenter des prédispositions génétiques à des maladies, attribuées ou non à la cigarette...«Des sommes colossales ont été injectées par le tabac dans la génétique fonctionnelle, au détriment des travaux sur les facteurs de risques environnementaux, dont le tabac, explique Robert Proctor. Cela crée ce que j'appelle un "macrobiais" dans la démarche scientifique. Cela contribue à développer l'idée que les maladies sont programmées en nous et qu'on n'y peut rien».
Infiltration de la culture, infiltration de la science. Il restait à Robert Proctor à en découdre avec sa propre discipline. «J'ai aussi cherché les rats dans ma propre maison», déclare-t-il. Une cinquantaine d'historiens, la plupart financés ou secrètement payés par les cigarettiers, ont formulé lors des procès du tabac des témoignages favorables aux industriels. Dans les "tobacco documents", les cigarettiers parlent de développer une "écurie" de savants. Seuls deux historiens américains, dont l'auteur de Golden Holocaust, ont témoigné du côté des malades.
L'histoire est un enjeu important, crucial même.«Aborder l'histoire d'une certaine façon, conclut le professeur de Stanford, comme, par exemple, dans cette étude présentant "les origines de la controverse du tabac dans l'Angleterre du XVIIe siècle", permet de normaliser un phénomène qui, regardé autrement, serait simplement intolérable». Il faut inscrire la cigarette comme une variable banale de l'Histoire longue pour occulter le caractère inédit de l'addiction de masse qui s'est développée depuis le milieu du siècle dernier.
Peser sur l'histoire et les sciences sociales pour fabriquer le consentement. Philip Morris a formalisé ce projet en 1987 sous le nom de Project Cosmic, un plan destiné à "créer un réseau extensif de scientifiques et d'historiens partout dans le monde", toujours selon les "tobacco documents".«Il s'agissait de recruter des savants dont les travaux ou les idées pourraient contribuer à forger une "narration" favorable aux industriels» explique Robert Proctor.
Cas pratique, parmi tant d'autres. Dans les années 1990, l'historien travaillait sur un sujet original et peu défriché : les politiques de santé publique dans l'Allemagne nazie et la guerre qu'Hitler avait déclarée à la cigarette. L'un de ses articles sur le sujet fut accepté en 1997 par le Bulletin of the History of Medicine. Mais, quelques années plus tard, la revue a refusé un autre de ses articles , cette fois sur l'industrie américaine du tabac. Lorsqu'une étude permet de nourrir un amalgame entre contrôle du tabac et totalitarisme, elle est acceptée ; lorsqu'elle dérange les industriels, elle est rejetée... Pour comprendre, dit Robert Proctor, «il suffit de regarder la composition du comité éditorial de la revue et les liens financiers de certains de ses membres avec le tabac». Les chiens de garde du Project Cosmic surveillaient les portes de la revue savante.
Contactés par Le Monde, les cigarettiers cités n'ont pas souhaité commenter les travaux de Robert Proctor.
Il signait ses pamphlets politiques sous le pseudonyme de "Mazarin"
Retour sur une période sombre du président-candidat lors de sa traversée du désert après l'élection présidentielle de 1995 qui avait vu la victoire de son ex-mentor et nouvel ennemi politique : Jacques Chirac.
En 1995 Sarközy rejoint le camp des traitres et apporte son soutien à Édouard Balladur. Il abandonne son poste de porte-parole du gouvernement pour devenir porte-parole du candidat Balladur (contrairement à ce qu'il a démenti concernant son implication dans l'affaire Karachi). Balladur, longtemps favori dans les sondages, est éliminé dès le premier tour, avec 18,58 % des suffrages. Le 5 mai, lors du dernier meeting de Jacques Chirac avant le second tour, Sarközy est sifflé et hué (ce qui deviendra une habitude par la suite). À la suite de la victoire du maire de Paris, il n'obtient aucun poste ministériel dans le gouvernement Alain Juppé, bien que ce dernier ait évoqué son nom au président. Au cours d'un bref passage à une réunion nationale du RPR, le 15 octobre 1995, il est à nouveau conspué. Débute alors une "traversée du désert" qui dure jusqu'en 1997.
