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Erick Bernard

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7 mai 2011 6 07 /05 /mai /2011 18:23

J'ai découvert, ou redécouvert, ces derniers jours, cette lettre ouverte que Alain Bihr destine à ses amis libertaires.

 

Elle a ses spécificités, mais je pense que son contenu concerne tous ceux que l'Appel pour des Assises du communisme considérait comme constituant la famille communiste, sans exclusive.

 

Dans ma « Tribune libre » de « Rouge Midi », j'ai déjà publié le texte de Alain Bihr : « Actualiser le communisme » qu'il évoque.

 

Je pense fortement que l'ensemble de ces préoccupations et propositions demeure d'une très grande actualité.

 

C'est dans cet esprit que j'ai pensé utile et nécessaire de publier à nouveau ce texte.

 

Cordialement,

Michel Peyret.

 

 

 

Publiée le mercredi 16 janvier 2008

 

 


  LETTRE OUVERTE À MES
CAMARADES LIBÉRTAIRES
 

 

Chers camarades,

Quelques-uns d’entre vous me connaissent personnellement, parce que nous avons déjà eu l’occasion de nous rencontrer. D’autres, plus nombreux peut-être, me connaissent par l’intermédiaire du bulletin À Contre-Courant, dont je suis l’un des membres fondateurs et l’un des animateurs, ainsi que par mes publications. D’autres encore, sans aucun doute les plus nombreux, ne me connaissent pas. Il est donc nécessaire que je me présente rapidement à eux.

Depuis que je me suis intéressé à la politique, soit depuis mon adolescence, je me suis toujours revendiqué du communisme libertaire. Y ont contribué aussi bien mon grand-père maternel, militant cégétiste, que mon prof de philo, qui m’a fait connaître simultanément les mouvements anarchiste et conseilliste, mais aussi ce que la tradition marxiste avait pu produire de penseurs antiautoritaires, le tout dans les années suivant immédiatement mai-juin 1968. La lecture précoce de La Révolution inconnue de Voline m’a vacciné à jamais contre toute espèce de léninisme, sans que pour autant cela m’empêche de trouver dans Marx des instruments conceptuels irremplaçables pour la compréhension critique du monde contemporain et la lutte pour sa transformation dans le sens de l’abolition de tout rapport d’exploitation et de domination de l’homme par l’homme. Depuis, comme d’autres (je pense en particulier à Daniel Guérin), j’ai constamment évolué sur une ligne de crêtes entre marxisme et anarchisme qui m’a permis d’entretenir des rapports de dialogue (quelquefois vif) mais aussi de camaraderie (allant parfois jusqu’à l’amitié) avec des membres d’organisations qui, pour leur part, s’ignoraient ou se rejetaient mutuellement.


À la seule évocation du nom de Marx, certains d’entre vous sont peut-être déjà enclins à ne pas en écouter davantage. Toutes les dérives autoritaires et totalitaires qui ont ensanglanté l’histoire du marxisme ne sont-elles pas déjà contenues dans l’œuvre de Marx même ? Le goulag n’est-il pas déjà à l’horizon des conflits entre marxistes et anarchistes qui ont fait éclater l’Association internationale des travailleurs ? L’auteur du Capital n’est-il pas un indécrottable étatiste doublé d’un dogmatique enfermé dans son scientisme économiste ?


Les idées reçues à propos de Marx sont aussi nombreuses, fausses et stupides que celles… communément répandues à propos de l’anarchisme et des anarchistes. Elles signent une ignorance qu’elles contribuent du même coup à entretenir. Marx étatiste ? Mais c’est tout simplement oublier que Marx débute sa carrière intellectuelle et politique par une critique radicale des Principes de la philosophie du droit de Hegel et, notamment, de la section consacrée à l’État, qui le conduisent à dénoncer dans l’État une figure de l’aliénation humaine qui est à abolir en tant que telle. Une intuition de jeunesse qu’il ne remettra jamais en cause. Car Marx est un antiétatiste conséquent. Dès ces mêmes textes de jeunesse, il comprend que le principe de la division et de l’opposition entre société civile et État est à chercher dans la société civile elle-même, que si l’État s’érige au-dessus de la société jusqu’à constituer un organe qui la parasite, c’est que cette société se divise et s’oppose en elle-même ; en un mot que la racine de l’aliénation étatique est dans la division de la société en classes mais aussi en individus privés (propriétaires privés) et que l’on ne peut pas espérer mettre fin à l’État sans abolir aussi ce qui donne naissance aux divisions de la société en classes sociales, soit précisément la propriété privée (des moyens de production), dans laquelle l’État plonge ses racines. Pour Marx, l’anarchie est indissociable du communisme. Et, en ce sens, je soutiens après Maximilien Rubel que Marx est bien un penseur de l’anarchie, qui plus est un penseur qui prend le pari anarchiste (celui d’une société sans État ni pouvoir politique séparé) au sérieux en allant jusqu’à la racine socioéconomique de l’aliénation politique.


Marx économiste scientiste ? Mais a-t-on seulement prêté attention au sous-titre du Capital, qui a constitué le titre de tous les manuscrits qui lui ont servi de brouillon : « Critique de l’économie politique » ? Par quoi il faut entendre non pas une critique de la seule économie politique comme représentation (science) mais encore une critique de l’économie politique comme monde fétichiste : comme monde à l’envers, dans lequel les produits du travail humain, sous forme de marchandises, d’argent, de capital, s’autonomisent à l’égard des producteurs, échappent à leur contrôle, à leur volonté, à leur conscience même et les dominent et les écrasent de tout leur poids de rapports sociaux réifiés, au point où les hommes se prosternent devant eux comme devant des puissances surhumaines. Une critique destinée à abolir l’économie politique : à mettre fin non seulement au règne de la marchandise, de l’argent et du capital, donc au travail aliéné, mais au travail tout court, au règne de la rareté et de la nécessité.


Marx dogmatique ? Mais qui se donne la peine (le mot est à prendre dans tous les sens) de lire Marx y découvre tout… sauf un marxiste, si l’on entend par là quelqu’un qui professe un dogme ou qui répète un ensemble de principes théoriques ou politiques intangibles. L’œuvre de Marx, que des générations de marxistes ont canonisé et dogmatisé, n’a rien d’un monument achevé. Bien au contraire, c’est et cela reste un immense chantier, ouvert au cours d’une existence de recherches, de travaux, de luttes, résultat d’un trajet qui n’a rien eu de linéaire et qui a vu se succéder des projets divers, certains relativement aboutis, d’autres laissés en plan, d’autres encore à peine esquissés. Avoir voulu faire de cet immense chantier un système définitif et clos sur lui compte sans doute parmi les plus monstrueuses entreprises de falsification de toute l’histoire de la pensée.

Tout est-il dans Marx ? Évidemment non, pas plus que dans Proudhon, Bakounine, Malatesta, Kropotkine ou d’autres. Imaginer qu’il puisse exister un homme, quel qu’il soit, qui ait réponse à tout est tout simplement antagonique de toute démarche révolutionnaire. Ni dieu ni maître… à penser, telle doit être seule devise ! La seule manière d’être fidèle à Marx, ce n’est certainement pas de le répéter mot à mot, c’est de se remettre au travail sur le chantier qu’il a ouvert, de l’élargir et de l’approfondir dans d’autres directions et vers d’autres horizons que ceux conçus par lui, et de continuer à faire fonctionner les matériels et matériaux qu’il nous a légués pour en éprouver l’efficacité, quitte à en constater les limites, voire la caducité. Autrement dit, le seul usage légitime de Marx est de le confronter au monde actuel, aux exigences nées de son intelligence critique et de sa transformation dans un sens émancipateur.

C’est dans cet esprit que, fin 2000, j’ai rédigé un long texte intitulé « Actualiser le communisme » qui est paru, en plusieurs livraisons dans À Contre-Courant avant d’être repris par la revue Carré rouge. J’y ai avancé quelques éléments d’analyse et d’argumentation en faveur de la thèse selon laquelle, contrairement aux apparences, le communisme, entendu au sens du mouvement qui abolit l’ordre social existant en tendant à instaurer les conditions d’une communauté humaine universelle, réconciliée avec elle-même et avec la nature, est plus que jamais d’actualité. Ce texte a suscité la discussion au sein du groupe publiant Carré rouge et des camarades helvétiques qui animent le site À l’Encontre. De ces discussions est né le projet d’un travail collectif destiné à poser et tenter de résoudre tous les problèmes théoriques et politiques soulevés par l’affirmation de l’actualité du communisme. Un texte général d’orientation a été adopté destiné à préciser les attendus du projet et les principaux axes autour desquels nous aimerions développer ce travail [1]. Il me semble que ce projet devrait tout particulièrement vous intéresser ; et le but de cette lettre ouverte est de vous en convaincre.


Le texte d’orientation en question se conclut par les lignes suivantes :

« Au terme de ce texte, on aura compris que nous souhaitons faire en sorte que s’associent au travail que nous engageons toutes celles et tous ceux, quelle que soit leur trajectoire politique antérieure, qui se reconnaissent dans la référence au communisme ou qui perçoivent que son appropriation ou réappropriation, au travers d’une mise à jour, est devenue une nécessité politique incontournable ».

Cette ouverture se fonde notamment sur la conviction qu’avec la crise sans précédent dans laquelle le mouvement ouvrier a été plongé par la transnationalisation du capital, la déferlante des politiques néolibérales, la fin du “compromis fordiste” et le ralliement honteux ou tapageur des social-démocraties et des “eurocommunistes” au paradigme néolibéral, l’effondrement politique du “socialisme d’État”, après son effondrement idéologique, nous sommes entrés dans une nouvelle phase historique de la lutte des classes. Elle rend possible mais aussi nécessaire une remise en cause des divisions et des clivages hérités des phases antérieures du mouvement ouvrier. Tout simplement parce que la phase nouvelle rend caducs (bien que de manière différentielle et inégale) tous les modèles de transformation sociale précédemment élaborés au sein ou en marge de ce mouvement. Elle en manifeste les insuffisances et, du même coup, elle relativise leur opposition ».

Elle rend donc possibles des convergences et des coopérations auparavant improbables, voire impossibles entre individus, groupes, organisations, tendances issues de traditions du mouvement ouvrier qui s’étaient jusqu’alors au mieux ignorés, quand ce n’est pas sévèrement combattus. À la condition évidemment que ces derniers fassent leur le constat précédent de cette caducité (au moins partielle) de leurs modèles antérieurs et qu’ils acceptent du même coup d’entretenir un rapport critique à leur propre tradition. »


Notre projet s’adosse donc d’abord à la conviction que, pour toutes les raisons précédemment énoncées, nous sommes en train de changer d’époque historique ; et que ce changement fait obligation à tous ceux pour qui la référence au communisme, au sens précédemment entendu, continue à faire sens d’œuvrer ensemble au travail d’analyse et de réflexion qu’exige aujourd’hui cette référence – et cela quelles que soient et leur trajectoire politique antérieure et leur éventuelle affiliation politique actuelle. Sous peine tout simplement de n’être pas (ou plus) à la hauteur des exigences du combat pour l’émancipation sociale et de compromettre, peut-être définitivement, la référence au communisme en question.

En effet, face au discrédit actuel de tous les projets de transformations révolutionnaires, face à la faiblesse des luttes et des organisations des opprimés partout dans le monde, face à la puissance croissante conquise par le capital sous ses différentes formes et ses instruments étatiques de domination, face aux immenses défis que nous lance la « mondialisation » de l’emprise de ce même capital et de ses États sur les conditions naturelles et sociales d’existence de l’humanité, emprise dont le caractère mortifère est sans cesse plus évident ainsi qu’en témoigne la crise écologique planétaire, face aux menaces grandissantes de conflits militaires (y compris nucléaires et bactériologiques) entre les différents systèmes continentaux d’États en formation pour l’accès aux ressources naturelles, penser qu’est suffisante la simple reproduction de vérités supposées éternelles et de formes d’organisation et de lutte supposées indémodables parce qu’éprouvées est tout simplement suicidaire. Se contenter de répéter l’acquis, quel qu’il soit, c’est se condamner à l’inintelligence sur le plan théorique et à l’impuissance sur le plan pratique.


Sous ce rapport, le repli dogmatique de certains individus, groupes ou organisations se réclamant de l’anarchie et se contentant de la sempiternelle répétition des mêmes slogans et des mêmes principes – sans se donner la peine de les confronter sérieusement aux problèmes que soulèvent aujourd’hui la compréhension critique du monde et la lutte pour le transformer, parce qu’ils pensent que les principes en question contiennent déjà toutes les réponses auxdits problèmes – est l’exact pendant du sectarisme de certaines organisations de tradition marxiste. Comment peut-on prétendre pouvoir révolutionner le monde quand on n’est pas prêt à révolutionner les principes selon lesquels on entend penser le monde et agir sur lui ?


Font aussi bien partie de cet acquis, qu’il faut aujourd’hui réinterroger, les divisions entre marxistes et anarchistes, héritées de l’expérience des conflits au sein de la Ire Internationale, de la répression de la commune de Cronstadt et du mouvement makhnoviste par le pouvoir bolchevique, de la liquidation des communes anarchistes aragonaises par les staliniens dans l’Espagne républicaine, etc. – pour en rester à l’évocation rituelle des accusations portées par les milieux libertaires contre les marxistes. Mais, si la dénonciation des crimes marxistes reste légitime, si plus généralement il faut continuer à souligner le désastre économique, politique et moral des réalisations historiques du marxisme et s’interroger sur ce qui, au sein même des principes marxistes, a rendu possibles ces crimes et ce désastre, ne faut-il pas, du même mouvement, s’interroger de manière tout aussi critique sur l’échec historique de l’anarchisme : sur son incapacité à infléchir durablement le mouvement historique dans le sens de ses propres principes ? Au regard des exigences passées aussi bien qu’actuelles de la lutte pour la réalisation du communisme, la vertu impuissante est-elle préférable aux échecs de pouvoirs intrinsèquement viciés ?


Les lignes précédentes n’ont nullement pour but de clore le débat sur les acquis (ou ce qui passe pour tel) des uns et des autres, leur valeur et leurs limites respectives ni, bien moins encore, de distribuer bons et mauvais points. Bien au contraire, elles visent à convaincre que ce débat doit et peut s’ouvrir aujourd’hui, dès lors que l’on se convainc que personne ne peut précisément en rester à ses acquis. Elles visent aussi à situer le niveau auquel il convient de placer le débat : loin de la polémique stérile, loin de la répétition rituelle des accusations et anathèmes réciproques, qui cachent souvent la paresse intellectuelle ou la simple peur de voir remises en causes ses convictions, il s’agit de se confronter ensemble aux problèmes que soulève aujourd’hui la référence au communisme et, dans le cadre de cette confrontation, d’interroger nos points de convergence aussi bien que nos points de divergence. Sans occulter ou éviter les seconds sans doute, mais sans négliger ou sous-estimer les premiers non plus.

C’est ce qu’a commencé à faire le texte d’orientation précédemment mentionné. Dans ce texte, un lecteur inspiré de principes libertaires trouvera sans peine l’écho de certaines au moins de ses convictions et préoccupations. Sans vouloir les reprendre tous, je mentionnerai cependant quelques-uns des éléments de ce texte qui me paraissent particulièrement significatifs de la distance prise par ses rédacteurs à l’égard de ce marxisme dogmatique et fossilisé que des générations d’anarchistes ont subi et combattu et qui font que ce texte ne devrait pas leur rester étranger.


Ainsi en va-t-il en premier lieu de la définition liminaire qui y est donnée du communisme, dont le passage suivant au moins devrait retenir l’attention et susciter l’intérêt d’un lecteur libertaire :

« Une société dans laquelle l’administration de la puissance sociale (au sens de la capacité de la société à agir sur elle-même : de se donner à elle-même ses propres finalités, ses propres règles d’organisation et de fonctionnement et ses propres modalités de contrôle) prend, aux différents niveaux de l’organisation sociale, la forme d’organes de délibération et de décision associant l’ensemble des membres concernés par les décisions à prendre, et excluant toute monopolisation de celles-ci par une minorité, fût-elle “éclairée”. Cela suppose de mettre fin à un État qui s’érige au-dessus de la société, et son “absorption” dans des organes d’auto-institution démocratique de la société, car ce sont les conditions nécessaires à sa complète subordination ».


Pareille formulation tourne en effet délibérément le dos au fétichisme de l’État qui a caractérisé le marxisme classique et pointe directement vers la définition de l’anarchie comme état d’une société s’instituant par elle-même, sans principe transcendant ni extérieure à elle, sans dieu ni maître.

Cette même inspiration libertaire se retrouve, en second lieu, dans la référence, qui revient à plusieurs reprises dans le texte, à l’autoactivité du prolétariat (des salariés, des opprimés, des masses) comme principe subjectif du communisme : comme principe de l’auto-organisation et de l’autoémancipation des travailleurs et principe de construction d’une société émancipée. Principe dont l’affirmation est renforcée par le rejet de tout substitutisme : de toute autoproclamation d’une avant-garde éclairée comme direction nécessaire des luttes populaires, vouées à errer dans les limites de la lutte syndicale et corporatiste sans elle. N’y a-t-il pas là rupture claire avec le léninisme et, beaucoup plus largement, avec toute la culture jacobine qui, en deçà et en dehors du léninisme même, a imprégné tout le mouvement ouvrier depuis la IIe Internationale, les courants libertaires exceptés ?


Un lecteur libertaire se reconnaîtra dans bien d’autres éléments du texte, qui ne sont pas dans la tradition du marxisme classique. Ainsi en va-t-il des passages consacrés à la crise écologique et de l’insistance mise à en souligner la gravité, qui ne sont pas de simples concessions à l’esprit du temps – qui ne se prétend écologiste aujourd’hui ? – dès lors qu’il est affirmé que cette crise manifeste directement les contradictions inhérentes à l’appropriation privative des forces productives de la société, qu’en conséquence sa solution est impossible dans le cadre du capitalisme et qu’il convient par conséquent de au cœur des préoccupations théoriques des groupes et organisations se revendiquant du communisme et à l’horizon de leurs recherches programmatiques. Ainsi en va-t-il aussi de l’affirmation de « l’émancipation des femmes (comme) dimension centrale de l’émancipation sociale » : loin de s’en tenir aux mentions aujourd’hui de rigueur faites à la thématique et à la problématique féministes, le texte montre bien que la domination du capital s’accompagne d’une reproduction de l’oppression des femmes sous de nouvelles formes dans le mouvement même où elle sape ses formes ancestrales (patriarcales) et que, dans cette mesure, là encore une véritable émancipation des femmes fait intégralement partie du programme communiste.

