Paul contre Goliath
Paul François, un agriculteur charentais, et la firme américaine Monsanto doivent s'affronter lundi devant la justice à Lyon, Paul François accusant le géant de l'agrochimie d'être responsable de son intoxication en 2004 par un puissant herbicide, le Lasso®, interdit en France depuis 2007. L'audience se tiendra à partir de 13 h 30 devant la 4e chambre civile du tribunal de grande instance de Lyon. « C'est un soulagement de voir que la justice a pris notre argumentation au sérieux, qu'un petit paysan peut faire valoir ses droits face à une multinationale », a expliqué Paul François. « À ma connaissance, c'est la première fois qu'un particulier assigne Monsanto devant la justice en France » a affirmé son conseil, Maître François Lafforgue.
Ce 27 avril 2004, le soleil chauffe sur le village de Bernac, dans le nord de la Charente. Paul François, agriculteur propriétaire de 240 hectares de grandes cultures, vient d’asperger son champ de maïs d’un puissant herbicide. Il s’apprête à attaquer le colza. La routine. Il ne reste qu’à peaufiner le nettoyage de la cuve-pulvérisateur, restée plusieurs heures en plein cagnard. Température intérieure probable : 70° à 80°C. « De quoi transformer le résidu d’herbicide en gaz toxique » dit-il aujourd’hui.
«Mon système nerveux central a dérouillé»
A l’époque, il ne se doute de rien et ne porte pas de protection. « En ouvrant la cuve, j’ai inhalé à pleins poumons. Ca sentait fort. J’ai cru que je serais bon pour une colique…» . Au lieu de quoi il se retrouve aux urgences. Perte de connaissance, insuffisance respiratoire, cœur au ralenti. S’en suivent une amnésie de onze jours et trois semaines d’hospitalisation. Six mois d’activité puis une rechute : violentes migraines, comas à répétition. Cette fois, il en prend pour cinq mois d’hôpital et neuf mois d’arrêt de travail. Il est désormais agriculteur "à mis temps", "hyperfatiguable" et sous surveillance médicale rapprochée : « Mon système nerveux central a dérouillé, j’ai les reins très fragilisés ».
A la différence de nombreux collègues, cet homme de 48 ans, père de deux enfants (17 et 20 ans aujourd’hui) a décidé de se battre. Il est doc au Tribunal de grande instance de Lyon ce lundi 12 décembre à 13h30, pour l’instruction de sa plainte contre la firme Monsanto, le géant des organismes génétiquement modifiés et des produits phytosanitaires, qu’il tient pour responsable de son mal. Une première. Et l’aboutissement d’une bataille juridique commencée en 2005 pour faire reconnaître son intoxication comme "maladie professionnelle" ; décision rendue par la Cour d’appel de Bordeaux en 2010.
«Produire simple et peu cher»
Pourtant Paul François n’a rien d’un militant du bio. Médiatisé par le film "Notre poison quotidien", de Marie-Monique Robin (sorti en mars 2011) et fondateur du collectif d’agriculteurs Phyto-Victimes, il continue d’utiliser pesticides et herbicides sur ses terres. Même s’il tente de "réduire les doses". Il justifie : « Dans les années 1980, à l’école d’agriculture, on nous disait qu’en 2000, les gens n’auraient plus le temps de manger, et qu’il fallait produire des aliments simples et peu chers. En sortant, je ne savais pas faire autrement. Et cela ne m’intéressait pas » .
Comme tout le monde, il a donc usé et abusé du Lasso®, le désherbant qui se trouvait dans sa cuve le jour de l’accident. Un produit homologué à l’époque et qui n’a été interdit en France qu’en 2007. Trop dangereux car composé pour moitié de monochlorobenzène, un solvant reconnu comme nocif par l’INRS (Institut national de recherche et de sécurité pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles). Le lien entre ce benzène et les troubles neurologiques a été mis en évidence.
«Des similitudes avec le contentieux
sur l’amiante»
« Chez Monsanto, ils connaissaient le problème depuis les années 1980 et ils n’ont rien fait », tempête Paul François. Il accuse la multinationale d’avoir laissé sur le marché français un produit déjà retiré de la vente au Canada (1985), en Belgique (1990) et au Royaume-Uni (1992). Et de ne pas avoir mentionné, sur l’étiquette, la très forte concentration en chlorobenzène, le risque associé et les protections adaptées.
« On retrouve des similitudes avec les débuts du contentieux sur l’amiante, analyse son avocat François Lafforgue. La même désinformation, la même contestation de la pathologie et du lien entre la pathologie et le produit, le fait que le produit ait obtenu une homologation injustifiée…» . La décision du juge ce lundi, si elle était favorable à Paul François, pourrait faire jurisprudence. Une autre procédure a été lancée par un agriculteur du Centre, Jean-Marie Desdions, atteint d’un myélome qui serait également attribuable à une exposition au Lasso®. Yann Fischert, directeur des relations extérieures de Monsanto, s’abstient pour l’heure de tout commentaire.
Frédéric Ferrand s'est éteint dans la nuit de samedi à dimanche. À 5h30, dans une chambre de l'unité de soins palliatifs du centre clinical de Soyaux où il avait été plongé dans un profond sommeil depuis vendredi soir. Juste avant de partir, il avait glissé une dernière requête à son père, Jacky, et à Paul François : « Pour moi, c'est foutu. Mais le combat doit continuer pour les autres ». Ce combat, c'est celui des agriculteurs et viticulteurs qui s'estiment victimes des produits phytosanitaires. C'est aussi le combat que mènent les adhérents de l'association Phyto-Victimes, dont le père de Frédéric Ferrand est administrateur et que préside Paul François. |
Source : Le Nouvel Obs, Charente Libre, Le Point