Apparaissent alors dansle journal Les Échosune série de lettres intitulées "Les Lettres de mon château", correspondance fictive de Jacques Chirac, s'adressant à Edouard Balladur, François Mitterand, Dominique de Villepin ou... Nicolas Sarközy ! L'idée venait du journal Les Echos, et Nicolas Sarkozy a accepté la proposition. Parurent donc durant l'été 95 vingt-quatre lettres, signées "Mazarin".
La chronique débutait ainsi: "Depuis son arrivée à l'Elysée, Jacques Chirac a beaucoup écrit et reçu de nombreuses lettres. Tout le monde s'adresse à lui: ses amis, ses ennemis, ses proches comme ses adversaires. Un de ses fidèles homme de l'ombre et de pouvoir comme l'était Mazarin, a compilé cette correspondance historique".
En exclusivité et rien que pour vous, le Papy Mouzeot vous offre la possibilité de prendre connaissance de quinze de ces vingt-quatres lettres signées par "Mazarin-Sarközy" :
En 2004, le journal Le Monde révélait au public que "Mazarin", l'auteur mystérieux des 24 "Lettres de mon château" publiées dans les Échos n'était autre que Nicolas Sarközy. Celui-ci jugeait que neuf ans après les faits il y avait "prescription" et espérait bien que l'affaire soit enterrée. C'était sans compter sur le Papy Mouzeot qui n'hésite pas à faire les poubelles des journaux 17 ans après, pour le plaisir et l'information de tous.
Retour en 1995, la campagne électorale c'était aussi ça :
Après avoir regardé et écouté Jean-Luc Mélenchon la semaine dernière je me demandais d'où provenait une telle haine envers les banquiers. Aurait-il des problèmes dans le financement de sa campagne ? J'en doute, son programme "L'Humain d'abord" s'est commercialisé à plus de 300 000 exemplaires. A la tête du Front de Gauche il se doit de s'afficher en anti-capitaliste. Soit, mais pas de quoi justifier cette haine vorace envers la finance de haute voltige. C'est en tombant accidentellement sur un article publié sur le site du Monde.fr que j'ai enfin pu comprendre...
Un jackpot de 600 millions pour Goldman Sachs
L'opération organisée en 2001 par Goldman Sachs pour permettre à la Grèce de réduire sa dette a rapporté la somme de 600 millions d'euros à la banque américaine. Telles sont les conclusions d'une enquête de deux journalistes de l'agence Bloomberg, Nick Dunbar et Elisa Martinuzzi.
Les enfoirés, ils spéculent sur l'incapacité des pays à pouvoir rembourser leur dette !
Mais comment fait-on pour prêter de l'argent à perte qui rapporte encore plus que les intérêts de la dette elle-même ?
Ce sont deux des principaux protagonistes de la dette grecque qui ont dévoilé la recette "Goldman Sach qu'elle s'accomode à toutes les sauces".
Christoforos Sardelis, patron du bureau de gestion de la dette à Athènes entre 1999 et 2004, et Spyros Papanicolaou, son successeur jusqu'en 2010, expliquent ce qui a permis à la Grèce de cacher l'ampleur de son endettement.
La transaction consistait à échanger la dette grecque, libellée en dollars et en yens, en euros en utilisant un "taux de change fictif" permettant de réduire l'endettement de 2 %. Mais, comme le reconnaît Sardelis, ses services n'étaient pas équipés pour comprendre la complexité du contrat signé avec Goldman Sachs en juin 2001. Et imaginer qu'en quatre ans, via un produit dérivé destiné à dissimuler ce prêt, la dette ainsi contractée par la Grèce auprès de Goldman Sachs allait bondir de 2,8 milliards à 5,1 milliards d'euros.