 

Enfin, tout lecteur libertaire ne pourra qu’être sensible à la présence dans ce texte de passages qui témoignent du souci, plus large, de la condition actuelle des individus (cf. le passage sur « la socialisation de plus en plus contradictoire des individus ») ainsii que du développement individuel comme finalité du communisme : « une société où l’échange d’activités libres entre individus sociaux fonde aussi le libre développement de chacun, sur tous les plans, lequel devient la condition du libre développement de tous et réciproquement ». C’est là encore un point de rupture par rapport au marxisme classique et un point de convergence possible avec une vieille préoccupation anarchiste.


Des esprits chagrins et soupçonneux – il y en a aussi dans vos rangs, camarades ! – ne manqueront pas de relever l’imprécision ou l’ambiguïté de certaines des formulations précédentes ou de celles du texte d’orientation auxquelles elles renvoient pour y dénoncer peut-être la présence d’une quelconque duplicité ou mauvaise foi dans la prétention à avoir rompu avec le marxisme classique. Et ils ne manqueront pas de faire remarquer – pour accroître les soupçons portant sur ce texte et les intentions de ses auteurs – qu’il ne contient nulle critique radicale de l’État et des appareils politiques en général, nulle condamnation explicite de la théorie de l’avant-garde, nulle analyse critique des ci-devant « États socialistes », nul examen de l’économisme si pesant du marxisme classique, etc...


De bonne foi, chacun conviendra pourtant qu’il est impossible à un texte d’une vingtaine de pages d’expliciter totalement les concepts, les présupposés, les conséquences d’un projet théorique – en un mot, ce texte est un point de départ, nullement un point d’arrivée. La même bonne foi veut que l’on reconnaisse inversement que tout n’est pas non plus maîtrisé par les auteurs dudit texte de ce qu’ils y avancent. C’est d’ailleurs ce qui motive leur volonté d’avancer et de le faire avec d’autres qu’eux-mêmes dont les apports, précisément parce qu’ils procèdent de traditions différentes, sont en mesure de les faire progresser – et réciproquement – dans le cours d’un travail commun impliquant une confrontation approfondie des expériences, des acquis et des principes. Sans préalable ni tabou d’aucune sorte.


De bonne foi, chacun pourra donc se convaincre à la lecture de ce texte du sérieux et de la bonne volonté de ses initiateurs quand ils font appel à vous, camarades libertaires, pour se joindre à eux dans un travail dont l’enjeu nous est à commun puisqu’il s’agit tout simplement de maintenir ouverte la perspective de l’assomption communiste de l’humanité. À vos plumes ou vos claviers, camarades ! Le chantier ouvert pour « actualiser le communisme » attend votre renfort.

Alain Bihr

 

 

 

[1] Il est disponible sur le site de Carré rouge : www.carre-rouge.org ainsi que sur le site de À l’Encontre : www.alencontre.org

Voir en ligne : La revue "Divergences".

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3 mai 2011 2 03 /05 /mai /2011 05:57

 

Michel Peyret
2 mai 2011

 

 

 


  ENGELS, LA RÉPUBLIQUE
DÉMOCRATIQUE N'EST PAS UNE FIN
par Michel Peyret

 


Est-il nécessaire de préciser à nouveau que, lorsque je verse un texte ou un auteur au débat c'est, bien évidemment, en raison de l'intérêt que ce texte ou cet auteur a éveillé en moi et, qu'en conséquence, cet intérêt justifie mon intention de le faire partager.

 

Bien évidemment encore, est-il utile de préciser à nouveau que cet intérêt ne tient nullement à un accord général avec l'ensemble des idées contenues dans le texte concerné, ou avec l'ensemble des thèses avancées par l'auteur dans la totalité de son oeuvre.

 

L'évidence est telle qu'elle n'a pas à être rappelée à tout instant.

 

 

LA CONFRONTATION, LE DÉBAT, CONTRE LA PENSÉE UNIQUE

Je considère également que chacun de mes lecteurs est un être humain majeur, un citoyen, qu'il dispose en conséquence d'une intelligence et d'un esprit critique qui me dispensent de dicter à chacun ce qu'il devrait penser lorsqu'il rencontre telle ou telle idée particulière qui l'éloignerait de quelque prêt-à-penser que ce soit.

 

Je souhaite au contraire que chacun puisse faire part de ses réflexions, de ses remarques, de ses accords ou désaccords avec les idées de l'auteur de façon à ce que le débat le plus large puisse s'engager à leur propos.

 

Aussi, lorsque, par exemple, je propose à chacun de lire un texte de Pierre Clastres, je sais très bien quelles vont être un certain nombre de réactions mais je suis loin de les connaître toutes. En général d'ailleurs, elles sont toujours plus diversifiées que j'aurai pu le penser a priori. Oui, la confrontation et le débat, lorsque l'on permet et que l'on souhaite qu'ils se développent, permettent l'expression de la diversité des pensées, en opposition à tout monolithisme, à toute pensée unique, à tout sectarisme, toutes et tous plus réducteurs les uns que les autres.

 

 

RESTREINDRE OU DÉVELOPPER L'ÉCHANGE DES IDÉES

Aussi, favoriser cette diversité des pensées et leur expression permet-elle de se rapprocher le plus possible de ce que Lénine appelait « l'étude concrète des situations concrètes » et de leurs évolutions, de l'évolution des contradictions qui les font se mouvoir.

 

Bref, la lecture du texte de Pierre Clastres, tel que j'en rendais compte, m'a apporté nombre de réactions de mes correspondants et a aussi favorisé le mûrissement et l'expression des miennes. Il m'a aussi permis de renouer avec la lecture de quelques textes fondamentaux de Marx et Engels, et m'ont notamment conduit à la relecture de textes d'Engels regroupés sous le titre général de « L'origine de la famille, de la propriété privée et de l'Etat » (édition de 1884).

 

L'édition dont je dispose est une édition électronique réalisée à partir de l'ouvrage des Editions sociales, 1975, Nouvelle édition revue et corrigée, 394 pages (Traduction de Jeanne Sterm) réalisée par l'Université du Québec à Chicoutimi.

 

Elle est précédée d'une « Note de l'Editeur » datant de mai 1954 et de quelques lignes de E.Bottigelli datées elles de février 1971.

 

 

PIERRE CLASTRES ET ENGELS

Je rappelle que le texte de Pierre Clastres dont j'ai parlé date lui de 1975. Il est donc écrit 131 ans après l'édition de 1884 par Engels.

 

Aussi, il m'apparait utile, pour apprécier et comprendre certains propos de Pierre Clastres, de reproduire quelques extraits de la « Note de l'Éditeur » de mai 1954.

 

« Ce volume, dit-elle, était, primitivement, destiné à présenter « L'origine de la famille, de la propriété privée et de l'Etat » de Fiedrich Engels. Tandis qu'il était en cours de préparation, parurent à Berlin (1952), édités pour la première fois dans la langue de l'original des textes sur l'histoire des anciens Germains et de l'époque franque qui complétaient heureusement certaines indications données dans « L'origine de la famille ». Nous avons décidé de les intégrer à notre volume... »

 

« Dès 1845, en rédigeant « L'Idéologie allemande », Marx et Engels posaient la question des formes qu'avaient revêtues les premières associations humaines. En admettant, à l'origine de la civilisation, le principe d'une propriété commune et d'une société reposant essentiellement sur les liens du sang, Marx et Engels faisaient preuve d'une audace que nous mesurons mal aujourd'hui (1954).

 

« En 1845, l'étude des origines de l'humanité était pour ainsi dire inexistante. On en était, pour l'essentiel, aux hypothèses des grands socialistes utopiques ; les robinsonnades du 18ème siècle, qui avaient encore cours, n'étaient rien moins que scientifiques, et la famille patriarcale de la Bible restait un article de foi. Quant au moyen âge, les esprits « éclairés » le considéraient uniquement comme une période d'obscurantisme et de régression sociale, sans admettre qu'il ait pu receler des éléments positifs. »

 

 

QUAND ON SORT DES ROBINSONNADES

« Il faut attendre, poursuit la Note, le milieu du 19ème siècle pour que s'établisse les rudiments d'une science des sociétés primitives et que l'on se penche sur la période qui va de la fin de l'Empire romain à la Guerre des Paysans. C'est de 1854 à 1865 que Maurer va publier ses études sur les constitutions de marche, de village et de ville. L'Ethnologie descriptive de Latham paraîtra en 1859.

 

Bachofen publiera son « Droit maternel » en 1861; Lubbock son Origine de la civilisation en 1970 ; L,-H Morgan, ses Systèmes de consanguinité en 1871.

 

« C'était déjà un pas considérable susceptible de dégager la science de l'humanité primitive des conceptions traditionnelles ou bibliques. Mais les savants restaient souvent enterrés dans toute une série de préjugés, dans un certain « aveuglement du jugement » comme dit Marx, qui leur dissimulait ce que souvent ils touchaient du doigt. Un passage d'une lettre d'Engels à Kautsky du 13 juin 1891 traduit assez bien l'atmosphère de chapelle qui régnait à cette époque dans certains milieux scientifiques :

 

« Il n'y a pas de plus grande société d'assurance mutuelle que les préhistoriens. C'est une bande de canailles qui pratiquent la camaraderie et le boycott de clique à l'échelle internationale, ce qui est possible étant donné leur nombre relativement restreint. Cependant, avec les représentants du droit comparé, il y entre un élément nouveau, qui a ses mauvais côtés, mais qui devrait cependant faire éclater le vieux cercle. »

 

 

CE À QUOI ÉTAIT PARVENUE LA SCIENCE DE LEUR TEMPS

La Note souligne le mérite de Marx et Engels « d'avoir su déceler dans le cahot des batailles de chapelles, grâce à leur sureté de leur esprit critique et de leur méthode, grâce aussi à leur culture encyclopédique, les éléments de progrès, ceux qui étaient susceptibles de faire sortir la science de l'ornière, de la débarrasser des préjugés philosophiques ou religieux d'un autre âge. Ils ont non seulement fait une synthèse générale de la science de leur temps, mais ils ont encore éclairé les voies de la recherche. C'est pourquoi l'ensemble de textes recueillis dans ce volume, qui embrasse l'histoire de l'humanité des origines à la fin du moyen âge, reste, aujourd'hui encore, riche d'enseignements et présente une unité réelle, tant méthodologique que par son objet même. »

 

C'est pourquoi je doute que les « marxistes orthodoxes » dont parle Pierre Clastres soient effectivement Marx et Engels.

 

Pierre Clastres parle en 1975, on ne peut avoir de doutes sur la nature et la provenance du « marxisme » auquel il est confronté et avec lequel il affirme son désaccord. Lequel « marxisme » a, on le sait, pris les plus grandes libertés avec celui de Marx et Engels, Marx niant lui-même être « marxiste », jusqu'à son plus profond travestissement. Pour ma part, j'ai souvent évoqué ce qu'il en est réellement.

 

 

ENGELS : RELÉGUER L'ÉTAT AU MUSÉE DES ANTIQUITÉS

Dans l'ouvrage cité, Engels, par exemple, écrit : « L'Etat n'existe donc pas de toute éternité. Il y a eu des sociétés qui se sont tirées d'affaire sans lui, qui n'avaient aucune idée de l'Etat et du pouvoir d'Etat. A un certain stade de développement économique, qui était nécessairement lié à la division de la société en classes, cette division fit de l'Etat une nécessité. Nous nous rapprochons maintenant à pas rapides d'un stade de développement de la production dans lequel l'existence de ces classes a non seulement cessé d'être une nécessité, mais devient un obstacle positif à la production. Ces classes tomberont aussi inévitablement qu'elles ont surgi autrefois. L'Etat tombe inévitablement avec elles . La société, qui réorganisera la production sur la base d'une association libre et égalitaire des producteurs, reléguera toute la machine de l'Etat là où sera dorénavant sa place : au musée des antiquités, à côté du rouet et de la hache de bronze. »

 

 

LES SOCIÉTÉS A ÉTAT N'EXISTERONT PAS TOUJOURS

Si Engels confirme là la priorité donnée à l'économique, alors que Clastres la donne au politique, ils semblent s'accorder sue ce qui m'apparaît essentiel, à savoir que les sociétés à Etat n'ont pas toujours existé, et qu'elles n'existeront pas toujours, ce qui est implicite chez Clastres et clairement formulé chez Engels, même s'il ne reprend pas là la formulation d'abolition ou de dépérissement de l'Etat, dominantes chez Marx, à l'encontre de ce que un certain « marxisme orthodoxe » a bien voulu lui faire dire, comme je l'ai rappelé plus haut.

 

Et il m'apparaît aussi que Clastres se situe avant tout dans la conception de ce « marxisme-là » lorsqu'il porte certaines appréciations relatives à l'URSS sans considérer qu'elles peuvent être les principales caractéristiques du marxisme et du communisme selon Marx qui ont pu être « effacées » au profit du « marxisme-léninisme » affirmé officiellement.

 

 

LA NÉGATION DE LA NÉGATION

Au fond, l'accord Engels/Clastres ne réside-t-il pas dans ce que Marx appelle la négation de la négation.

 

Ainsi, nous avons affaire à une première réalité : la société sans classe et sans État.

 

Cette première réalité est niée, sauf quelques exceptions, par des sociétés où, peu à peu, apparaissent, selon des processus dont il faut approfondir la connaissance dans leurs causes et leur nature, des divisions de classes et la création d'Etats.

 

Enfin, négation de la négation, le temps vient à nouveau de l'organisation, à un niveau supérieur, de l'organisation de toute la société sur la base d'une « association libre et égalitaire des producteurs » qui relègue l'Etat au musée des antiquités, selon la formule de Engels.

 

Engels précise d'ailleurs : « L'Etat n'est donc pas un pouvoir imposé du dehors à la société ; il n'est pas davantage « la réalité de l'idée morale », « l'image et la réalité de la raison », comme le prétend Hegel... »

 

 

L'ÉTAT EST UN PRODUIT DE LA SOCIÉTÉ

« Il est bien plutôt, poursuit Engels, un produit de la société à un stade déterminé de son développement ; il est l'aveu que cette société s'empêtre dans une insoluble contradiction avec elle-même, s'étant scindée en oppositions inconciliables qu'elle est impuissante à conjurer. Mais pour que les antagonismes, les classes aux intérêts économiques opposés, ne se consument pas, elles et la société, en une lutte stérile, le besoin s'impose d'un pouvoir qui, placé en apparence au-dessus de la société, doit estomper le conflit, le maintenir dans les limites de « l'ordre » ; et ce pouvoir, né de la société, mais qui se place au-dessus d'elle et lui devient de plus en plus étranger, c'est l'État... »

 

Plus avant, Engels poursuit :

 

« Comme l'État est né du besoin de réfréner les oppositions de classes (on vérifie ici que les motivations mises en avant par Engels sont éminemment politiques), mais comme il est né, en même temps, au milieu du conflit de ces classes, il est, dans la règle, l'Etat de la classe la plus puissante, de celle qui domine au point de vue économique et qui, grâce à lui, devient aussi classe politiquement dominante et acquiert ainsi de nouveaux moyens pour mater et exploiter la classe opprimée.

 

« C'est ainsi que l'Etat antique était avant tout l'Etat des propriétaires d'esclaves pour mater les esclaves, comme l'organe féodal fut l'organe de la noblesse pour mater les paysans serfs et corvéables, et comme l'État représentatif moderne est l'instrument de l'exploitation du travail salarié par le capital... »

 

 

LA FORME D'ÉTAT LA PLUS ÉLEVÉE: LA RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE

« Dans la plupart des Etats, considère Engels, que connait l'histoire, les droits accordés aux citoyens sont en outre gradués selon leur fortune...Pourtant, cette reconnaissance politique de la différence de fortune n'est pas du tout essentielle. Au contraire, elle dénote un degré inférieur du développement de l'Etat. La forme d'Etat la plus élevée, la république démocratique, qui devient de plus en plus une nécessité inéluctable dans nos conditions sociales modernes, et qui est la forme d'Etat sous laquelle peut seule être livrée jusqu'au bout l'ultime bataille décisive entre le prolétariat et la bourgeoisie, la république démocratique ne reconnaît plus, officiellement, les différences de fortune.

 

« La richesse exerce son pouvoir de façon indirecte, mais d'autant plus sûre. D'une part, sous forme de corruption directe des fonctionnaires, ce dont l'Amérique offre un exemple classique, d'autre part, sous forme d'alliance entre le gouvernement et la Bourse ; cette alliance se réalise d'autant plus facilement que les dettes de l'Etat augmentent davantage et que les sociétés par actions concentrent de plus en plus entre leurs mains non seulement le transport, mais aussi la production elle-même, et trouvent à leur tour leur point central dans la Bourse.

 

« En dehors de l'Amérique, la toute récente République française en offre un exemple frappant, et la brave Suisse, elle non plus, ne reste pas en arrière, sur ce terrain-là.

 

« Mais qu'une République démocratique ne soit pas indispensable à cette fraternelle alliance entre le gouvernement et la Bourse, c'est ce que prouve, à part l'Angleterre, le nouvel Empire allemand, où l'on ne saurait dire qui le suffrage universel a élevé plus haut, de Bismark ou de Bleichröder (directeur de la banque berlinoise qui portait son nom).

 

 

LA CLASSE POSSÉDANTE RÈGNE PAR LE SUFFRAGE UNIVERSEL

« Et enfin, dit Engels, la classe possédante règne directement au moyen du suffrage universel.

 

« Tant que la classe opprimée, c'est-à-dire, en l'occurrence, le prolétariat, ne sera pas assez mûr pour se libérer lui-même, il considérera dans sa majorité le régime social existant comme le seul possible et formera, politiquement parlant, la queue de la classe capitaliste, son aile gauche extrême.

