La police enquête sur une ristourne
fiscale de Jean-François Copé
Jean-François Copé n'en a pas fini avec l'affaire Takieddine. Selon un "procès-verbal d'investigation" du 12 décembre 2011, la police judiciaire enquête sur une étrange faveur fiscale accordée par le patron de l'UMP, à l'époque où il était ministre du budget (2004-2007). Les faits, évoqués en septembre dernier par Mediapart, portent sur l'effacement, en 2005, des deux tiers d'une dette fiscale réclamée par l'administration à un riche homme d'affaires franco-libanais, Gérard Achcar. Une ristourne de 4 millions d'euros, qui serait consécutive à l'intervention de Ziad Takieddine auprès du ministre. Et qui lui aurait été demandée par Nicolas Bazire.
Président des Grands moulins du Mali, mais résident fiscal en France, Gérard Achcar est en effet lié au n°2 du géant du luxe LVMH, mis en examen en septembre pour "complicité d'abus de biens sociaux" dans le volet financier de l'affaire Karachi. C'est la découverte du dossier fiscal de M. Achcar dans les archives de Ziad Takieddine qui a éveillé la curiosité des policiers de la Division Nationale des Investigations Financières (Dnif). Le 9 décembre dernier, Nicola Johnson, l'ex-femme du marchand d'armes, a été priée de livrer son explication sur ces documents.
« Je me rappelle qu'une fois Nicolas Bazire est venu voir Ziad Takieddine pour que Ziad l'aide par rapport à M. Achcar, a-t-elle ainsi expliqué sur PV. En effet, M. Achcar avait un problème avec le fisc français. Ziad a accepté d'aider M. Achcar, à la demande de Nicolas Bazire. Ziad a ensuite contacté Jean-François Copé qui était ministre du budget à ce moment-là ».
Rencontré par Mediapart le 14 décembre, Ziad Takieddine a contesté être intervenu directement auprès de M. Copé, mais il a confirmé le rôle de Nicolas Bazire.
« Un jour, M. Achcar m'a appelé et il m'a demandé rendez-vous "pour une affaire personnelle" lors d'un de ses passages à Paris,a-t-il expliqué. Il est venu me voir et m'a dit qui il était, et comment il avait su que j'existais, par M. Bazire. Il m'explique qu'il a une maison à Paris et qu'il est ennuyé fiscalement parlant. A l'époque, M. Bazire n'était plus rien et je trouvais normal qu'il ne puisse pas intervenir. J'ai dit à M. Achcar, "si vous me donnez votre dossier, je le transmettrais à quelqu'un". Et je l'ai transmis au cabinet Lefebvre (cabinet d'avocats qui défend aussi les intérêts de M. Takieddine) ».
Messieurs Achcar et Bazire sont loin d'être des inconnus l'un pour l'autre. Le fils du premier a épousé la fille du second en 2007. Et les deux hommes sont, depuis juin 2010, tous les deux administrateurs d'une même entreprise à Abidjan (Côte d'Ivoire), la Société Nouvelle de Confiserie du Vridi (SNCV).
Considéré comme mauvais payeur par le fisc français pour les années 1998, 1999 et 2000, Gérard Achcar a fait l'objet d'un important redressement fiscal au terme duquel l'administration lui réclamait 6,2 millions d'euros d'arriérés. Or, après l'intervention personnelle de Jean-François Copé, qui se matérialise par une lettre datée du 13 juin 2005 que Mediapart reproduit ci-dessous, les sommes dues ont miraculeusement dégringolé à 2,2 millions d'euros !
Une ristourne de 4 millions d'euros !
Les solutions fiscales sophistiquées proposées par M. Copé dans son courrier permettent ainsi "l'abandon des deux tiers des bases" d'imposition, comme le ministre l'écrit lui-même.
Après les promesses, les actes : les diligences de l'administration fiscale ne se feront guère attendre. Dans un courrier du 24 octobre 2005, la directrice divisionnaire de la Direction Nationale des Vérifications de Situations Fiscales (DNVSF), Marie-Aimée M., détaille à Gérard Achcar la liste de tous les rectificatifs auxquels son service doit se soumettre, quatre mois après l'intervention personnelle du ministre du budget dans ce dossier.