Au moment de la signature, reconnaît Sardelis, le swap lui était apparu profitable pour son pays comme pour la banque d'affaires. A l'écouter, deux événements ont fait exploser le coût de l'opération pour la Grèce. Tout d'abord la chute du marché obligataire après les attentats du 11 septembre 2001 qui, en raison de la formule imposée par Goldman Sachs, a pesé sur les remboursements. Ensuite, le choix par la banque, en 2002, d'un nouvel indice assis sur l'inflation dans la zone euro s'est avéré dévastateur.
Autre révélation, Addy Loudiadis, la banquière de Goldman Sachs en charge de ce dossier, s'était imposée non pas en raison de ses origines grecques, mais parce qu'elle avait alerté Athènes du danger d'un contrat similaire offert par un rival en 1999 !
"Les swaps étaient l'une des techniques utilisées par bon nombre de gouvernements européens pour respecter les critères du traité de Maastricht", répond Goldman Sachs, qui affirme que l'impact combiné de ce swap a été limité à une baisse de 1,6 point de la dette publique grecque, celle-ci passant de 105,3 % à 103,7 % du produit intérieur brut (PIB).
"Pour la première fois, des officiels grecs impliqués dans le swap de Goldman ont évoqué le coût de cette transaction. Goldman n'a jamais contesté les chiffres avancés par son client", explique Nick Dunbar. En 2003, il avait révélé dans le mensuel britannique Risk Magazine le rôle joué par Goldman dans le maquillage des comptes de la Grèce.
Greg Smith ancien trader de la firme dénonce un fonctionnement "plus toxique et destructif que jamais"
Greg Smith, directeur exécutif chargé des marchés des produits dérivés en Europe, au Moyen-Orient et en Afrique pour la banque d'affaires Goldman Sachs, a cru pendant près de douze ans à l'intégrité de son entreprise. Mais aujourd'hui, il démissionne et, démarche rare dans cette institution puissante et secrète, il annonce son départ avec fracas, dans une tribune publiée mercredi par le New York Times, en dénonçant un fonctionnement de l'entreprise "plus toxique et destructif que jamais".
S'il ne dit pas grand-chose des agissements cyniques de la banque révélés lors de la crise financière de 2008, de son système d'influence (lien abonnés), de la coexistence problématique en son sein d'activités de montages financiers classiques et de spéculation immodérée, Greg Smith est inquiet pour ses clients, à tel point qu'il "n'arrive plus à regarder les stagiaires dans les yeux" lorsqu'il leur vante le travail de sa banque. Il accuse les responsables de Goldman Sachs de "mettre de côté" les intérêts de leurs clients, de les considérer comme des vaches à lait imbéciles et de ne plus chercher qu'à s'enrichir sur leur dos. Il blâme directement le directeur général de la banque, Lloyd C. Blankfein, et son président, Gary D. Cohn, pour avoir laissé s'installer cette culture, qui ne peut mener l'entreprise qu'à sa perte, selon lui : « Cela me rend malade de voir la manière dont les gens parlent d'arnaquer leurs clients. Au cours des 12 derniers mois, j'ai entendu cinq responsables différents qualifier leurs clients d'andouilles». Il accuse le groupe de se focaliser davantage sur ses bénéfices que sur les besoins de ses clients. «Pour résumer simplement le problème, les intérêts du client continuent d'être laissés à la marge dans la manière dont le groupe fonctionne et pense à gagner de l'argent [...]Des gens qui se préoccupent uniquement de faire de l'argent ne peuvent maintenir cette entreprise à flots – ou garder la confiance de leurs clients – pour encore bien longtemps ».
Les clients de Greg Smith ne sont pas des petits porteurs. Il dit avoir conseillé, au fil de sa carrière, deux des principaux hedge funds de la planète, cinq des plus grands gestionnaires de portefeuilles américains et trois des plus importants fonds souverains du Moyen-Orient et d'Asie : «Mes clients représentent un portefeuille total de plus d'un millier de milliards de dollars».