 

« Mais, dans la mesure où il devient plus capable de s'émanciper lui-même, il se constitue en parti distinct, élit ses propres représentants et non ceux des capitalistes.

 

« Le suffrage universel est donc l'index qui permet de mesurer la maturité de la classe ouvrière.

 

« Il ne peut être rien de plus, il ne sera jamais rien de plus dans l'Etat actuel ; mais cela suffit. Le jour où le thermomètre du suffrage universel indiquera pour les travailleurs le point d'ébullition, ils sauront, aussi bien que les capitalistes, ce qui leur reste à faire. »

 

 

LE POINT D'ÉBULLITION

Et le suffrage universel, aujourd'hui, n'exprime-t-il pas, sous des formes que peut-être Engels n'avait pas envisagées, ce « point d'ébullition », en tout cas le refus, le rejet, de l'Etat et de ses institutions, qu'elles soient qualifiées de République ou non ?

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29 avril 2011 5 29 /04 /avril /2011 05:20

 

Michel Peyret
26 avril 2011

 

 

 


  PIERRE CLASTRES,
DES SOCIÉTÉS CONTRE L'ÉTAT
par Michel Peyret

 


Pierre Clastres est ethnologue.

 

Dans les années 70 du siècle dernier, il se présentait ainsi : « Je m'occupe des sociétés primitives, plus spécialement de celles d'Amérique du Sud où j'ai fait tous mes travaux de terrain. Là, on part d'une distinction qui est interne à l'ethnologie, à l'anthropologie des sociétés primitives. Ce sont des sociétés sans État. Forcément parler de sociétés sans État c'est nommer en même temps les autres, c'est-à-dire les sociétés à État. Où est le problème ? C'est que je me demande pourquoi les sociétés sans État sont des sociétés sans État, et alors il me semble m'apercevoir que si les sociétés primitives sont des sociétés sans État c'est parce qu'elles sont des sociétés de refus de l'État, des sociétés contre l'État... »

 

 

LE REFUS DE L'ÉTAT

Pour lui, cette absence d'État dans ces sociétés n'est donc pas un manque. Ce n'est pas parce qu'elles sont l'enfance de l'humanité et qu'elles sont incomplètes, ou qu'elles ne sont pas assez grandes, qu'elles ne sont pas adultes, majeures... C'est bel et bien parce qu'elles refusent l'État au sens large, l'État défini comme dans sa figure minimale qui est la relation de pouvoir.

 

Par là même, parler de sociétés sans État, ou de sociétés contre l'État, c'est parler des sociétés à État, et la question qui l'enracine c'est : d'où sort l'État, quelle est l'origine de l'État ?

 

Mais, dit Pierre Clastres, il y a tout de même deux questions séparées :

 

➤ Comment les sociétés primitives font-elles pour ne pas avoir d'État ?

➤ D'où sort l'État ?

 

Aussi, l'analyse de la question du pouvoir dans les sociétés primitives, dans les sociétés sans État, peut nourrir une réflexion politique sur nos propres sociétés.

 

Et là, dit-il, très vite, on rencontre la question du marxisme.

 

 

LA QUESTION DU MARXISME – L'ÉTAT

« Mes rapports avec ceux de mes collègues qui sont marxistes sont marqués par un désaccord au niveau de ce qu'on fait, au niveau de ce que l'on écrit, pas forcément au niveau personnel ».

 

« La plupart des marxistes sont orthodoxes, je dis la plupart parce qu'il y en a qui ne le sont pas, heureusement, mais ceux qui sont orthodoxes s'en tiennent davantage à la lettre qu'à l'esprit ».

 

« Alors, la théorie de l'État, dans ce sens-là, qu'est-ce que c'est ? C'est une conception instrumentale de l'État, c'est-à-dire que l'État, c'est l'instrument de la domination de la classe dominante sur les autres... »

 

« A la fois dans la logique et dans la chronologie, l'État vient après, une fois que la société est divisée en classes, qu'il y a des riches et des pauvres, des exploiteurs et des exploités. L'État, c'est l'intrument des riches pour mieux exploiter et mystifier les pauvres et les exploités. »

 

 

L'ÉTAT, LA DIVISION FONDATRICE

Pour Pierre Clastres, à partir des recherches et des réflexions qui ne quittent pas le terrain de la société primitive, de la société sans État, il lui apparaît que c'est le contraire, ce n'est pas la division en groupes sociaux opposés, ce n'est pas la division entre riches et pauvres, en exploiteurs et exploités, la première division, et celle qui fonde en fin de compte toutes les autres, c'est la division entre ceux qui commandent et ceux qui obéissent, c'est-à-dire l'État, parce que fondamentalement c'est ça, c'est la division de la société entre ceux qui ont le pouvoir et ceux qui subissent le pouvoir.

 

« Une fois qu'il y a ça, dit-il, c'est-à-dire la relation commandement/obéissance, c'est-à-dire un type ou un groupe de types qui commandent aux autres qui obéissent, tout est possible à ce moment-là, parce que celui qui commande, qui a le pouvoir, il a le pouvoir de faire faire ce qu'il veut aux autres, puisqu'il détient le pouvoir précisément, il peut leur dire travaillez pour moi, et à ce moment-là l'homme de pouvoir peut se transformer très facilement en exploiteur, c'est-à-dire en celui qui fait travailler les autres. »

 

 

LES SOCIÉTÉS PRIMITIVES NE SE DIVISENT PAS

Cependant, s'agissant des sociétés primitives, Pierre Clastres considère que, lorsqu'on réfléchit sérieusement à la manière dont fonctionnent ces machines sociales, on ne voit pas comment ces sociétés peuvent se diviser, peuvent se diviser en riches et en pauvres.

 

« On ne voit pas parce que tout fonctionne pour empêcher cela précisément. Par contre on voit beaucoup mieux, on comprend beaucoup mieux, enfin plusieurs questions obscures se clarifient, à mon avis, si on pose d'abord l'antériorité de la relation de pouvoir.

 

« C'est pourquoi il me semble que pour y voir plus clair dans ces questions, il faut carrément renverser la théorie marxiste de l'origine de l'État – c'est un point énorme et précis en même temps – et il me semble que loin que l'État soit l'instrument de domination d'une classe, donc ce qui vient après une division antérieure de la société, c'est au contraire l'État qui engendre les classes.

 

« Cela peut se démontrer à partir d'exemples de sociétés à État non-occidentales, je pense particulièrement à l'État Inca dans les Andes. Mais on pourrait prendre aussi bien d'autres exemples parfaitement occidentaux, et puis même un exemple très contemporain, c'est L'URSS... »

 

 

L'ÉTAT SUPPRIME OU ENGENDRE LES CLASSES

Pierre Clastres considère que l'URSS a supprimé les relations de classe, tout simplement en supprimant une classe, les exploiteurs, les bourgeois, les grands propriétaires, l'aristocratie et l'appareil d'État qui marchait avec tout ce qui était la monarchie, ce qui fait qu'il n'est resté qu'une société dont on pourrait dire qu'elle n'était plus divisée puisque l'un des termes de la division avait été éliminé, il est resté une société non divisée et par là-dessus une machine étatique (le parti aidant) détenant le pouvoir au bénéfice du peuple travailleur, des ouvriers et des paysans.

 

« Bon. Qu'est-ce que l'URSS actuelle ?

 

« Sauf si l'on est un militant du parti communiste, auquel cas l'URSS c'est le socialisme, c'est l'État des travailleurs, etc...

 

« Si l'on n'est pas dans la théologie et le catéchisme, si on n'est pas dans l'aveuglement et tout ce que l'on veut, l'URSS, qu'est-ce que c'est ?

 

« C'est une société de classes, je ne vois pas pourquoi hésiter à utiliser ce vocabulaire, c'est une société de classes, et une société de classes qui s'est constituée purement à partir de l'appareil d'État.

 

« Il me semble que l'on voit bien là la généalogie des classes, c'est-à-dire des riches et des pauvres, des exploiteurs et des exploités, c'est-à-dire cette division-là, cette division économique de la société à partir de l'existence de l'appareil d'État. »

 

 

LA DIVISION POLITIQUE COMMANDE LA DIVISION ÉCONOMIQUE

« L'État soviétique, poursuit Pierre Clastres, centré sur le parti communiste, a engendré une société de classes, une nouvelle bourgeoisie russe qui n'est certainement pas moins féroce que la plus féroce des bourgeoisies européennes au 19ème par exemple...

 

« Et lorsque je dis cette chose qui a l'air surréaliste, à savoir que c'est l'État qui engendre les classes, on veut l'illustrer en prenant des exemples dans des mondes complètement différents de delui dans lequel on vit, à savoir les Incas ou l'URSS.

 

« Il est probable que des spécialistes, disons de l'Egypte ancienne ou d'autres régions, ou d'autres cultures, des sociétés que Marx désignait sous le nom de despotisme asiatique, ou d'autres sous le nom de civilisation hydraulique, je pense que les spécialistes de ces sociétés iraient, je suppose, dans le même sens que moi : ils montreraient comment à partir de la division politique s'engendre, d'ailleurs très facilement, la division économique, ils diraient que ceux qui obéissent deviennent en même temps les pauvres et les exploités, et que ceux qui commandent, les riches et les exploiteurs. »

 

 

LE POUVOIR ET LE TRAVAIL ALIÈNE

Pierre Clastres considère que c'est parfaitement normal parce que, dit-il, détenir le pouvoir c'est pour l'exercer : un pouvoir qui ne s'exerce pas n'est pas un pouvoir. Et l'exercice du pouvoir, par quoi passe-t-il ? Par l'obligation qu'on fait aux autres de travailler pour soi-même.

 

Aussi, ce n'est pas l'existence du travail aliéné qui engendre l'État mais, dit-il, c'est exactement le contraire : c'est à partir du pouvoir, de la détention du pouvoir, que s'engendre le travail aliéné.

 

« Le travail aliéné, qu'est-ce que c'est ? « Je travaille non pour moi, mais je travaille pour les autres », ou plutôt, « je travaille un peu pour moi et beaucoup pour les autres. »

 

« Celui qui a le pouvoir, il peut dire aux autres : « Vous allez travailler pour moi ». Et alors apparaît le travail aliéné ! La première forme et la forme la plus universelle du travail aliéné étant l'obligation de payer le tribut.

 

« Car si je dis : « C'est moi qui ai le pouvoir et c'est vous qui le subissez », il faut que je le prouve; et je le prouve en vous obligeant à payer tribut, c'est-à-dire à détourner une partie de votre activité à mon profit exclusif. »

 

 

LE POUVOIR CRÉE L'EXPLOITATION

« De par là-même, poursuit Pierre Clastres, je ne suis pas seulement celui qui a le pouvoir, mais celui qui exploite les autres. Et il n'y a pas de machine étatique sans cette institution qui s'appelle le tribut. Le premier acte de l'homme de pouvoir, c'est exiger tribut, paiement de tribut, de ceux sur qui il exerce le pouvoir. »

 

« Alors, vous ne direz : « Pourquoi obéissent-ils ? Pourquoi payent-ils le tribut ? » Cela, c'est la question de l'origine de l'État, justement. Je ne sais pas très bien, mais il y a dans la relation de pouvoir quelque chose qui n'est pas seulement de l'ordre de la violence. Ce serait trop facile, parce que ça résoudrait le problème tout de suite.

 

« Pourquoi y a -t-il l'État ? Parce que, à un moment donné, ici ou là, un type, ou un groupe de types, disent : « Nous avons le pouvoir et vous allez obéir. »

 

« Mais là, deux choses peuvent se passer : ou bien ceux qui entendent ce discours disent : « Oui, c'est vrai, vous avez le pouvoir et on va obéir », ou bien : « Non, non, vous n'avez pas le pouvoir et la preuve c'est que l'on ne va pas vous obéir. » Et ils pourront traiter les autres de fous ou dire : « On va les tuer. »

 

 

OBÉIR OU NE PAS OBÉIR

Ou bien on obéit, ou bien on n'obéit pas, considère Pierre Clastres, et il faut bien qu'il y ait eu cette reconnaissance du pouvoir, puisque l'État est apparu ici et là dans diverses sociétés.

 

« En fait, poursuit-il, la question de l'origine de cette relation de pouvoir, de l'origine de l'État, à mon avis, se dédouble, au sens où il y a une question du haut et une question du bas :

 

« La question du haut, c'est : qu'est-ce qui fait que, quelque part, à un moment donné, un type dise : « C'est moi le chef et vous allez m'obéir ! ». C'est la question du sommet de la pyramide.

 

« La question du bas, de la base de la pyramide, c'est : « Pourquoi les gens acceptent-ils d'obéir ? », alors que ce n'est pas un type, ou un groupe de types, qui détient une force, une capacité de violence suffisante pour faire régner la terreur sur tout le monde. Donc, il y a autre chose : cette acceptation de l'obéissance renvoie à autre chose. Je ne sais pas trop ce que c'est...je suis un chercheur...donc je cherche. Mais tout ce que l'on peut dire pour le moment, il me semble, c'est que si la question est pertinente, la réponse n'est pas évidente.

 

« Mais on ne peut faire l'économie de la question du bas, c'est-à-dire : pourquoi les gens acceptent-ils d'obéir ? Si l'on veut réfléchir sérieusement à la question de l'origine de la relation de pouvoir, à la question de l'origine de l'État. »

 

 

POURQUOI , COMMENT DES SOCIÉTÉS SANS ÉTAT

Pierre Clastre est alors questionné : les deux questions qu'il pose n'étaient-elles pas déjà celles que posait Rousseau au début du Contrat social quand il disait : jamais un homme ne sera suffisamment fort pour être toujours le plus fort, et pourtant il y a l'État. Sur quoi alors fonder le pouvoir politique ?

 

Ce que sait Pierre Clastres, c'est ce que lui apprennent les sociétés primitives. A quelle condition une société peut-elle être sans État ?

 

C'est vrai, dit-il, les sociétés primitives ont ceci en commun qu'elles sont petites, démographiquement, territorialement. Et cela est une condition fondamentale pour qu'il n'y ait pas apparition d'un pouvoir séparé dans ces sociétés. Les sociétés primitives sont du côté du petit, du limité, du réduit, de la scission permanente, du côté du multiple, tandis que les sociétés à État sont exactement du côté du contraire. Elles sont du côté de la croissance, du côté de l'intégration, du côté de l'unification, du côté de l'un.

 

Les sociétés primitives, ce sont des sociétés du multiple, les sociétés non-primitives à État, ce sont les sociétés de l'un. L'État, c'est le triomphe de l'un...

 

La question du bas, pourquoi les gens obéissent-ils, alors qu'ils sont infiniment plus forts et plus nombreux que celui qui commande, question mystérieuse, en tout cas pertinente, celui qui se l'est posée il y a très longtemps et avec une netteté parfaite, c'est La Boétie dans le « Discours sur la servitude volontaire ».

 

Il est temps de revenir à cette question-là, c'est-à-dire sortir un peu du marécage « marxiste » qui rabat l'être de la société sur, parlons massivement, l'économique, alors que peut-être il est plutôt dans le politique...

 

 

DES NORMES NON COERCITIVES

Pierre Clastres est questionné à nouveau s'agissant d'un pouvoir non-coercitif qui serait la caractéristique des sociétés primitives : le pouvoir existerait puisqu'il y aurait des normes de comportement.

 

Pour Pierre Clastres, ces normes sont soutenues par la société entière, ce ne sont pas des normes imposées par un groupe particulier à l'ensemble de la société. Ce sont les normes de la société elle-même. Ce sont les normes à travers lesquelles la société se maintient. Ce sont les normes que tout tout le monde respecte. Elles ne sont imposées par personne... D'ailleurs, pouvoir de qui sur qui ?

 

C'est, dit-il, « le pouvoir de la société prise comme un tout unitaire, puisqu'elle n'est pas divisée, c'est le pouvoir de la société comme un tout sur les individus qui la composent ».

 

« Et ces normes, comment sont-elles apprises, acquises, intériorisées ? Par la vie, l'éducation des enfants, etc...On n'est pas dans le champ du pouvoir. De la même manière que le « pouvoir » d'un père sur ses enfants, dans la société primitive le pouvoir n'a rien à voir avec cette relation de pouvoir que je place comme l'essence de l'État, de la machine étatique... »

 

 

DE PLUS EN PLUS D'ÉTATISME, D'AUTORITARISME

Pour Pierre Clastres, la machine d'État, dans toutes les sociétés occidentales, devient de plus en plus étatique, c'est-à-dire qu'elle va devenir de plus en plus autoritaire. Et de plus en plus autoritaire pendant un bon moment au moins, avec l'accord profond de la majorité, qu'on appelle le plus souvent la majorité silencieuse, cette majorité étant certainement très également répartie à gauche et à droite...

 

La machine étatique va ainsi aboutir à une espèce de fascisme, pas un fascisme de parti, mais un fascisme intérieur.

 

« Quand je dis la machine étatique, précise Pierre Clastres, il ne s'agit pas seulement de l'appareil d'État (le gouvernement, l'appareil central d'État). Il y a des sous-machines, qui sont de véritables machines d'État et de pouvoir, et qui fonctionnent, en dépit parfois des apparences, en harmonie avec cette machine centrale d'État. Je pense aux partis et aux syndicats, principalement au PC et à la CGT. Il faut analyser le PC et la CGT...Il faut les analyser comme des organes très importants de la méga-machine étatique.

 

 

DES RELAIS DU POUVOIR

« Je veux dire par là, poursuit Pierre Clastres, que la société, telle qu'elle est actuellement, aurait le plus grand mal à fonctionner s'il n'y avait pas ce fantastique relais de pouvoir et de colmatage, qui peut aller même jusqu'à l'abus de pouvoir, que constitue l'appareil du PC et de la CGT.

 

« Il ne faut pas les séparer : ce sont des formations produiotes par la même société et, en fait, il y a une profonde complicité de structure, je ne veux pas dire qu'ils se téléphonent le soir pour se demander : « Alors, comment ça a été aujourd'hui ? » Il y a une profonde coplicité de structure entre Marchais er Séguy et les princes qui nous gouvernent. C'est évident.