Dans leur PV d'investigation du 12 décembre dernier, les policiers de la DNIF notent ainsi que "concernant les revenus de capitaux mobiliers pour les années 1998, 1999 et 2000, on constate que conformément au courrier de M. le ministre du budget, sur les revenus émanant de la société Sopra, seuls 10% sont à retenir [...] On constate également, poursuivent-ils, que sur les revenus notifiés émanant de la société Hilda Finance, 0% sont à retenir pour l'imposition". Il n'est pas inutile de préciser que ladite société Hilda Finance est domiciliée dans les îles Vierges britanniques, un paradis fiscal.
Les policiers relèvent encore que "de la même manière, sur les revenus notifiés concernant les plus-values sur cessions de valeurs mobilières, seuls 10% sont à retenir pour les revenus de la société Sopra et 0% pour la société Hilda Finance". Au bout du compte, la ristourne fiscale obtenue par M. Achcar après l'intervention de Jean-François Copé s'élève à 4 millions d'euros, sur un redressement de 6,2 millions d'euros.
Cette grâce n'est pas pour déplaire à l'avocat de Gérard Achcar, Me Richard Foissac, qui est aussi celui de Ziad Takieddine. « Je vous confirme que l'examen de votre dossier par les services de Monsieur le Ministre n'a pas été vain en ce que certains chefs de redressements ont été soit annulés soit modifiés, se réjouit Me Foissac dans un courrier envoyé à son client le 10 novembre 2005. La lettre reçue de Mme Maire-Aimée M., directrice divisionnaire à la DVNSF, le démontre aisément ».
En septembre dernier, Gérard Achcar avait soutenu à Mediapart : « Je ne connais pas M. Takieddine. Je ne sais pas comment il a eu accès à mon dossier. Il n'est pas intervenu. Mon dossier a suivi la procédure. J'avais deux avocats au cabinet Lefebvre. Sur les conseils de Me Foissac, nous avons écrit au ministre. Et M. Copé a répondu qu'il y avait effectivement quelques anomalies dans mon dossier ». De son côté, un porte-parole de Jean-François Copé affirme que celui-ci n'a fait que suivre l'avis des services de Bercy.
Jean-François Copé et Ziad Takieddine © Mediapart
Les liens Copé/Takieddine au cœur de l'enquête
Depuis le début de l'affaire Takieddine, Jean-François Copé peine à s'expliquer sur ses liens avec le marchand d'armes. Il soutient n'avoir jamais eu de relations autres qu'amicales avec lui. Leur rencontre s'est pourtant nouée en 2002 au moment où M. Takieddine approchait les milieux gouvernementaux avec plusieurs projets de contrats avec l'Arabie saoudite et le Moyen-Orient.
Jean-François Copé était alors le porte-parole du gouvernement et ministre des relations avec le parlement, avant de rejoindre Nicolas Sarközy comme ministre délégué à l'intérieur. C'est Thierry Gaubert, ancien conseiller du monarque alors chargé de mission auprès de M. Copé, qui les présente.
Durant cette période, comme Mediapart l'a déjà raconté, Jean-François Copé s'est vu offrir plusieurs voyages et des croisières sur le yacht La Diva de Ziad Takieddine. La comptabilité du marchand d'armes garde d'ailleurs la trace d'un avoir de 19.000 euros au profit de la famille Copé, en avril 2004. Ziad Takieddine a également été l'organisateur d'un déplacement officiel de Jean-François Copé à Beyrouth, en octobre 2003.
M. Copé a continué de profiter de toutes ces faveurs lorsqu'il est devenu ministre du budget, en 2004. Et durant toute cette période, son généreux ami est parvenu à dissimuler son patrimoine, estimé à 100 millions d'euros, au fisc français.
Les couples Copé, Takieddine et Hortefeux devant la Diva
« Je l'ai invité avec sa famille une semaine par-ci, une semaine par-là, l'été, et une fois à Beyrouth, indique Ziad Takieddine, qui plaide lui aussi l'amitié. Un jour à Saint-Tropez, quand il était chez nous au cap d'Antibes, je lui ai offert une Rolex pour son anniversaire. Je savais qu'il aimait les montres ».
Cette relation privilégiée entre le marchand d'armes et l'actuel patron de l'UMP a continué d'attirer l'attention des enquêteurs après la découverte d'un compte ouvert au Crédit suisse de Genève par la sœur de M. Copé. Les policiers n'excluent pas l'hypothèse que ce compte ait été ouvert pour servir de compte de "passage" à d'éventuels versements de Ziad Takieddine à Jean-François Copé.
Source : Mediapart