Cela ne suffit pas à faire la fierté de ce banquier "à l'ancienne", selon ses propres mots, originaire d'Afrique du Sud, ancien boursier de l'université américaine de Stanford, qui dénonce le comportement de rapace de ses collègues promus aux plus hauts postes de direction. «Aujourd'hui, si vous faites gagner assez d'argent à la firme (et si vous n'avez assassiné personne à l'aide d'une hache) vous serez promu à un poste influent».
Et de lister trois façons de grimper vite dans la maison : refourguer à ses clients des actions et des produits financiers dont Goldman Sachs cherche à se débarrasser, les pousser à investir dans des produits qui ne sont peut-être pas les meilleurs pour eux, mais qui rapporteront le mieux à Goldman Sachs, et«s'asseoir dans un fauteuil d'où vous ferez commerce de n'importe quel produit opaque et non liquide avec un acronyme en trois lettres».
Le directeur général de Goldman Sachs, Lloyd C. Blankfein
"Faire le travail de Dieu"
A quoi joue la Goldman Sachs en trahissant ses clients si l'on en croit les propos de Greg Smith ? C'est la question que s'est posé Marc Roche, journaliste économique pour Le Monde.
Perdue dans un conflit d'intérêts inhérent au casino spéculatif planétaire, pariant sur tout et n'importe quoi, obsédée par sa puissance, la super banque d'affaire américaine n'a plus d'états d'âme, avançant ses pions sur l'échiquier mondial par le truchement d'un réseau de pouvoir politique inégalé et d'un système ultra-sophistiqué de collecte et de partage de l'information.
De surcroît, la culture de cette institution, qui prétend, selon son DG, Lloyd Blankfein, "faire le travail de Dieu", a dérivé, l'amenant trop souvent à faire passer ses intérêts avant ceux de ses clients. Le recrutement des meilleurs et la pression maximum du Kill or die ("Tue ou meurs") conduisent l'institution à franchir trop souvent la ligne blanche de la morale. Qu'importe le service aux clients puisque, au nom du culte de la victoire à tout prix, tous les coups sont permis, quitte à "plumer" ces derniers pour remplir les caisses et gonfler les primes de fin d'année !
Marc Roche a raison de préciser aussi que ces critiques sont valables pour l'ensemble du secteur financier, comme l'atteste la crise des crédits subprimes de 2007-2008 ou le cataclysme de la dette souveraine. Si Goldman Sachs, aujourd'hui joli bouc émissaire des affres des seigneurs de l'argent, n'existait pas, il aurait fallu l'inventer. Après tout, les clients qui lui ont acheté des produits "pourris" n'étaient pas des enfants de choeur, mais des investisseurs sophistiqués, disposant d'équipes de spécialistes pour évaluer ce qu'on leur proposait.
Le journaliste du Monde arrive à cette conclusion : pour sortir de l'ornière, Goldman Sachs doit revenir au premier principe de sa charte, "les intérêts de nos clients priment". Pour ce faire, la banque doit se recentrer sur ses deux points forts, les activités de conseil et la gestion de patrimoine au détriment des activités spéculatives. C'est pourquoi les traders qui détiennent le pouvoir, Lloyd Blankfein et son numéro deux, Gary Cohn, doivent partir. Seule la nomination d'un banquier d'affaires traditionnel à sa tête permettra à "la Firme" de retrouver son aura.
Quoi qu'il en soit la réputation de Goldman Sachs est entachée par différentes affaires (faillite de Lehman, comptes publics grecs), dans lesquelles ses liens avec les gouvernements (aux Etats-Unis ou en Europe) sont ambigus. Les accusations de Greg Smith surviennent alors que la succession de Lloyd Blankfein est ouverte. Elles pourraient fragiliser les favoris, tels Michael Sherwood, patron de Greg Smith, et Gary Cohn, le président opérationnel, montré du doigt par Greg Smith.
Les chaînes de télévision seraient-elles des militantes de l'UMP ? A en croire les nombreux spots publicitaires partisans, diffusés sous forme de "flash info" sur quasiment toutes les chaînes d'info, on vient de dépasser le stade de l'overdose. Ce n'est plus du matraquage c'est du bourrage de crâne...