 

« Et après tout, le parti, quel qu'il soit, que veut-il ? Il veut occuper le pouvoir : il est déjà prêt à prendre la machine en main. »

 

 

PLUS DE MORCELLEMENT, PLUS DE CENTRALISME

Interrogé alors sur la cohérence et la rationalité de la société qui donne plutôt l'apparence du morcellement, de la juxtaposition d'oppositions qui ne débouchent pas, dont on ne peut rendre compte à un appareil qui fonctionnerait comme apparition d'une nouvelle structure au sein de la société, Pierre Clastres précise :

 

« C'est parc e qu'il y a du morcellement qu'il y a plus de centralisme. Il me semble que c'est complètement lié. Le capitalisme contemporain se déglingue visiblement, il fonctionne au jour le jour ».

 

« Mais c'est parce que ça se déglingue, et que ça pète par ici, par là, à la périphérie souvent du système, que le système tend à devenir de plus en plus systématique ou autoritaire...Si l'État devient le tout, on est dans le totalitarisme. C'est évident. Le risque n'est absolument pas à exclure d'ailleurs. Mais je pense que c'est parce qu'il y a de plus en plus de failles, ici et là, qu'il y a de plus en plus « d'anti-failles », c'est-à-dire d'État... »

 

 

(Entretien avec Pierre Clastres – N°9 de le revue « L'Anti-Mythes » - 1975)

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14 avril 2011 4 14 /04 /avril /2011 07:04

Ci-dessous les réponses de Michel Peyret sous forme de réponses au questionnaire paru sur Journées CrItiques

 

 

 

Michel Peyret
14 avril 2011


     

QUELQUES REFLEXIONS
À PARTIR DU QUESTIONNAIRE
 (ou l'auto-association pour l'auto-gestion de la société tout entière)
par Michel Peyret

 


Clarification des idées ! Qu'est-ce qu'une idée claire ?

 

Les idées et la réalité, le mouvement de la réalité, le mouvement des idées...

 

La question du retard des idées sur le mouvement de la réalité ( on ne peut connaître ce qui se passe avant de l'avoir vécu).

 

Les idées peuvent-elles anticiper le mouvement de la réalité ?

 

Lénine : l'étude concrète d'une situation concrète. La situation concrète, c'est la réalité à tel ou tel moment de son mouvement concret.

 

Le mouvement de la réalité et des idées est scandé par des « manifestations » concrètes de différentes nature (référendums, élections, luttes d'origine et de nature diverse...). Et qu'en est-il quand, au moins en apparence, il ne se passe rien ?

 

 

1992 et renaissance du mouvement populaire sur une question de classe, le recommencement de la rébellion ?

 

Après les années Mitterrand et sa « pédagogie du renoncement », le référendum sur Maastricht : 50/50, ou peut s'en faut !

 

Le mouvement populaire frôle la victoire contre les partisans de l'Union européenne ( une forte partie de la droite et la quasi-totalité du PS).

 

Les résultats provoquent la surprise : les initiateurs de droite et de gauche espéraient en une victoire beaucoup plus large !

 

 

1995 : les luttes populaires, leurs formes , leur ampleur. Le « tous ensemble » ! Et nouveaux progrès de la conscience !

 

 

1997 : dans le mouvement, la victoire de la « gauche plurielle », c'est la grande espérance, on ne s'est pas battu pour rien !

 

 

2002 : l'espérance est largement déçue, les électeurs sanctionnent sévèrement. En en seconde position devant Joséphine. Plus bas résultats du PCF avec Robert Hue ! Qui est particulièrement sanctionné !

 

 

2005 : référendum sur le TCE . Victoire du mouvement populaire en France, c'est la reprise de l'offensive ! Réactions identiques dans d'autres pays d'Europe ! Le rejet grandit et s'internationalise !

 

Les gouvernements arrêtent les consultations !

 

 

L'adoption du Traité de Lisbonne c'est, en France, un coup d'Etat. Le peuple souverain n'a pu se désavouer puisqu'il n'a pas été appelé à revoter! La démocratie représentative viole ou trahit la démocratie directe, référendum en l’occurrence ! Toutes les forces politiques cautionnent. Qu'en pense le peuple ?

 

 

2007, c'est l'élection présidentielle. Tout est mis en œuvre pour que la victoire de 2005 ne soit pas transformée. MG Buffet est particulièrement sanctionnée au 1er tour. Sarkozy l'emporte nécessairement au 2ème tour !

 

 

2009, élections au Parlement européen. « L'abstention » est majoritaire dans la plupart des pays d'Europe, c'est la confirmation du rejet de cette Europe, qui n'est pas, et ne peut être, l'Europe des peuples, c'est celle du Capital ! En France, « l'abstention » atteint les 60% !

 

 

2010, « abstention » à nouveau majoritaire aux élections régionales !

 

 

Enquête SOFRES : 72% des salariés considèrent le capitalisme comme négatif, en progrès sur les résultats de la précédente enquête (61%).

 

72%, c'est un précédent historique : jamais, nulle part, un peuple a porté un tel jugement sur le capitalisme !

 

« L'abstention » aux élections est à mettre en relation avec ce jugement.

 

N'est-on pas là dans la « clarification des idées » ?

 

 

Bien évidemment, rien, ni personne, ne présente une stratégie qui traduirait ces évolutions. Forces syndicales et politiques sont intégrées au système, à la perpétuation du capitalisme.

 

 

A l'automne dernier, 70% pour le retrait du projet sur les retraites ! Et toutes les forces politiques vont le discuter à l'Assemblée . La démocratie est à nouveau violée !

 

 

Dans le prolongement, nouvelle victoire de « l'abstention » aux élections cantonales.

 

 

Dans cette situation, de nouvelles formes d'organisation apparaissent nécessaires. Forces politiques et syndicales s’arque boutent dans leur volonté de ne pas vouloir s'engager dans le changement de société.

 

Le mouvement populaire a certainement des questionnements.

 

Si majoritairement il considère le capitalisme comme négatif, il a pour le moins encore des hésitations à s'engager dans le changement de société. Les évènements du 20ème siècle pèsent certainement lourd dans les consciences.

 

 

Dans quel sens va faire bouger le résultat du mouvement de l'automne ? Quelles réflexions vont en sortir ?

 

 

Le résultat des élections cantonales a un sens indicatif (voir l'analyse, à ma connaissance unique, de ces élections dans Rouge Midi).

 

Aucune des forces politiques ne progresse en voix exprimées. Donc toutes perdent ! Aucune ne peut de prévaloir d'un progrès de son influence !

 

A l'évidence, le mouvement populaire n'attend une réponse d'aucune des forces politiques ! Ces forces politiques, il les rejette avec le système qui les produit !

 

 

C'est donc bien en lui-même que le mouvement populaire doit trouver la solution.

 

Des éléments de réflexion et d'organisation existent bien dans l'histoire.

 

En 1789, ce peuple a su trouver les formes, alors que les partis et les syndicats n'existaient pas, pour élaborer les Cahiers de doléances, désigner les députés aux États-Généraux...

 

A la fin de la première guerre mondiale, dans nombre de pays d'Europe, l'organisation en Conseils ouvriers s'est imposée.

 

Dans le même esprit, en France, nous avons les « assemblées générales », les « coordinations »...

 

 

C'est certainement dans cet esprit d'une organisation indépendante, autonome, ouverte à tous les salariés et autres citoyens sur les lieux de travail, les quartiers, les bourgs et villages, qu'il conviendrait d'aller !

 

Mais le rejet du principe de la « délégation de pouvoir » est-il suffisamment fort et ancré pour bousculer la tradition électorale et imposer une logique où chacun est amené à prendre ses responsabilités devant chaque décision.

 

 

Parce que, en définitive, personne d'autre que les intéressés ne peut fournir la réponse et franchir le pas qu'il reste à franchir pour s'engager dans une auto-organisation, ou une auto-association, cheminement vers une auto-gestion à tous les niveaux, de tous les aspects de la vie de la société, et donc pas seulement des aspects économiques.

 

 

Sans doute serait-il également utile de montrer que le communisme n'a jamais existé jusqu'alors !

 

Montrer que, selon Marx, au moins trois grandes orientations sont nécessaires pour s'engager dans cette voie, et qu'aucune d'entre-elles n'a reçu n'a reçu un commencement de mise en œuvre dans tous les régimes qui se sont réclamés, alors illusoirement du communisme :

 

• l'abolition du travail salarié, du travail contraint ;

• l'appropriation sociale des grands moyens de production, d'échanges, établissements financiers, assurances, etc..et non leur étatisation-nationalisation ;

• le dépérissement de l'Etat et non hyperbole-étatisme ;

• auxquelles on pourrait utilement ajouter le développement des gratuités.

 

 

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11 avril 2011 1 11 /04 /avril /2011 06:45

Michel Peyret
11 avril 2011

 

 

 


   

DANIEL BENSAÏD, LES CHANTIERS
DU MARXISME

par Michel Peyret

 

  

Bien évidemment, chacun lit un texte à sa façon, laquelle reflète nécessairement sa personnalité, ses connaissances et sa culture personnelle, sa trajectoire politique, et donc ses expériences politiques et les enseignements qu'il a pu en tirer, et certainement bien d'autres critères encore.

 

Pour ma part, après avoir lu un texte, je fais, en général, c'est-à-dire lorsque les idées exprimées dans le texte ont retenu mon intérêt, une sorte de bilan de lecture. En fait, je me questionne : quelles sont les idées essentielles de ce texte, que convient-il que je note et retienne plus particulièrement, est-ce nécessairement ce qui est nouveau, il y a souvent des découvertes, sinon pourquoi lire, et ce peut-être aussi des idées plus anciennes, lesquelles sont déjà dans ma mémoire, mais qui méritent aussi de trouver une nouvelle vie dans l'actualité, et donc dans une situation nouvelle, donc une nouvelle vie qui ne trouve pas nécessairement la même expression, les mêmes formulations, on le dit couramment : de l'eau a coulé sous les ponts ! Il n'y a pas de vérités éternelles !

 

 

UN COMMUNISME VIVANT

Aussi, quand je rends compte d'une de mes lectures, ce ne peut être seulement un résumé, c'est tout un travail intellectuel que j'essaie de faire partager avec, c'est évident, des risques dans l'exercice.

 

Il est donc évident également que toute autre personne peut, ou pourrait, avoir une lecture différente, et c'est heureux, c'est heureux parce que cela permet, d'une part le partage des idées, mais aussi, d'autre part, le débat, la confrontation...

 

Dans ce travail, il est pour moi extrêmement clair que j'essaie là de faire vivre mon communisme. Il ne m'a pas été donné une fois pour toutes, comme toute autre chose vivante, il se modifie, se transforme, se complète, s'approfondit, selon les enseignements que je peux tirer des évolutions de la réalité. Ce qui ne veut pas dire que ce fonds communiste serait livré aux différents vents de l'actualité. Tout au contraire même.

 

 

LE DÉBAT CONTRE LA CENSURE

Je n'aime pas l'idée de « résistance » que je considère comme trop défensive, alors que le plus souvent il s'agit d'être à l'offensive, l'offensive étant aussi, c'est bien connu, la meilleure façon de se défendre et résister. En tout cas, il m'apparaît qu'être communiste implique le débat, l'ouverture au débat. On ne peut être communiste et « sectaire », c'est-à-dire refuser le débat ou, plus encore, pratiquer différentes formes de censure. Il y a , « quand-même », quelques leçons à tirer des expériences que nous avons vécues, pour l'essentiel, dans la seconde moitié du siècle précédent.

 

 

LA DIVERSITÉ DE LA FAMILLE COMMUNISTE

Aujourd'hui, je reviens avec Daniel Bensaïd dont j'ai présenté le communisme tel qu'il l'expose lui-même. J'ai le mien que j'expose également. Nous avons fait des choix de parti différents. Il y a, c'est connu, l'histoire le reflète, plusieurs grandes familles communistes. Au siècle précédent, elles se sont affrontées, souvent de la plus mauvaise façon, nombre de communistes en sont morts, et ce n'est pas l'adversaire de classe qui les a tués !

 

Dans le texte de l'Appel pour des Assises du communisme, j'évoquais dès l'entrée cet état de la famille communiste, ma vision pouvant s'en être élargie depuis, résultat de mes lectures oblige !

 

Aussi je tiens à préciser que je lis aussi Daniel Bensaïd dans cet esprit là, lequel exclut le ressassement à perpétuité, mais sans apport véritable, d'anciennes querelles surannées. J'indique, et j'indique parce que je le pense, que cette vision de la famille communiste implique la reconnaissance pleine et entière de sa diversité réelle, et certainement justifiée par les contradictions nombreuses et croissantes de nos sociétés, et qu'en conséquence, si ce constat est partagé, il conviendra de trouver les formes, les modalités de ses « trouvailles » ou « retrouvailles ».

 

 

PROLÉTAIRES DE TOUS LES PAYS, UNISSONS-NOUS !

Le texte de Daniel Bensaïd dont je rends compte aujourd'hui, « Marx débordait son temps et anticipait sur le nôtre », ce sont des réponses à des questions d'un groupe russe du nom de Vpered (En Avant) qui se situerait dans la mouvance de la 4ème Internationale. IL est daté de fin 2006-début 2007.

 

Ainsi que je l'ai indiqué ci-dessus, je vais m'efforcer de mettre en évidence les idées essentielles, ce qui n'est pas de toute facilité quand il s'agit d'un texte d'une grande richesse.

 

Je commencerai toutefois par une citation en relation avec l'un des principaux sujets d'actualité, et j'en rends compte sans commentaire, tout le monde saisira ma préoccupation :

 

« La représentation du social en termes de classes a de solides arguments, aussi bien théoriques que pratiques. Il est d'ailleurs étonnant que l'on s'interroge souvent sur l'existence ou non du prolétariat, mais jamais sur celle de la bourgeoisie ou du patronat : il suffit d'étudier la distribution des bénéfices et des rentes de situation pour en vérifier l'existence !

 

« Mettre l'accent sur l'actualité de la lutte des classes a un enjeu évident : celui de construire des solidarités par delà les différences de races, de nations, de religions, etc...

 

« Ceux qui ne veulent plus entendre parler de luttes des classes auront en échange la lutte des tribus et des ethnies, les guerres de religion, les conflits communautaires.

 

« Et ce serait une extraordinaire régression, qui malheureusement est déjà à l'oeuvre dans le monde actuel.

 

« L'internationalisation de la lutte des classes est bien le fondement matériel (et non purement moral) de l'internationalisme en tant que réponse des opprimés à la mondialisation marchande. »

 

 

LE CAPITAL « SOCIAL-KILLER »

Je vais encore donner une autre citation. Elle n'est pas sans rapport avec la précédente. Au contraire. Là on vérifie encore pourquoi il faut l'internationalisme. Nous sommes toujours dans l'actualité.

 

Là, Daniel Bensaïd met en évidence la cause : « La logique intime et impersonnelle du capital comme « social-killer »...

 

J'ai pensé un temps titrer ce texte sur cette formule : « Le capital comme social-killer ». C'est une vérité-vraie, et même essentielle. Elle est, elle exprime, l'essence du Capital.

 

Mais là, Daniel Bensaïd nous invite à aller « aux racines », « aux racines de la crise de civilisation », on pourrait aussi faire un titre, je lui laisse la parole :

 

« Quant à l'actualité de l'héritage (celui de Marx bien sûr), elle semble évidente : l'actualité de Marx, c'est celle du Capital et de la critique de l'économie politique, celle de la compréhension de la logique intime et impersonnelle du capital comme « social-killer ».

 

 

UNE CRISE DE CIVILISATION

« C'est aussi, poursuit Daniel Bensaïd, celle de la globalisation marchande.

 

« Marx a eu sous les yeux la globalisation victorienne : le développement des transports et des communications (le chemin de fer et le télégraphe), de l'urbanisation et de la spéculation financière, de la guerre moderne et de « l'industrie du massacre ».

 

« Nous vivons une époque qui lui ressemble beaucoup, avec une nouvelle révolution technologique (internet et l'astronautique, la spéculation et les scandales, la guerre globale, etc...

 

« Mais, là où la plupart des journalistes se contentent de décrire la surface des choses, la critique marxienne nous aide à comprendre la logique, celle de la reproduction élargie et de l'accumulation accélérée du capital.

 

« Elle nous aide surtout à aller aux racines de la crise de civilisation : une crise générale de la mesure, une crise de dérèglement du monde, due au fait que la loi de la valeur – qui réduit toute richesse à une accumulation de marchandises et mesure les hommes et les choses au temps de travail abstrait – devient de plus en plus « misérable » (le mot est de Marx dans les Grundrisse).

 

« De sorte que la rationalisation partielle du travail et de la technique se traduit par une irrationalité globale croissante.

 

 

CRISE SOCIALE ET CRISE ECOLOGIQUE

 « La crise sociale (la productivité génère de l'exclusion et de la pauvreté et non du temps libre) et la crise écologique (il est impossible de gérer les ressources naturelles à l'échelle de siècles et de millénaires par le biais des « arbitrages » instantanés de la Bourse et du Nasdaq) en sont l'illustration criante.

 

« Derrière cette crise historique, qui menace l'avenir de la planète et celui de l'humanité en tant qu'espèce, il y a les limites inhérentes aux rapports de propriété capitalistes.

 

« Alors que la socialisation du travail est plus importante que jamais, la privatisation du monde (non seulement des industries, mais des services, de l'espace, du vivant, du savoir) devient un frein au développement et à la satisfaction des besoins.

 

« Au contraire, la demande de services publics de qualité, le développement de la gratuité de certains biens et services, la revendication d'un « bien commun de l'humanité » (en matière d'énergie, d’accès à la terre, à l'eau, à l'air, au savoir) expriment l'exigence de nouveaux rapports sociaux. »

 

 

L'AFFAIRE DE MILLIONS ET DE MILLIONS DE GENS

Daniel Bensaïd est alors interrogé sur les principaux problèmes théoriques que les marxistes auraient aujourd'hui à résoudre et, précise-t-il de suite, « des problèmes à travailler plutôt qu'à résoudre, car leur solution n'est pas purement théorique mais pratique. Si elle existe, elle sera le résultat de l'imagination et de l'expérience de millions et de millions de gens. »

 

En fait, la précision est d'une grande profondeur théorique et nécessiterait en elle-même un large débat.