Les chaînes d'info en continu de la TNT, BFM TV et iTélé, pour ne citer qu'elles, tissent les destins électoraux en jabotant comme des perruches. Ce sont les colporteuses électroniques, sur lesquelles tablent le monarque et ses équipes pour imprimer la cadence UMP, donner le "LA" droitier en une France scotchée devant de tels postes.
La journée du 28 février fut un modèle du genre. Il y eut cette interminable visite de François Hollande au salon de l'agriculture. « Dix heures », soupirent les présentateurs et présentatrices. L'envoyé d'i>Télé sur place, Clément Meric, finira par lâcher, à 12 heures : « François Hollande progresse lentement, très lentement ». Non seulement il traînasse et nous casse notre cadence, semblent se plaindre les journalistes numériques terrestres, mais en plus il n'a rien à gagner puisque les agriculteurs votent à droite !
François Hollande en visite au salon de l'agriculture
Comme pour défier le "déjà-candidat-de-2007-président-des-riches-candidat-de-2012-du-peuple", François Hollande oppose le jet d'eau au Kärcher du "déjà-candidat-de-2007".
On joue une comédie proche d'un spectacle de marionnettes. Tel Guignol étourdi, le Corrézien s'étire entre fromages et fumier, alors que des commandos sarkozystes le canardent sans faillir : « Attention ! Hollande ! », s'écrie une partie du public. Mais que voulez-vous, la veille au soir, sur TF1, le socialiste s'est pris pour un socialiste. Il a joué avec le fisc comme avec le feu. Il a décrété que les émoluments dépassant le million d'euros par an seraient, à partir de cette somme astronomique, assujettis à un impôt doré sur tranche : 75 %. Fabuleux tour de bonneteau linguistique sur les chaînes jumelles : ce n'est plus le salaire qui devient mirobolant, mais le taux d'imposition ! Chacun voit soudain se refermer sur son mollet la mâchoire de ces horribles 75 % ! Tandis que François Hollande trace son petit bonhomme de chemin à la porte de Versailles, le voici très vite affublé d'un bonnet d'âne, ce benêt attardé parmi les charcuteries : « Hollande veut moins de riches alors que Sarkozy veut moins de pauvres », cisèle, la mine gourmande, le ministre Chatel. Le ministre Juppé, avec l'air important de celui qui se retient, parle simplement de "confiscation fiscale". Les imprécations font mouche. Trois petites phrases et puis s'en vont. Alain Juppé lâche une phrase lourde d'impression, à propos du prétendant PS : « Il rame pour suivre le flux de Sarközy ». Le message est massage, il s'inscrit, synchrone, dans ce bain bouillonnant d'infos des deux chaînes hystériques spécialisées : d'un côté le socialo ramollo qui s'égare, de l'autre le Speedy Gonzalès de l'Élysée.
Un nerveux qui s'agite en faveur des riches
Pauvre Hollande si peu enclin à changer d'époque : il patine, il « perd pied » (dixit l'UMP Éric Ciotti). Il n'a rien appris et tout oublié. Il nous appauvrit puisqu'il s'attaque aux riches. Le chroniqueur Emmanuel Lechypre, sur BFM, qui croyait exécuter à lui seul le député de la Corrèze : « ce genre de mesure coûte plus cher qu'elle ne rapporte : trop d'impôt tue l'impôt », se fait voler la vedette par Bernard Tapie, deus ex machina, Jupiter tonnant contre ces 75 % scélérats : « Quand on fait maigrir les gros, on fait mourir les maigres ». Sur la lancée de son prétendu proverbe chinois, l'ancien ministre, estampillé radical de gauche largement renfloué par la Sarkozie, poursuit sa démolition de François Hollande : « Il a lancé son venin. Être soucieux des pauvres, c'est faire en sorte que les riches restent en France pour créer de la richesse ».
Le message, itératif, est clair : nous avons besoin d'un nerveux qui s'agite en faveur des riches, garants de notre prospérité. Et que voyons-nous, de flash en flash ? Un mou qui prend son temps parmi les péquenots.
L'heure n'est pas aux pépères qui prétendent ne jamais dévier de leur route, mais aux hybrides têtes à claques qui osent tous les tête-à-queue. Regardez ce chroniqueur à l'écharpe rouge, censé, par ailleurs, diriger la rédaction de L'Express. Il étrille, à gauche (surtout) comme à droite, dans sa séquence intitulée « le zap politique ». Un agité du bocal de première, ce Christophe Barbier. Au point que l'animateur de la tranche matinale ose un suspect : « À quoi marche-t-il ? » Au rythme ambiant, pardi !
Un autre chroniqueur tente de réduire à son tour Hollande à néant, mais il aura 84 ans le 1er mars. Ça commence à se sentir. C'est Philippe Tesson. Il n'arrive pas à prononcer, ni même à repérer, le nom de Najat Vallaud-Belkacem, la porte-parole du candidat socialiste, qui eut le toupet intolérable de traiter Sarközy de « produit de contrebande imaginé par des cerveaux d'extrême droite ».
Le spectacle continue et laisse Tesson à ses hésitations. Pendant que Hollande « joue la proximité » (Clément Meric sur i>Télé), ou « esquive un lancer d'œuf » (Valérie Beranger sur BFM), Sarközy se profile sur des fronts moins folkloriques. Aux dires des chaînes jumelles, il va tout faire pour sauver Arcelor Mittal« s'il obtient gain de cause » totalement amnésiques de la promesse identique fait le 4 février 2008 à Gandrange.
Le président est absent mais omniprésent. On apprend qu'il s'est moqué du blocage des taxes sur l'essence imaginé par son rival et qu'il a vanté, en l'énergie nucléaire, une « véritable ressource alternative » – personne, bien entendu, pour persifler que le locataire de l'Élysée « joue la proximité » de l'atome : respect !
D'ailleurs les sondages volent au secours du candidat Sarközy. Mines réjouies à propos des projections concernant le premier tour : l'écart se resserre avec Hollande. Et toujours ce soupir, qui n'exclut pas un espoir encore à venir, au sujet du second tour : « Là, mauvaise nouvelle pour Nicolas Sarközy, ça ne bouge pas : 42 % contre 58 % à François Hollande ». Un peu plus tard dans l'après-midi, l'impression que, sous nos yeux, la partie s'affine : 43 % pour Sarközy et 57 % pour Hollande, selon une autre étude tout juste dévoilée...
Le président candidat se téléporte « internat d'excellence » à Montpellier, avant de tenir le «quatrième grand meeting» de sa campagne au Zénith de la ville. Il tacle Hollande (toujours enlisé au salon de l'agriculture), il « tape vite et fort » (ainsi parlait BFM). Sur le coup de 17 heures, voici le point d'orgue présidentiel à propos des 75 % d'impôts à partir de 1 million d'euros : « Improvisation, précipitation, pour tout dire amateurisme ».
Le président candidat se vante de l'exfiltration réussie vers le Liban de la journaliste Édith Bouvier, blessée à Homs, en Syrie. Puis il fait machine arrière en arguant de nouvelles contradictoires du fait d'une « situation complexe ». Ni improvisation, ni précipitation, ni pour tout dire amateurisme, bien entendu : il a de si lourdes responsabilités.
Tout est possible. Tout s'accélère. Le refrain victorieux de l'an 2007 reprend ses droits, lors de la réunion du candidat sortant avec la claque de l'UMP à Montpellier : « Faire travailler les enseignants plus longtemps en les payant davantage ! ». BFM TV c'est "Retour vers le futur".
François Hollande est sorti du salon de l'agriculture. Il y sera remplacé le lendemain par Jean-Luc Mélenchon. En ce jour ultime du mois, on trouvera le candidat du PS à Londres, nous annonce BFM. Bref, un socialiste erratique et un président sur le pont. Chacun fera son choix, en toute connaissance... objective, forcément objective ! Après ça vous continuerez de croire dans l'impartialité des médias...