 

Daniel Bensaïd considère également qu'il y a aussi des questions à reprendre et à travailler à la lumière d'un siècle d'expériences que ni Marx, ni Engels, ni aucun des pères fondateurs ne pouvait imaginer.

 

Là, j'ai envie de dire, plutôt de souligner à nouveau, que ce n'est pas seulement, et ne peut être seulement , une évidence...

 

 

LE TRAVAIL, SES MÉTAMORPHOSES

Au nombre de ces problèmes, que Daniel Bensaïd qualifie de majeur, il y aurait celui du travail et de ses métamorphoses, « aussi bien du point de vue des techniques de gestion de la force de travail par les procédures de contrôle machinique, que par la recomposition du rapport entre travail intellectuel et travail manuel.

 

« Les expériences du 20ème siècle ont en effet montré que la transformation formelle des rapports de propriété ne suffisait pas pour en finir avec l'aliénation dans et par le travail. »

 

Les partisans du retour aux nationalisations/étatisations devraient y prêter attention.

 

Il poursuit pour d'autres : « Certains ne cachent pas que la solution consisterait dans la « fin du travail », ou dans l'exode (la fuite) hors de la sphère de la nécessité.

 

« Il y a chez Marx une double compréhension du concept de travail : une compréhension anthropologique, au sens large, qui désigne le rapport de transformation (ou de métabolisme) entre la nature et l'espèce humaine ; et une compréhension spécifique ou restreinte, qui entend par travail le travail contraint, et notamment la forme de travail salarié dans une formation sociale capitaliste.

 

« Par rapport à cette compréhension restreinte, on peut et on doit se fixer pour but de libérer le travail et de se libérer du travail, de socialiser le revenu pour aboutir au dépérissement de la forme salariale.

 

« Mais on ne peut éliminer pour autant le « travail » (même si on l'appelle autrement) au sens général d'activité d'appropriation et de transformation d'un environnement naturel. Il s'agit donc de penser les formes sous lesquelles cette activité pourrait devenir créatrice, car il est fort douteux que puisse exister une vie libérée et épanouie si le travail lui-même demeure alièné »

 

 

ÉCOLOGIE : NI MARX , NI ENGELS, NI LÉNINE, NI TROTSKY

Cependant, quelles que soient les raisons qui conduisent Daniel Bensaïd à considérer, et pour l'essentiel, les questions du travail comme le fait Marx, c'est à la « question écologique » qu'il donne aujourd'hui la priorité.

 

« Il y a bien chez Marx une critique de la conception abstraite d'un progrès à sens unique (dans les premières pages des Grundrisse), et l'idée que, dans le cadre des rapports sociaux capitalistes, tout progrès a son revers de dégâts et de régressions (à propos de l'agriculture dans le Capital).

 

« Mais ni lui, ni Engels, ni Lénine, ni Trotsky, n'ont réellement intégré les notions de seuil et de limites.

 

« La logique de leur polémique contre les courants malthusiens réactionnaires les poussaient à parier sur l'abondance pour résoudre les difficultés. »

 

 

L'HOMME, « UN ETRE NATUREL HUMAIN »

« Or, poursuit-il, le développement des connaissances scientifiques nous a fait prendre conscience des risques d'irréversibilité et des différences d'échelle.

 

« Personne ne peut être sûr aujourd'hui que les dégâts infligés à l'écosystème, à la biodiversité, aux équilibres climatiques, seront réparables.

 

« Il nous faut donc corriger un certain orgueil prométhéen et se souvenir que, comme le soulignait Marx dans les Manuscrits parisiens de 1844, si l'homme est « un être naturel humain », c'est d'abord un être naturel, donc dépendant de sa niche écologique.

 

« Si la critique marxiste peut aujourd'hui se nourrir de travaux nés dans d'autres champs de recherche (comme ceux de Saint-Georges), on voit ces dernières années se développer une importante « écologie sociale » inspirée de la critique marxienne (Belles-familles aux États-Unis, Jean-Marie Harribey ou Michel Husson en France, et bien d'autres) ».

 

 

LES STRATÉGIES POUR CHANGER LE MONDE

Pour avoir donné une place conséquente aux thèmes qui apparaissaient les plus importants retenus par Daniel Bensaïd, nous sommes maintenant contraints de restreindre le volume consacré à d'autres.

 

C'est ainsi qu'il considère comme important de penser les conséquences stratégiques des changements en cours dans les conditions spatiales et temporelles de la politique. Sa référence au « travail pionnier » de Henri Lefebvre en la matière est significative...

 

De même pour ce qui est des stratégies pour changer le monde. Moins de quinze ans après la victoire annoncée définitive du capitalisme (la fameuse « fin de l'histoire » selon Francis Fukuyama), l'idée que ce monde du capitalisme réellement existant est inhumain et inacceptable est largement partagée. En revanche, dit-il, il existe un doute très fort sur les moyens de le changer sans reproduire les échecs et les caricatures du socialisme du 20ème siècle.

 

Donc, sans renoncer à la lutte des classes dans les contradictions du système, penser la pluralité de ces contradictions, de ces mouvements (par exemple les mouvements altermondialistes) de ces acteurs, penser leurs alliances, penser la complémentarité du social et du politique sans pour autant les confondre, reprendre la problématique de l'hégémonie et du front unique laissée en chantier par les débats de la 3ème Internationale ou par les Cahiers de Prison de Gramsci...

 

 

DICTATURE DU PROLÉTARIAT ET/OU DÉPÉRISSEMENT DE L'ÉTAT

Il y a aussi ce qui est périmé dans la théorie de Marx.

 

Ainsi, Daniel Bensaïd pense qu'il faudrait reprendre une réflexion de fond sur les notions de dictature du prolétariat et de dépérissement de l'Etat. Les mots n'ont plus aujourd'hui le même sens qu'ils pouvaient avoir sous la plume de Marx. Alors la dictature s'opposait à la tyrannie. La grande nouveauté est la Commune de Paris, un pouvoir d'exception pour la première fois majoritaire. Cette expérience, toutes les formes de démocratie « d'en-bas »...ce n'était pas pour Marx un régime institutionnel défini. C'était plutôt un sens stratégique, celui de souligner la rupture de continuité entre un ordre social et juridique ancien et un ordre nouveau, un « nœud » qu'il convient de trancher...

 

 

UNE AUTRE IDEE DE LA POLITIQUE

De même, et c'est encore une grande question, avec les changements intervenus, Marx pense plutôt la politique comme événement (les guerres et les révolutions) et comme invention de formes (la politique de l'opprimé), la politique de ceux qui sont exclus de la sphère étatique à laquelle la pensée bourgeoise réduit la politique professionnelle. Donc, une autre idée de la politique...

 

Et il y a aussi des « points aveugles » chez Marx, lesquels peuvent favoriser un « court circuit » entre le moment de l'exception (la « dictature du prolétariat ») et la perspective d'un rapide dépérissement de l'Etat (et du droit)...Cela n'aide pas à penser la transition sous ses aspects institutionnels et juridiques. Or, dit Daniel Bensaïd, toutes les expériences du 20ème siècle nous obligent désormais à penser durablement la distinction entre partis, mouvements sociaux, institutions étatiques...

 

 

LA RENAISSANCE DE LA PENSÉE DIALECTIQUE

Enfin, il y a la dialectique. Elle ne peut être traitée brièvement, Daniel Bensaïd s 'en tient donc là à quelques remarques générales.

 

En France, l'idéologie conservatrice, après juin 1848, puis la Commune, a tout fait pour se débarrasser de la dialectique. Le « marxisme introuvable » de Guesde et de Lafargue était d'emblée teinté de positivisme, il lui était difficile de passer d'une « logique classificatoire des définitions à une logique dynamique/dialectique des déterminations »telle que mise en œuvre par Marx.

 

Plus récemment, le structuralisme a pu prolonger ce « refoulement » en donnant à penser des structures pétrifiées, sans évènements ni subjectivité, et des systèmes d'autant plus privés d'histoire que l'histoire réelle du siècle devenait douloureuse à penser.

 

Le marxisme orthodoxe, dès les années 30, a profité de cet état de choses pour établir l'emprise d'un matérialisme-dialectique dogmatisé et canonisé. Ce fut une seconde mise à mort de la dialectique, une sorte de Thermidor dans la théorie.

 

Cette réaction s'est combinée à un autre processus. Sous prétexte de défense, légitime dans une certaine mesure, du rationalisme et des Lumières, une sorte de Front populaire en philosophie a complété le Front populaire en politique, scellant une alliance antifasciste sous hégémonie de la bourgeoisie...Ce fut aussi la victoire posthume de la Sainte Méthode cartésienne sur le dialecticien Pascal...

 

Peut-être assistons-nous à une renaissance de la pensée dialectique. Ce serait un bon signe. Un signe que les vents tournent et que le travail du négatif reprend vigueur contre la communication publicitaire qui nous somme de « positiver » à tout prix, contre les rhétoriques du consensus et de la réconciliation générale.

 

« Il y aurait de bonnes et fortes raisons pour qu'il en soit ainsi : un urgent besoin de pensée critique et dialectique, porté par l'air du temps. »

 

Je pense qu'il conviendra impérativement que nous revenions sur cette thématique.

 

 

Rappel : Daniel Bensaïd intitule son entretien avec les membres du groupe Vpered : « Marx débordait son temps et anticipait sur le nôtre. »)

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6 avril 2011 3 06 /04 /avril /2011 06:32

Michel Peyret
6 avril 2011

 

 

 


  LE NOM VOLÉ D'UNE IDÉE VIOLÉE
par Michel Peyret

 

  

 

C'est de DEMOCRATIE dont parle ainsi celui qui fut, entre autres titres et fonctions, Recteur de l'Académie de Bordeaux, Jean-Claude Martin.

 

Il livre, dans son essai, « Démocratie, le nom volé d'une idée violée », une analyse de ses recherches sur la démocratie et le pouvoir et présente une nouvelle grille d'analyse de ses recherches sur la démocratie et le pouvoir, et présente une nouvelle grille d'analyse des régimes politiques qui aboutit à un constat critique sur les « démocraties » parlementaires existantes.

 

Quand on consulte la table des matières, on s'aperçoit qu'il s'agit d'une somme de 400 pages. Difficile d'en faire un court résumé sérieux

 

Heureusement, Jean-Claude Martin termine son ouvrage par une « conclusion générale » d'une vingtaine de pages dont il est plus facile d'extraire les idées essentielles.

 

 
POURQUOI LA DÉMOCRATIE N'A PAS ÉTÉ APPROFONDIE ?

D'autant qu'il y a une courte conclusion à la générale, et l'habitude prise de « commencer par les fins » nous conduit à en donner connaissance sans attendre.

 

« Si le progrès humain existait, la démocratie, idée née et pratiquée en Grèce, il y a plus de vingt-cinq siècles, aurait été approfondie, améliorée, épanouie et étendue à toute l'humanité. Les hommes et les femmes auraient, partout sur Terre, des droits égaux, associés à des possibilités réelles d'en bénéficier également et concrètement, sans discriminations, mais sans privilège ni excès.

 

« L'état dans lequel se trouve notre planète est tel, après tant d'années d'exercice de gouvernements imposés ou délégués, que seul le peuple paraît pouvoir modifier la trajectoire de son destin qui le mène tout droit vers des catastrophes humaines et écologiques sans précédent. »

 

 

L'ISSUE : CROIRE AU PEUPLE

« Il n'y a d'autre issue que de croire au peuple, insiste le texte, car, à désespérer de lui, c'est l'homme qu'on désespère. Il n'y a pas d'autre issue que l'espoir en nous-mêmes rassemblés en démocratie, pour décider, agir, et mieux vivre, plus nombreux, différents mais semblables. »

 

Jean-Claude Martin considère que, parmi les termes politiques les plus usités, celui qui remporte la palme est, sans doute, le mot « démocratie ». Le mot volé, l'idée qu'il était censé recouvrir a été affadie, dénaturée, et dit-il tout net, violée par ses prétendus défenseurs. Le mot restait encore à définir et la tâche était réputée impossible – dans le sens où aucune définition ne serait acceptable par tous.

 

Il est ressorti du premier examen, que définir la démocratie à partir de la « chose » qu'elle désigne – les systèmes politiques anciens ou actuels qui portent son nom ou se réclament d'elle – ne convenait pas : ils sont tous différents et intègrent dans leur organisation d'autres principes ou critères, liés à des objectifs pluriels.

 

 

LE PEUPLE ET LES POUVOIRS

En reprenant l'étude du mot grec, la démocratie est composée de deux éléments fondamentaux : le peuple et les pouvoirs de gouvernement. Elle exprime la possession de ces pouvoirs par le peuple. Et le peuple, ce sont les gens !

 

Pour Jean-Claude Martin, « la démocratie est un régime politique dans lequel le peuple, avec ses classes inférieures, possède les pouvoirs de gouvernement. »

 

Mais quels pouvoirs sont à considérer parmi le nombre incalculable et de types variés qui peuvent être dénombrés ? Il est donc indispensable de connaître la nature du pouvoir, s'il en a une, unique, et si elle recouvre tout ce qu'on considère comme pouvoirs.

 

L'étude doit donc bifurquer vers un essai de détermination de la nature du pouvoir...

 

 

LA DÉMOCRATIE ET LA LIBERTÉ

L'idée de démocratie est également toujours associée à celle de liberté, dès même l'époque grecque. Mais la liberté est aussi une notion complexe en soi, recouvrant des aspects divers qui ne sauraient être réduits à la liberté de pensée et de décision...

 

Aussi, selon Jean-Claude Martin, « indépendamment de toute notion de morale ou de devoir qui relèvent d'autres critères d'appréciation, on considère qu'un individu est libre, dans une situation donnée de la vie en société, lorsque ses possibilités d'action sont supérieures à l'opposition de contraintes qu'il subit en la circonstance (rapports sociaux, nécessités morales et matérielles, exigences de la loi, etc...), c'est-à dire tant que son pouvoir s'impose, par son effet, à ce qui s'oppose éventuellement à lui.

 

« En conséquence, dit-il, la reconnaissance par le droit de « libertés politiques et sociales : liberté de conscience, d'opinion, d'expression, de communication des idées, de circulation des personnes, de réunion, droit de grève, etc..., ne saurait être considérée comme l'octroi de réelles libertés si les conditions ne sont pas réunies pour que les individus aient le pouvoir de les accomplir...La vision dynamique de la liberté implique que la société donne prioritairement aux faibles, aux défavorisés, dominés ou abusés, le pouvoir qui leur manque...

 

 

LE RÔLE PRIMORDIAL DE L'EXÉCUTIF

« La liberté, poursuit-il, est donc, comme la démocratie, une question de possession de pouvoirs, et la démocratie, quand elle est conçue, non pas comme un régime de droit égalitaire, mais de pouvoir populaire maximum est, alors, le régime de la liberté maximum possible, tout en excluant que cette liberté soit celle « du renard dans le poulailler. »

 

L'approfondissement de l'étude de la démocratie montre que l'objet primordial de l'organisation de la société est exécutif. Il s'agit de répartir entre les individus les tâches nécessaires à la survie, la vie, le bien-être, voire le bonheur de tous...au profit d'une caste ou catégorie sociale ou, pour la démocratie, de tous...

 

« Quoi qu'il en soit, continue Jean-Claude Martin, la démocratie, pas plus qu'un autre régime, ne peut s'envisager sans qu'un système exécutif des fonctions nécessaires à assurer soit mis en place. »

 

 

UNE DÉLÉGATION DE SOUVERAINETÉ

Pour lui, « cela implique donc une délégation de souveraineté populaire en matière d'actions de gouvernement et de décisions, pour celles qui sont propres à l'exécution des tâches...

 

« Soit l'exécutif a trop de pouvoirs et le caractère démocratique du régime est affaibli, soit l'exécutif n'a pas assez de pouvoirs pour réaliser les fonctions nécessaires, et l'efficacité sociale en pâtit.

 

« La solution consiste à mettre en place un contrôle de l'exécutif, avec possibilité de corriger ses dérives, plutôt qu'à trop le ligoter.

 

« Ce mode de contrôle doit être décidé démocratiquement et les corrections suivre les délibérations populaires. »

 

Selon Jean-Claude Martin, le système d'économie de marché en place ne paraît pas pouvoir être changé radicalement, c'est du moins son opinion, après l'échec des pays communistes. Cela génère des excès de pouvoir, des injustices et des inégalités sociales, ainsi que d'énormes pollutions.

 

 

L'ÉCONOMIE DE MARCHÉ ET LES EXCÈS DE POUVOIR

Selon lui, il est de plus en plus évident que, dans un sens de démocratie, voire simplement d'humanisme, il doit être imposé à ce système des règles, concernant notamment le partage des richesses et les effets sur l'environnement.

 

Aussi, Jean-Claude Martin poursuit : « Répartissant les pouvoirs, et les moyens matériels étant des éléments actifs (énergie) de pouvoirs, la démocratie est un régime de partage des richesses. C'est la raison pour laquelle elle ne peut s'épanouir dans un pays pauvre. »

 

Dès lors, il est conduit à considérer qu'il a réuni assez de conditions pour examiner en quoi les « démocraties parlementaires » et tous les régimes représentatifs qui gouvernent l'essentiel des Etats modernes, se conforment ou s'éloignent des principes et propriétés caractéristiques de la démocratie et de leurs implications en matière de gouvernement.

 

 

LES DÉLÉGATIONS ET LES DÉLÉGUÉS

« Que la grande masse des citoyens puisse en permanence effectuer les choix que nécessite le gouvernement de la société est irréalisable. Outre la nécessité qu'il a de déléguer la conduite des actions à un Exécutif, le peuple souverain doit donc, aussi, déléguer à des élus censés le représenter, la part du domaine législatif qu'il ne peut objectivement assumer.

 

« Il est évident que la somme de ces délégations atténue le caractère démocratique du régime représentatif.

 

« Au-delà de la question théorique de représentabilité du peuple, ou de conservation de sa souveraineté à travers la délégation, se pose le problème concret de sa représentation par des délégués issus, en grande majorité des classes sociales dominantes et de leaders politiques et gouvernements formés au même moule.

 

« Le jeu des partis, la possibilité exagérée du cumul des mandats et de réélections successives, aboutit à la constitution d'une véritable oligarchie politique de profession qui confisque les pouvoirs de gouvernement, dont le peuple est propriétaire...

 

 

LA DÉMOCRATIE REPRÉSENTATIVE PEU DÉMOCRATIQUE

Pour le Recteur Martin, à la lumière de l'analyse précédente et de la formulation du degré de démocratie, on se voit contraint de tirer la conclusion, qui en choquera plus d'un, que les systèmes de démocratie représentative parlementaire, sont bien moins démocratiques qu'on le prétend couramment. Ils sont loin de mériter l'estime qu'on leur accorde, en les considérant comme le modèle de démocratie réelle et réaliste.

 

« Le fait, dit-il, est encore aggravé, dans leur formule « présidentialiste » qui leur donne des attributs de monarchie constitutionnelle et atténue, même, les pouvoirs du Parlement. »

 

En fait, montre Jean-Claude Martin, ce sont, plus que tout, des « Etats de droit ». Cette notion à la mode rejoint, dans l'esprit de beaucoup de commentateurs politiques et politiciens, la conception limitée qu'ils ont de la démocratie, pour peu que le droit de vote, même appliqué dans des conditions discutables, y soit reconnu.

 

 

ÉTAT DE DROIT OU POUVOIR POPULAIRE MAXIMUM

« C'est en cela, poursuit-il, qu'il est important de mettre en exergue qu'une vraie démocratie n'est pas seulement un Etat de droit égalitaire, mais de pouvoir populaire maximum.

 

« C'est au pouvoir qui reste au peuple, tout compte fait, en incluant celui qu'il a sur le gouvernement, que se mesure le caractère démocratique des régimes politiques.

 

« Ceux qui, aujourd'hui, prétendent représenter le meilleur modèle démocratique sont les « démocraties libérales » et les « social-démocraties » des pays occidentaux.

 

« Au regard de la plupart des autres, ces systèmes représentatifs sont, sans conteste, des Etats de droit meilleur, surtout en ce qui concerne les droit électoral et le droit d'entreprendre. »

 

 

LIBÉRALISME ÉCONOMIQUE ET DÉMOCRATIE, C'EST INCONCILIABLE

« Mais, poursuit Jean-Claude Martin, la « démocratie libérale » croyant pouvoir régler le dilemme « libéralisme économique-démocratie », allie deux principes qui, sans paraître, a priori, antinomique, sont réellement inconciliables. »

 

Et Jean-Claude Martin d'expliquer que la « main invisible » et supposée « magique » du « libre-marché » ne régule pas l'économie, dans le sens où, accroissant les richesses pour tous, elle donnerait plus de possibilités (pouvoirs par la possession de biens) à tous. Elle accroît, au contraire, les inégalités en générant de plus en plus de richesses pour les riches et en faisant porter le poids des difficultés économiques, réelles ou prétendues, parfois m^me provoquées, sur les pauvres !

 

Elle recrée, ajoute-t-il, une noblesse de l'argent, qui vit côte à côte, en s'en protégeant, d'une catégorie de miséreux, en croissance constance, non seulement dans le tiers et le second monde, mais aussi dans les pays développés.

 

 

UNE NOBLESSE DE L'ARGENT ET DE NOUVEAUX ESCLAVAGES

Les pouvoirs économiques étendus que cette caste privilégiée a accumulés, empiètent sur ceux des gouvernements légitimes. L'oligarchie politique, dépassée ou complice, n'est plus capable de gouverner dans l'intérêt du peuple qu'elle est censée représenter et servir.

 

Le peuple y perd peu à peu le pouvoir d'exercer ses droits fondamentaux et, a fortiori, sa souveraineté. Dans la jungle économique, la démocratie régresse vers un nouvel « ancien régime » aussi difficile à vivre, pour les classes défavorisées, que celui des royaumes et des empires du passé.

 

Dans ce contexte, explique notre recteur, la « social-démocratie » échouant dans ses intentions, n'en est plus l'alternative possible. Elle ne s 'en différencie que par des mitigations qui sont autant d'aveux d'impuissance de ces régimes, que palliatifs à leur caractère démocratique défectueux.

 

La « mondialisation » contrôlée par les tenants de la « démocratie libérale », au lieu de répandre liberté et bien-être, fait renaître de nouveaux esclavages, généralise la domination de l'argent, détruit, de fait, les égalités de principe et reconnaît la liberté d'abuser au nom de la liberté.

 

« Comment, dit-il, dans un tel contexte, le peuple peut-il répondre aux appels au civisme que lui adressent les politiciens qui, par système interposé, dont la légitimité les sert, l'ont dépossédé de son dû ?

 

« Il lui reste la manifestation qui lui fait prendre conscience momentanément du poids du nombre.

 

« Mais il fait souvent les frais de ses révoltes. Le vote-sanction qu'il inflige, stigmatisé pour être un acte irresponsable, est en fait une vraie réponse, seulement décalée, aux questions qu'on aurait dû lui poser...

 

« La déception profonde que le peuple ressent rique d'en pousser la majorité vers un autre excés : li pire choix antidémocratique. »

 

 

EXISTE-T-IL UNE SOLUTION ?

C'est la question que pose Jean-Claude Martin, qui pense qu'elle ne saurait se limiter à quelques arrangements du type de ceux qu'a exploré, en vain, la social-démocratie, ni aux tentatives de « démocratie sociale », « participation » ou autres...

 

« Un progrès net et praticable vers la démocratie directe est seul envisageable. Or, le seul acte de démocratie directe institutionnalisé, le référendum, a été trop souvent utilisé comme moyen de restauration ou de confirmation et de renforcement plébiscitaire de l'autorité de gouvernements en perte de vitesse. »

 

 

QUEL RÉFÉRENDUM POUR UNE DÉMOCRATIE DIRECTE ?

« C'est pourtant, dit-il, le seul moyen d'expression directe et forte de la souveraineté populaire, en matière de conduite de la société.

 

« Une des premières mesures à prendre est de la redresser dans son déclenchement – initiatives populaires et parlementaires -, et dans son déroulement, de plus largement l'utiliser et de l'étendre à tous les niveaux de la vie publique.

 

« Le référendum-débat, dont nous avons jeté les bases, répond à l'exigence de restaurer la souveraineté populaire sur ses propres décisions.

 

« Un premier référendum fondamental devrait, alors, pouvoir lancer un processus de démocratisation qui aboutisse à un nouveau contrat social, une nouvelle constitution, un degré choisi par le peuple lui-même de possession des pouvoirs de gouvernement, donc un degré de démocratie plus élevée. »

 

 

Nous avons déjà donné à lire la conclusion de la conclusion de l'ouvrage...

 

Certes, Jean-Claude Martin n'apparait pas être marxiste.

 

Cependant, même s'il est nécessaire de penser et faire vivre d'autres conditions générant de la liberté et de la démocratie, on peut s'accorder avec lui sur nombre de meures institutionnelles à prendre en compte dans le débat public indispensable.

 

 

SI LE PEUPLE LE VEUT...

Dans cet esprit, dit Jean-Claude Martin, si le peuple le veut, s'il n'est pas grugé une nouvelle fois, l'adoption de mesures que suggère cet ouvrage – limitation du cumul des mandats, suppression des pouvoirs régaliens du Président, du monopole « énarchique », etc...- et d'autres qui s'y ajouteraient, lui permettrait d'améliorer sensiblement la mauvaise démocratie représentative en vigueur.

 

« Il démontrerait, en quelques actes puissants, que la démocratie directe est praticable si elle est appliquée à ce pour quoi elle a été conçue et ce pour quoi elle est mieux adaptée que toute autre: faire que la volonté populaire, non seulement s'exprime, mais prime, sur toute question essentielle de gouvernement de la société des hommes. »

 

 

(pour voir le site : www.la-democratie.fr )

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1 avril 2011 5 01 /04 /avril /2011 06:06

 

Michel Peyret
1er avril 2011

 

 

 


  LE COMMUNISME DE DANIEL BENSAÏD
par Michel Peyret

 

  


 

«Comment définirais-tu ton communisme ?»

 

C'est Franck Gaudichaud, Docteur en Sciences Politiques, qui interrogeait ainsi Daniel Bensaïd le 11 avril 2007, c'est-à-dire quelques jours avant les précédentes élections présidentielles

 

« Nous sommes face au défi d'une reconstruction sociale et politique », cette citation était le titre donné à l'entretien entre le philosophe et Franck Gaudichaud, elle donnait l'ampleur de l'enjeu.

 

 

LE DÉFI D'UNE RECONSTRUCTION SOCIALE ET POLITIQUE

En regard de la situation actuelle, déjà proche de la prochaine consultation, cet entretien ne manque pas d'intérêt, et sur plusieurs plans.

 

Le chemin parcouru depuis, face au défi qu'analysait alors Daniel Bensaïd, est révélateur et instructif.

 

Chacun, bien évidemment, pourra en tirer des enseignements personnels, mais certainement serait-il également profitable qu'un débat plus collectif puisse s'instaurer, certainement sous différentes formes.

 

Pour ma part, dans un premier temps, je poserais cette question : quelle peut être la place de l'élection présidentielle dans les cheminements qui conduisent au nécessaire changement de société quand 72% des salariés français considèrent le capitalisme comme négatif, même à entendre que ces 72% ne soient pas tous convaincus de la nécessité d'en finir avec le système capitaliste ?

 

 

UN RAPPORT DU FMI

Pour donner le ton, mettre en évidence des enjeux nouveaux, l'entretien était précédé d'une introduction de Charles-André Ury de « A l'Encontre » qui reproduit l'entretien.

 

Ce dernier présentait notamment quelques données du rapport du FMI daté lui aussi d'avril 2007.

 

« Lors des deux dernières décennies, les marchés du travail dans le monde se sont intégrés de façon croissante...Les changements politiques et les réformes économiques ont transformé la Chine, l'Inde et l'ancien bloc des pays dits de l'Est, intégrant leurs forces de travail dans les économies ouverte de marché... »

 

 

UN MARCHÉ DU TRAVAIL BOULEVERSÉ

Le rapport poursuivait : « En même temps, le développement de la technologie, combinée avec la levée progrssive des restrictions sur le commerce frontalier, comme sur les flux de capitaux, a rendu possible aux procès de production d'être déligotés et d'être localisés de manière plus éloignée de leurs marchés cibles, cela en vue d'une croissance universelle des biens et des services. La localisation de la production est devenue bien plus réactive aux coûts relatifs du travail d'un pays à l'autre. Il y a aussi eu des courants croissants de migrants passant les frontières, empruntant aussi bien des voies légales qu'informelles... »

 

« Or, dit Charles-André Ury, le prolétariat, au sens réel du terme, est modelé par une histoire nationale, plus exactement par l'histoire de la formation sociale qui lui a servi de creuset. Cette configuration du salariat, prenant en compte les migrants, s'effectue dans un cadre nouveau, dont les traits se transforment d'année en année. »

 

 

QUEL CHAMP POLITIQUE NATIONAL ?

« Le "champ politique national", poursuit-il, tout en gardant une certaine importance (physiologiquement difficile à délimiter), ne jouera plus le même rôle que par le passé, y compris sur le plan stratégique.

 

« C'est, entre autres, dans ce vide référentiel spatio-politique – accentué par le néo-corporatisme syndical et la bourgeoisification des organismes sociaux-démocrates -, que les droites nationales peuvent prendre leur essor et capter une base populaire, en menant une véritable offensive politique et culturelle sur tous les terrains. On va en voir les résultats, en France, au lendemain du 22 avril.(2007)

 

Pour Charles-André Ury, on ne peut en rester à la surface des choses... On ne peut que partager le point de vue de Daniel Bensaîd disant que « quel que soit le problème majeur...on tombe inévitablement sur les questions de propriété... »

 

 

CHANGER LE MONDE EST PLEINEMENT ACTUEL

Pour Daniel Bensaïd, justement, l'idée de la révolution finalement, avec ou sans le mot, n'est pas très difficile à défendre aujourd'hui. Ce qui fait peur, en général, c'est l'association de l'idée de Révolution à celle de violence. En revanche, si on entend par « révolution », la nécessité de changer le monde et, plus précisément, de changer les rapports sociaux, la logique de production et de distribution, cette notion demeure pleinement actuelle...

 

Le doute porte beaucoup plus sur les voies et les moyens. Autrement dit : est-ce qu'il existe des stratégies pour atteindre ce but qui soient valides dans le cadre de la mondialisation ? Une interrogation est donc celle des effets de la mondialisation sur la réorganisation des espaces politiques : car changer le monde, ce n'est pas une idée planante, cela s'inscrit dans des territoires et des rappots de force.

 

 

QUEL CHAMP STRATÉGIQUE ?

« Le champ stratégique dominant du 20ème siècle, dit-il, a été celui de l'Etat-Nation et il n'est pas obsolète...

 

« En même temps, ces espaces nationaux qui ont gardé une pertinence stratégique, sont maintenant étroitement imbriqués dans ce que j'appelle « une échelle mobile des espaces »: régionaux, nationaux, continentaux, voire mondiaux, suivant les thèmes et les questions abordées.

 

« L'Etat reste un des noeuds des rapports de force, mais les rapports de pouvoir économique et politique se sont redéployés sur le plan spatial. »

 

Polémiquant avec Badiou quant à l'idée de communisme, Daniel Bensaïd affirme qu'il a une sympathie pour cette pensée à contre-courant de l'ordre libéral, mais il convient que l'interprétation qui est celle de Badiou est proche d'une sorte de « métaphysique du communisme », plus proche d'une conception miraculeuse de l'évènement.

 

 

QUEL COMMUNISME ?

« Mais, dit-il, cette matrice théorique rend difficile ce que, pour ma part, je considère comme une démarche politique, d'accumulation des forces et d'inscription dans la durée. »

 

C'est alors que Daniel Bensaïd est invité à définir son communisme, y compris en le résumant quelque peu. «

 

« Tout d'abord, une conception dynamique : le communisme n'est pas une utopie et un état des lieux dont on pourrait faire l'inventaire.

 

« Il est plutôt « le mouvement réel qui abolit l'ordre existant », comme disait Marx. Cette définition est certainement insuffisante, car trop « élastique », mais elle a le mérite d'être cohérente et elle répondait à la polémique avec les théories utopistes des années 1830/1840...

 

 

LES FAUSSES PISTES

« Notre époque, dit-il, possède certaines similitudes avec ce contexte de réaction du début du 19ème siècle...

 

« Et la critique des socialismes utopiques de la dernière partie du Manifeste communiste est, en ce sens, d'une certaine actualité.

 

« Le « socialisme féodal » décrit par Marx, courant qui cherche à retrouver un temps pastoral imaginaire de la société médiévale, se retrouve dans certains courants contemporains de l'écologie, notamment de « l'écologie profonde ».

 

« De même, le « socialisme vrai » ou « philanthropique » se retrouve au 21ème siècle, accompagné par un sentiment d'impuissance politique, par exemple au travers de la vogue du micro-crédit.

 

« Non qu'il faille diaboliser le micro-crédit, mais de là à le présenter comme la réponse enfin trouvée au développement du tiers-monde ou à en faire l'apologie comm le fait Paul Wolfowitz....*

 

« On pourrait multiplier les exemples.

 

« Et il y a aussi les utopies libertaires contemporaines, comme il y avait les utopies proudhoniennes à l'époque. Malgré leur intérêt indéniable, ces idéologies ont comme caractéristique commune qu'elles font l'impasse sur la question politique et celle du pouvoir. »

 

 

REGARDEZ LA COMMUNE DE PARIS

« Et à l'autre pôle, on pourrait parler d'une utopie néo-keynésienne qui , elle, essaie – et là aussi on peut y trouver un intérêt réel – de développer des propositions sur le secteur public et le rôle de l'Etat.

 

« Mais, là encore, le maillon politique et la question essentielle des leviers pour y arriver sont absents....

 

« Pour ce qui est de donner une esquisse du communisme et sans chercher à « faire bouillir les marmites de l'avenir », on peut regarder la Commune de Paris. Engels dit : si vous voulez savoir ce qu'est la dictature du prolétariat, regardez la Commune de Paris. Et qu'est-ce que la Commune ? Le suffrage universel, le pluralisme, la révocabilité des élus, l'appropriation sociale, la suppression de l'armée de métier, et...l'absence de Président de la République !

 

« Finalement, quel que soit le problème majeur que l'on désire prendre à bras-le-corps (l'écologie par exemple), on tombe sur les questions de la propriété. »

 

 

MARX RESTE UN GROS MORCEAU

Franck Gaudichaud fait alors remarquer que, dans ses écrits, Daniel Bensaîd se revendique d'un courant « chaud » du marxisme, un marxisme vivant et dialectique, alors que nombreux sont les intellectuels, y compris parmi les critiques du capitalisme, qui parlent désormais d'une « ère post-marxiste », ou réduisent l'apport de Marx à celui d'une « boîte à outils » théorique parmi tant d'autres...

 

Daniel Bensaïd rétorque qu'il s'agit de choses sérieuses et qu'il y a parfois un peu de légèreté dans la façon de les traiter de la part des intellectuels : Marx reste « un gros morceau ».

 

« Certes, dit-il, on peut le dépasser, il n'est pas éternel...

 

« Mais, selon moi, le noyau dur de sa théorie critique est d'une terrible actualité, qu'on la prenne sous l'angle de la mondialisation, de la théorie de la valeur, de la crise de la mesure.

 

« Et ceci pour une raison de bon sens : ce que Marx a analysé à l'état naissant, à partir du capitalisme européen au 19ème siècle, est devenu la loi de la planète...Et je ne vois encore aucun théoricien qui se soit confronté à cette théorie critique pour la dépasser effectivement, que cela soit Castoriadis, certains libéraux ou d'autres...

 

 

LES SYSTÈMES THÉORIQUES, L'INTERVENTION DES PEUPLES

« Derrière ces tentatives, poursuit Daniel Bensaïd, il y a un débat épistémologique sur le rejet ou la crainte des systèmes ou théories de la totalité. C'est vrai, il y a des totalités ouvertes ou seulement partielles, mais ce n'est pas une raison pour évacuer la pensée ses systèmes...

 

« C'est vrai que, dans l'histoire, les universalités abstraites ont pu servir d'alibi à l'oppression coloniale, nationale, de genre, etc...

 

« Mais les opprimés ont su donner un contenu concret aux « universalisables » que sont la liberté, l'égalité des droits, la tolérance.

 

« Et de Toussaint Louverture à Olympe de Gouge, ils ont su s'en emparer pour leurs luttes émancipatrices... »

 

 

L'INTELLECTUEL DE LA CLASSE SOCIALE

Interrogé alors sur le rôle, ou sur les rôles, que peuvent tenir les intellectuels dans ces affrontements idéologiques, théoriques, politiques..., Daniel Bensaïd évoque la formule de l'intellectuel organique rejetée par Bourdieu par exemple et montre qu'il s'agissait en fait du rejet de la tradition stalinienne où l'intellectuel est un faire-valoir pétitionnaire du parti.

 

« Mais, dit-il, pour Gramsci, l'intellectuel organique n'est pas forcément un intellectuel professionnel. Il est avant tout l'intellectuel que produit une classe sociale dans son développement, comme a pu le faire le mouvement ouvrier au 19ème et 20ème siècles, avec d'innombrables intellectuels organiques ouvriers... »

 

Aussi, dit-il, on se retrouve aujourd'hui avec une collection de spécialistes, souvent compétents, mais complètement décrochés du projet politique militant. Il n'y a pas coagulation autour d'une force, autour d'un projet commun. Nous sommes alors face au risque d'une technocratie intellectuelle, d'une expertise, voire d'une contre-expertise qui finit par avoir les mêmes défauts que l'oligarchie qu'elle conteste... »

 

Daniel Bensaïd évoque son choix personnel et ses relations avec Besancenot...

 

 

LE PARTI, LE RISQUE DE BUREAUCRATISATION

On y vient donc très naturellement.

 

Je sais, dit-il, que l'idée de parti est très discréditée : le parti serait la bureaucratie, l'autorité, la hiérarchie, la discipline, etc...

 

« Tous ces dangers sont réels, mais la bureaucratisation n'est pas limitée à la forme du parti. Depuis Max Weber, on sait que c'est une tendance lourde des sociétés contemporaines, qui s'exprime aussi bien dans les syndicats, dans l'administration, dans les ONG et dans divers collectifs.

 

« Dans ces conditions, et paradoxalement, la forme de parti est plutôt une protection et une défense démocratique contre le danger bureaucratique...Car une organisation politique, si l'on reste vigilant, permet de se créer un espace de débat démocratique, où les militants se dotent de moyens de discussion qui ne dépendent pas – ou ne devraient pas dépendre – des puissances d'argent ou de la pression médiatique... »

 

 

LA CRISE DE RÉGIME

Bien évidemment, le débat, l'entretien, en viennent à la situation politique en France, à l'offensive libérale brutale, aux mouvements sociaux importants, à l'évocation d'une crise de régime de la 5ème République, cela à la veille d'élections présidentielles.

 

« Il y a bien une crise de régime, dit Daniel Bensaïd, l'héritage idéologique et le système institutionnel issus du gaullisme sont en pleine décomposition.

 

« Les deux piliers de se système, c'est-à-dire le gaullisme comme force politique dominante, et le Parti communiste (PC) dans ses années de prospérité, sont en crise...

 

 

UN PAYSAGE POLITIQUE TRANSFORMÉ

« Nous sommes donc face à un paysage politique transformé.

 

« Les raisons de cette transformation sont évidemment à chercher d'abord dans les rapports sociaux.

 

« Certains pans de la société se sont réduits, voire écroulés, notamment ceux qui alimentaient la base sociale du PC. Il faut rappeler que l'électorat communiste représentait en France jusqu'à 25% des votes exprimés (en 1969). Même dans les couches moyennes, il semble que le PS et la social-démocratie perdent une parti de ses appuis électoraux, dont les enseignants.

 

« Au travers des privatisations et de la contre-réforme libérale, toutes les valeurs du service public, de la fonction d'Etat, qui ont été un des ciments de ses appuis, sont remis en cause...Ce contexte régressif créée un phénomène de dés-affiliation sociale, d'atomisation, alimenté par les politiques de flexibilisation du travail, d'individualisation des salaires, de destruction des solidarités et des sécurités sociales au profit des intérêts privés. »

 

 

LA DISSONANCE

Daniel Bensaïd montre que sur le plan électoral cela entraîne un phénomène que les politologues nomment la « dissonance », c'est-à-dire un éart grandissant entre les partis et les électorats, tout comme un lien de plus en plus aléatoire entre les deux...

 

« Globalement, poursuit-il, les institutions de la 5ème République représentent le type même de l'héritage bonapartiste.

 

Marx, dit-il, désignait la France comme fondatrice de ce type de fonctionnement politique, que l'on retrouve de Napoléon Premier à De Gaulle, en passant par Mac-Mahon et Clemenceau. D'ailleurs, si Sarkozy gagne, on risque d'avoir pour 5 ans « Napoléon le tout petit. »...

 

« Soit, dit-il, il ne touche pas à la structure institutionnelle et poursuit l'idée d'instaurer un régime présidentiel classique marqué par le bipartisme. Ce choix implique d'exclure davantage ceux qui ne se sentent pas représentés par le système actuel puisqu'il exclut de fait près de la moitié de l'électorat de toute représentation. »

 

 

INTRODUCTION DE LA PROPORTIONNELLE

« L'autre voie possible serait celui d'une réforme de scrutin, limité à l'introduction de la proportionnelle...

 

« Bien sûr, nous sommes favorables à une proportionnelle intégrale, par régions et avec calcul national des restes, pour représenter au plus près la réalité électorale... Mais une réforme institutionnelle véritable devrait, pour être cohérente, supprimer la présidence de la République, le Sénat, accorder le droit de vote aux résidents étrangers, supprimer la tutelle des Préfets sur les Communes, reconnaître le droit à l'autodétermination des départements et territoires d'outre-mer, bref engager un véritable processus constituant !

 

« En France, le fait que les grands partis n'aient pas réussi à imposer un bipartisme qui serait le complément logique de l'évolution vers un présidentialisme fort, est le reflet d'un rapport de force indécis et fluctuant entre les classes. »

 

 

LES RÉSISTANCES, LEURS EFFETS DANS LE CHAMP POLITIQUE

« Nous avons un panorama où les mouvements sociaux perdent, certes, mais ils résistent, ce qui a des effets politiques. Toutes ces résistances d'ailleurs divisent la bourgeoisie sur les manières d'y répondre. Le fait que le leader du centre-droit, François Bayrou, ne se rallie pas à une grande coalition de républicains conservateurs, à l'américaine, rappelle que les contradictions de la société travaillent également le champ politique... »

 

Daniel Bensaïd est enfin questionné sur la possibilité réelle, à moyen terme, pour une grande force anticapitaliste dans l'Europe d'aujourd'hui.

 

« Le possible, dit-il, ne devient pas toujours réel, mais il est une part de la réalité et, historiquement, il y a toujours des possibilités vaincues...

 

 

DES DÉFAITES POLITIQUES

« On a perdu de nombreuses batailles politiques, de différente nature, notamment en 68 et après. Mais il y a surtout une défaite majeure à l'échelle planétaire, c'est la chute du mur de Berlin, même si on ne peut , en aucun cas, regretter la fin du régime bureaucratique soviétique.

 

« Cette défaite, c'est la réintroduction brutale sur le marché mondial, d'un tiers de la force de travail planétaire...

 

« Cela signifie une pression considérable à la baisse sur les conditions de résistances du trravail...

 

« C'est aussi un défi politique où il nous faut redéfinir un horizon stratégique qui s'est effondré. Il nous faut repenser les catégories, car toutes les révolutions du 19 et 20èmes siècles se sont inscrites dans un même dispositif de catégories politiques, qui est né au 17ème siècle : citoyenneté, oui, mais sociale ; guerre, mais populaire;Paris Commune contre Versailles;etc...

 

« Les termes du débat, réforme ou révolution, entre Lénine, Rosa Luxembourg, Kautsky, et d'autres, ne sont pas inintéressants aujourd'hui, mais ils ne suffisent pas. »

 

 

UNE RECONSTRUCTION THÉORIQUE

« Cette reconstruction théorique nécessaire doit affronter le bouillon idéologique de la pensée post-moderne, qui nous raconte la « société en miettes' ou « liquide », et qui entretient la confusion entre épanouissement des individualités et repli individualiste...

 

« Cependant, depuis le début des années 90, il y a un début de ressaisissement. En 12 ans, le paysage s'est recoloré assez vite, mais c'est encore loin du compte.

 

« Personnellement, je ne pensais pas qu'il y aurait des repousses aussi rapides, après l'ampleur du choc de l'offensive néo-libérale. On recommence par le « milieu » comme le répétait Deleuze. Et ce n'est encore qu'un début. »

 

C'était en avril 2007...

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27 mars 2011 7 27 /03 /mars /2011 00:58

 

Michel Peyret
27 mars 2011

 

 


DE L'ÉTAT A L'AUTOGESTION ?
Idées choisies chez
HENRI LEFEBVRE
par Michel Peyret

 

  

 

« La Somme et le Reste », revue d'Etudes Lefebvriennes, publie dans son numéro 19, de mars 2011, de larges extraits de la thèse de doctorat en philosophie soutenue le 20 décembre dernier par Sylvain Sangla, docteur en philosophie .

 

Le tout est précédé d'une courte présentation de Armand Ajzenberg, animateur de la revue, sous le titre : « Henri Lefebvre, le retour », qui met en évidence différentes initiatives, séminaires, publications, colloques qui justifient largement le titre.

 

Sylvain Sangla, pour sa part, intitule sa thèse : « Politique et Espace chez Henri Lefebvre », et c'est dans les extraits de cet ouvrage que j'ai « pioché » ces idées choisies relatives aux deux thèmes annoncés.

 

 

UN LEFEBVRE MECONNU

Pour Sylvain Sangla, Lefebvre reste profondément inconnu ou en tout cas méconnu.

 

Trop marxiste pour les uns, dit-il, Lefebvre ne le fut pas assez pour d'autres. Mis à part une brève période de l'immédiat après guerre (1945-48), il dut lutter contre l'orthodoxie dogmatique marxiste. Sans jamais renier le marxisme, il refuse toujours « la bêtise au front de boeuf » de tout dogmatisme.

 

 

UN MARXISME "CHAUD", "DIONYSIAQUE"

Selon Sylvain Sangla qui reprend là des expressions de Labica, le marxisme de Lefebvre est un marxisme « chaud », « dionysiaque ». Cela veut dire, précise-t-il, que, d'une part, il n'hésite pas à critiquer certains points de la théorie marxiste quand les développements du monde moderne rendent nécessaire une actualisation des idées ou des méthodes, ou quand l'inachèvement des travaux de Marx oblige à inventer du nouveau à partir des principes marxistes.

 

D'autre part, cela signifie que Lefebvre associe toujours révolution et subversion, n'hésitant pas à reprendre certains éléments nietzschéens, ce qui le conduit à faire une critique radicale de la version économiste, étatique et autoritaire du marxisme.

 

Je dois préciser là qu'il n'est pas question de Marx lui-même, lequel a été largement « travesti » par nombre de ses principaux « successeurs ».

 

 

UN OUTIL D'ANALYSE DE NOTRE PRÉSENT

Pour Sylvain Sangla, l'oeuvre de Lefebvre n'est pas seulement intéressante au titre de moment de l'histoire des idées, mais aussi et surtout comme outil d'analyse et de compréhension de notre présent. « Nous le vérifierons à propos de l'urbain », précise-t-il. Notre but ne sera pas uniquement de dresser l'état des lieux de la pensée lefebvrienne de la ville, mais également de voir la validité et l'intérêt de ses écrits par rapport à la situation actuelle. »

 

 

LES CINQ MOMENTS DE L'ŒUVRE

Sylvain Sangla met en évidence cinq moments dans cette oeuvre.

 

Entre 1924 et 1936, le premier moment de la formation, d'un certain mysticisme, des études sur la philosophie allemande, notamment Schelling et Hegel.

 

Puis celui d'une première maturité avec les débuts de la critique de la vie quotidienne, la découverte du marxisme, les monographies d'histoire de la philosophie et de la littérature, entre 1937 et 1956.

 

Le troisième moment, celui de la pleine maturité, avec la rupture avec le dogmatisme marxiste de 1957 à 1965.

 

 

"DE L'ÉTAT", UN OUVRAGE MONUMENTAL

Le quatrième moment se situe entre 1966 et 1979 et correspond aux études sur l'urbain, la ville et l'espace, à la lutte contre le structuralisme, à l'analyse de mai 1968, puis à celle de l'Etat menant à l'ouvrage monumental « De l'Etat » en quatre volumes.

 

Ce livre, dit Sylvain Sangla, est la charnière qui ouvre sur la cinquième période, celle du dernier Lefebvre, de 1980 à sa mort en 1991, caractérisée par un retour à la philosophie et à la réflexion sur l'art et la poésie, par l'analyse de la question du temps et de la rythmanalyse, par le projet de nouvelle citoyenneté, avec les fondations de la revue « M » et du groupe de Navarrenx. (1)

 

« Le relatif regain actuel des études lefebvriennes passe en grande partie par la thématique urbaine et donc avec la perte de cohérence par rapport à l'ensemble de l'oeuvre », dit Sylvain Sangla.

 

 

POURQUOI "ESPACE ET POLITIQUE" ?

« Pourquoi dans notre titre parler d'espace et de politique ? On pourrait croire, dit-il, dans un premier temps, que les deux domaines étaient distincts, voire distants, et qu'il était possible de faire une monographie centrée sur l'espace, la ville et l'urbain...Mais, d'une part, Lefebvre ne dissocie jamais les deux éléments (Droit à la ville et Espace et Politique) et, d'autre part, il réinvestit les acquis de ses travaux sur l'urbain dans ceux sur l'Etat, la politique, la vie quotidienne, le temps...

 

Aussi, paradoxalement, pour bien comprendre ses théories sur l'espace, il ne faut pas se limiter à leur compréhension interne mais voir aussi en quoi et comment elles s'articulent à la critique de l'Etat et de la politique. Ses travaux ne s'arrêtent donc pas à « La production de l'espace » mais débouchent sur une autre somme, « De l'Etat. »

 

 

DU QUOTIDIEN AU MARCHE ET A L'ÉTAT

"De l'Etat" synthétise une grande partie des livres et des concepts lefebvriens. Un de ses points de départ est l'analyse de la vie quotidienne, ce qui lui semble en être le coeur : la quotidienneté en prise avec les puissances du marché capitaliste et de l'Etat..

 

Il développe ainsi une constellation de concepts : aliénation, mystification, différence, urbain, centralité, mondial, rythmes, nouvelle citoyenneté, utopie, autogestion...

 

Ces concepts rentrent dans des rapports déterminés dont l'une des clés d'articulation est l'autogestion. En effet, dit Sylvain Sangla, Lefebvre prenant très tôt conscience de l'aliénation multiforme de l'homme, il n'aura de cesse que de chercher des moyens de libérer l'humanité de cette aliénation fondamentale.

 

 

ET A L'AUTOGESTION

« La révolution de la quotidienneté, dit-il, qui est le critère même de toute révolution, sera le but à atteindre grâce à l'autogestion généralisée, étendue à tous les aspects de la vie quotidienne... »

 

« Ce projet autogestionnaire est tout d'abord présent en creux, par la négative, puisqu'il s'agit de mettre fin à l'aliénation en tant que perte du sens et de la pratique de la communauté, que dissociation des activités humaines devenant des abstractions ("la politique", "la culture", "l'économie", etc...).

 

« Cette aliénation produit une atomisation de la société en individus isolés, véritable individualisme de pauvres individualités.

 

« Lefebvre retrouve le projet communiste de Baboeuf, Saint-Simon et Fourier ce qui fait dire qu'il fait une lecture anarchisante de Marx. »

 

 

UNE LECTURE ANARCHISANTE DE MARX

« Ce jugement nous semble vrai, ajoute Sangla, nous le confirmerons à propos des théories de l'Etat, Lefebvre ajoutant qu'il s'agit de positions que l'on trouve chez Marx, notamment dans la « Critique des programmes de Gotha et d'Erfurt », et chez Lénine, notamment dans « L'Etat et la Révolution.

 

« Penser le marxisme et l'anarchisme comme antithétiques ou, au contraire, comme des variations au sein de la pensée communiste, sera une alternative à examiner, par rapport à la pensée lefebvrienne et par rapport à la situation actuelle... »

 

Aussi, Sylvain Sangla met-il en évidence que la définition lefebvrienne de l'autogestion et du rôle qu'elle tient dans sa pensée sera un fil conducteur de son étude, inséparable de ses analyses de l'urbain et de l'Etat, sans oublier l'arrière-fond de la vie quotidienne.

 

« C'est peut-être ce couple « vie quotidienne/autogestion » qui structure toutes les analyses de l'urbain et de l'Etat, comme, dit-il, noue essaierons de le montrer dans notre chapitre sur « De l'Etat », en revenant brièvement sur les heurs et malheurs de l'autogestion en France... »

 

 

DU PRÉSENT AU FUTUR, DANS LES CONTRADICTIONS

En avançant, Sylvain Sangla attire l'attention sur, toujours chez Lefebvre, cette perpétuelle attention au futur, c'est-à-dire aux mouvements et contradictions du monde présent, indissociable du marxisme, ou du moins du marxisme véritable.

 

« Rappelons, dit-il, que Lefebvre s'est toujours voulu marxiste.

 

Par exemple, il évoque en 1983 la nécessité « d'aller au-delà du mode de production existant et dominant, c'est-à-dire du capitalisme », alors que « la lutte des classes, multiforme, s'étend à l'espace, au temps, aux institutions. »

 

 

UNE ÉXIGENCE ANTIDOGMATIQUE

Ce qui ne l'empêchera pas, montre Sylvain Sangla, d'appliquer au marxisme lui-même son exigence critique, antidogmatique. Ainsi, toujours en 1983, lors de la célébration du centenaire de la mort de Marx, il anajyse certaines de ses lacunes : réduction de la ville à un simple support du processus de production/consommation ; survalorisation du travail par rapport à l'ensemble des dimensions de la vie quotidienne (transports, loisirs, famille, culture, etc...); sous-valorisation des problèmes liés aux temps et espaces sociaux (« Cette lutte pour l'espace et le temps, c'est-à-dire pour leur emploi et leur usage, est une forme moderne de la lutte des classes que n'a pas prévu Marx. ») ; survalorisation de l'industrie au regard de l'agriculture et des problèmes de la réforme agraire ; négligence de la sphère de l'informationnel ; écueil historique de l'Etat, de son analyse et de sa critique.

 

 

APPROFONDIR MARX, COMPRENDRE LA MODERNITÉ

Sylvain Sangla nuance : « Il faut remarquer, dit-il, que la plupart de ces critiques visent plus les marxistes que Marx lui-même, étant donné l'incapacité dans laquelle il se trouvait de saisir des phénomènes inexistants ou simplement en germe à son époque. »

 

Et il ajoute que, dans le même texte, Lefebvre fait remarquer qu'il se permet d'insister sur ces concepts, notamment celui de mode de production étatique, qui ont fait dire qu'il n'était plus marxiste, mais qu'il s'élève contre cette assertion.

 

« Réfléchir sur l'influence de Marx, approfondir ses concepts, les utiliser comme des instruments pour comprendre la modernité et pour poser ses problèmes, serait-ce incompatible avec le marxisme ?

 

« A coup sûr, c'est incompatible avec le dogmatisme marxiste.

 

« Au cours d'interminables controverses, tout ce qui n'était pas strictement dogmatique était considéré comme révisionniste et tout ce qui n'était pas révisionniste se traitait de dogmatique.

 

« Ces deux termes étaient devenus des espèces d'injures rituelles que l'on se lançait à la figure, en croyant former deux camps opposés.

 

« De telles controverses font partie de l'influence de la pensée marxiste ainsi que de son histoire. Elles n'ont pas contribué à se fécondité. »

 

 

L'ŒUVRE DE MARX DEMEURERA UNE REFERENCE

Lefebvre poursuit : « On est amené aujourd'hui à poser quelques questions en ce qui concerne le rôle de Lénine et du léninisme dans ces querelles et surtout dans leur ton...

 

« En ce qui ne concerne, dit-il, j'ai toujours refusé et je refuse de me laisser enfermer dans l'alternative « dogmatisme »- « révisionnisme », alternative aujourd'hui quelque peu désuète.

 

« D'autre part, je récuse l'appellation encore fréquente « marxisme-léninisme » et je me déclare beaucoup plus marxiste que léniniste.

 

« Je pense et j'affirme que l'oeuvre de Marx doit rester pour nous et notre époque une référence constante, un point de départ – mais non un point d'arrivée.

 

« Elle doit aussi passer par une critique vigilante et incessante.

 

« Quant à Lénine et au léninisme je dois reconnaître que j'aurais à ce propos une certaine autocritique à faire. A une certaine époque et malgré beaucoup de précautions, certains écrits sur Lénine et le léninisme n'ont pas échappé à un certain dogmatisme.

 

« Mais comment échapper complètement à son époque. »

 

Bien évidemment, il n'est pas question, et en aucune façon, de conclure l'analyse de l'apport de Lefebvre à cette seule pensée. Mais que d'autres soient à même de faire une autocritique de ce genre aiderait sans doute à faciliter les réflexions pour l'avenir en de nombreux domaines.

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25 mars 2011 5 25 /03 /mars /2011 01:36

 

Michel Peyret
26 mars 2011

 

 


En un mot :
LA DÉMOCRATIE !

par Michel Peyret

 

 

 

Mes dernières réflexions, sous le titre : « Le nouveau temps des révolutions », m’ont valu de nombreux retours, la plupart pour me remercier, d’autres pour questionner, poursuivre le débat. Dans cet esprit, et pour aller plus loin dans des débats loin d’être clos, quelques de mes réponses.

 

 

KADHAFI

Kadhafi, je n’ai aucune sympathie pour lui, plutôt le contraire. Est-il cependant le seul tyran à martyriser son peuple un jour ou l’autre ? Et ces autres tyrans ont-ils eu, et ont-ils encore, "droit aux mêmes égards" ? Mais c’est vrai aussi que l’on ne peut pas laisser faire, solidarité entre peuples oblige ! Mais là, ce n’est pas la solidarité des peuples ! Sarkozy et quelques autres bienfaiteurs des peuples ! la plaisanterie serait bonne si l’affaire n’était pas sérieuse ! Les interventions dans les affaires intérieures des peuples sont une pratique constante et permanente des dirigeants impérialistes. Un autre exemple : Bush et les tours de New-York pour pouvoir intervenir en Irak ! Et derrière, le pétrole, déjà, ou encore, le pétrole, le pétrole qui tue des milliers de personnes tous les jours, mais dont l’impérialisme veut s’assurer la maîtrise ! Comment faire des profits si les capitalistes n’ont pas pas la maîtrise du pétrole pour faire tourner l’économie ?

 

Ici, les pays intervenants, pays à régime capitaliste, pays coloniaux ou ex-coloniaux ou néo-coloniaux ! Est-il possible d’avoir des doutes sur la "pureté" des intentions ? La naïveté doit avoir ses limites, et cela ouvre une question, une vraie question celle-là : quels sont les objectifs réels de ces grandes puissances ? Cela étant, la "guerre" était-elle la seule façon d’intervenir ? Ces pays capitalistes ne disposent-ils pas d’autres moyens de pression, n’en n’ont-ils pas plutôt toute une gamme, avec progression possible ? Pourquoi le pire, l’intervention militaire, et donc la guerre tout de suite ? Mais fondamentalement, avec cette intervention, n’est-on pas dans les "contradictions inter-impérialistes" ? Quels intérêts contre quels intérêts ? La maîtrise du pétrole est-elle le seul centre d’intérêt ? N’y a-t-il pas d’autres enjeux ? Voilà donc une première série de questions auxquelles il faudrait répondre pour être crédible.


CROISADE, EST-CE SEULEMENT SPIRITUEL ?

Le terme de croisade, seulement "spirituel" ? Les guerres de religion, que nous avons bien connues, étaient-elles aussi et seulement de caractère spirituel ? Beaucoup y voient les premiers affrontements entre bourgeoisie et féodalité/royauté. Les croisades n’avaient-elles pas, par delà les objectifs spirituels affichés, également des objectifs économiques ? Pourquoi donc certaines d’entre-elles se sont-elles terminées par des sièges et des saccages de villes, de Constantinople par exemple ? Pourquoi certaines de ces croisades se sont-elles trompées de chemin, telle celle qui s’est retrouvée en Arménie par exemple ? Et pourquoi n’était-ce souvent que les cadets des grandes familles féodales, lesquels cadets ne bénéficiaient donc pas du droit d’aînesse, qui partaient pour la croisade ? Et n’était-ce pas la constitution de fiefs, dans cet Orient à la civilisation brillante, qui était en fait un des objectifs principaux ? Donc, si je parle de croisade, ce n’est pas des motivations religieuses que j’évoque, mais bien des objectifs économiques, stratégiques, que sais-je encore ?

 

DES PEUPLES LIBRES !

Effectivement, le peuple libyen se voit refuser le droit de choisir son modèle de gouvernement ! Mais est-il le seul parmi ces peuples, ou est-ce plutôt la règle générale jusqu’à il y a peu ? Le peuple iranien n’était-il pas un des rares à avoir acquis quelques droits, dont celui d’élire une partie de ses dirigeants, après deux révolutions ? Et puis, dites-moi, le peuple français est-il aussi libre de choisir son gouvernement et son régime qu’on veut bien le dire ? La question est fondamentale : un peuple est-il libre sous un régime capitaliste, même si les formes sont différentes de celles de la Libye et de maints autres pays ? Et le peuple américain est-il libre ? Que se passe-t-il dans le Wisconsin ? Et je reviens au boycott des élections en France : pourquoi ce boycott est-il devenu majoritaire ? La démocratie est-elle si démocratique que cela ? N’avez-vous là rien à dire sur les avantages de la "démocratie représentative" ? Est-elle la seule forme de démocratie possible, ou même réelle ?


DES PEUPLES VERSATILES !

Les peuples des pays arabes seraient-ils les seuls à être versatiles ? Mais pourquoi donc l’Allemagne, la Russie, la Chine, après s’être abstenues sur la résolution ont-elles critiqué l’agression dès ses premières manifestations ? Versatilité aussi ? Et dites-moi encore si vous connaissez quelque pays au monde qui ne change pas de position au gré des circonstances, lesquelles ne sont jamais les mêmes, sinon il n’y aurait pas d’histoire... Et qui plus est s’agissant de pays dont les dirigeants réels ne sont pas ceux qui s’affichent dans le pays même, ne sont en réalité que des pantins dans le système néo ou post-colonial ? Et savez-vous quelle est l’indépendance de décision dont dispose le Président de la République française vis-à-vis des dirigeants des grands groupes capitalistes ? Enfin, dernière question : à l’ONU, pourquoi ce sont seulement quelques pays, et lesquels, ceux du Conseil des sécurité (les membres permanents) qui décident la plupart du temps ? Pourquoi n’est-ce pas plutôt l’Assemblée générale ? Pourquoi l’ONU n’est-elle pas démocratisée en ce sens ?


NOTRE TÂCHE PRINCIPALE

Alors, nous, peuple français, en dehors de la solidarité que nous devons à tous les peuples, nous avons une tâche première : en finir chez nous avec le capitalisme colonial dont je parle, et qui perdure, et qui exploite, qui domine, et qui aliène le peuple français et d’autres peuples ! C’est notre tâche principale !


LE DÉBAT SUR LES ÉNERGIES

Le pétrole ne tue pas qu’en Libye, il tue en France, tous les jours, partout, presque dans tous les actes de la vie de chacun. Les centrales, c’est différent, et il n’y a pas que les centrales, il y a aussi les bombes, y compris celle à l’uranium appauvri, qui d’ailleurs serait utilisé en Libye aussi, je ne reviens pas sur Hiroshima. Je pense que vous connaissez la différence entre la fusion et la fission, je devrais dire les différences, tout est différent. Mais bon, ou mal plutôt, sur ces questions de l’énergie, donc de grandes questions. Et il y a le capitalisme productiviste qui développe la production de marchandises pour produire des profits maxi. Et donc de forts besoins d’énergie. Et il y a la société qui pourrait lui succéder, qui pourrait ne pas être productiviste et se contenter de répondre aux besoins des hommes. Je suis donc pour que les hommes, je veux dire les êtres humains, débattent de ces questions de l’énergie et décident de ce dont ils ont besoin et de ce qu’il faut pour le satisfaire.


http://img11.hostingpics.net/pics/433670grec3cb22.jpgLA DÉMOCRATIE

Ce débat est difficile sous le système capitaliste, la démocratie ne peut exister avec le capitalisme, Anicet Le Pors disait, ou rappelait, que quelqu’un disait que, là où est la propriété là est le pouvoir. Quand les êtres humains se seront libérés du capitalisme et pourront décider en toute liberté, on pourra avoir le vrai débat. Mais, on le voit bien, le débat ne peut pas attendre, il faut qu’il ait lieu ici et maintenant, même s’il ne sera pas totalement vrai. Le capitalisme doit aussi tenir compte des rapports de forces qui s’établissent dans la société, et aussi ils sont prêts à faire de l’argent avec n’importe quelle énergie. Mon opinion, c’est donc la démocratie, le maximum de démocratie possible.

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25 mars 2011 5 25 /03 /mars /2011 01:24

 

Michel Peyret
21 mars 2011

 

 


LE NOUVEAU TEMPS
DES RÉVOLUTIONS

par Michel Peyret

 

 

 

La France vient de déclarer la guerre. Elle vient de prendre la tête d'une nouvelle croisade !

 

Certes, Kadhafi n'est pas un saint homme. Mais pas plus ni moins que les héritiers du colonialisme français qui a construit une partie de la prospérité du capitalisme de notre pays, sa richesse, sur les conquêtes coloniales, le pillage des pays colonisés et les guerres et les massacres de populations qui ont accompagné la constitution de l'empire., voire sa perpétuation sous d'autres formes jusqu'à nos jours.

 

 

LE CHAMPION D'UN NOUVEAU GENRE

Un des pays parmi les plus colonisateurs qui veut donner des leçons aux autres peuples, jusque et y compris en leur déclarant la guerre, voilà le champion d'un nouveau genre !

 

Pendant ce temps, à l'autre bout du monde, un autre peuple se débat dans les affres et les suites d'un tsunami, largement destructeur et tueur, qui le place sous la menace d'une catastrophe nucléaire qui pourrait avoir des conséquences désastreuses.

 

Et là, ce sont quelques aboyeurs qui, faisant fi des douleurs et des malheurs de tout un peuple admirable, essaient de régler les comptes qu'ils ne sont pas arrivés à mener à bien jusqu'alors confrontés qu'ils sont à la majorité du peuple français.

 

Et qui ne veulent pas entendre que, énergie pour énergie, le pétrole tue chaque jour des milliers de personnes de par le monde, sans que personne ne se soucie d' informer les populations des menaces mortelles dont elles sont victimes !

 

 

UN PEUPLE ADMIRABLE

Un peuple qui, le seul encore, a connu à Hiroshima et à Nagasaki, les « bienfaits » de bombardements nucléaires qui devaient, non point mettre fin à une guerre quasi-terminée, mais participer d'une démonstration de « force », sinon de civilisation, à l'entrée de ce que l'on a appelé la « guerre froide », ce qui n'en constituait pas moins un crime immense et témoignait d'un cynisme dont seul Hitler avait fait preuve jusqu'alors, ce dont un homme, ou plutôt un système, pouvait être capable sur le chemin de l'immonde et de l'inacceptable !

 

Et cela, sans encore en venir, dans les prémisses de la « chute du Mur de Berlin », à ce que fut Tchernobyl comme résultant, selon un rapport de l'époque, d'une étonnante, sinon incompréhensible, série d'erreurs humaines...

 

 

DES ELECTIONS MAINTENUES

Et c'est dans cet ensemble, dans ce contexte, où chacun trouve les origines, les causes, de profondes interrogations et inquiétudes que les élections cantonales furent maintenues, ce qui ajoute au nombre des interrogations, cette quasi-simultanéité entre notamment le temps de la déclaration de guerre et celui de élections n'étant guère propice au climat de profonde sérénité réclamé par la tenue d'un scrutin en principe démocratique, d'élections en principe sérieuses, même à considérer qu'elles ne seraient pas d'une importance majeure !

 

Aussi, je voudrais bien trouver quelque personne qui oserait me dire que « l'abstention », lors de ces élections cantonales, destinées à gérer le territoire national au niveau des départements, selon les directives et les orientations d'un Etat capitaliste dominé par les grandes entreprises du même nom, et dont le président, dit de la République, n'est en fait que le fondé de pouvoir, est profondément anormale.

 

 

ABSTENTION OU BOYCOTT

Il est vrai que ce que l'on nomme « abstention », et que je préfère appeler « boycott » en ce que ce terme a un contenu positif affirmé, et non passif, n'est pas un phénomène nouveau. Il ne cesse de s'amplifier d'élection en élection jusqu'à devenir majoritaire à toutes les élections. Les nouveaux élus ne semblent pas avoir honte de l'être dans ces conditions, qui font cependant que , dans certains cas, les résultats obtenus ne sont pas considérés comme étant valables, et qu'il est nécessaire de revoter.

 

Bref, ces élus semblent s'accommoder d'être des mal-élus, faisant fi de la volonté et des motivations des électeurs, de la majorité des électeurs et de ce que ce boycott exprime, ce qui certainement entraîne une situation qui ne peut durer, sauf à provoquer la colère et la révolte, sous d'autres formes, de ces majorités qui seront alors confortées par nombre de votants qui n'ont pu se résoudre à ne pas prendre le chemin des urnes même partageant les opinions de ceux qui ne l'ont pas pris.

 

 

CONNAITRE LES MOTIVATIONS

Quiconque attaché à la démocratie chercherait à savoir ou connaître quels sont justement les cheminements de pensée qui conduisent à ces majorités à ne pas prendre la voie des bureaux de vote. Ce pourrait être instructif. Mais je connais la réponse, en fait plutôt la non réponse, que l'on m'oppose d'habitude quand je dis ma préoccupation, mes préoccupations, relatives à l'importance de ce boycott. Les électeurs qui votaient bien jusqu'alors seraient brusquement devenus « débiles », je dis débiles mais le terme employé n'est pas, d'habitude, si relevé !

 

Et quand j'ajoute que quelque 70% des Français ne voulaient pas du projet gouvernemental et présidentiel relatif aux retraites et demandaient son retrait pur et simple, et que je ne comprends pas pourquoi une partie de l'Assemblée et du Sénat est allée prendre part à la discussion du projet, je perçois quelque incompréhension, sinon agacement, chez certains de mes interlocuteurs.

 

 

D'ABORD LES QUARTIERS POPULAIRES

Et ces incompréhensions et agacements deviennent ostensibles quand j'ajoute que le boycott est d'abord et avant tout celui des quartiers populaires, ceux qui, hier, fournissaient l'essentiel des voix qui se portaient sur le vote communiste !

 

Pourtant, à l'évidence, les partisans du boycott partagent le sentiment que ce n'est pas, ou que ce n'est plus, des élections que peut venir leur salut, l'amélioration de leur sort. Du moins s'agissant de ces élections dites représentatives, et qui en fait les dépossèdent de leur souveraineté.

 

Plus largement même, il apparaît que leur boycott est la forme qu'ils aient choisi pour dire puissamment, et à peu de frais, leur rejet de tout le système capitaliste et de ses institutions dites démocratiques !

 

 

LE CAPITALISME NEGATIF A 72%

En effet, ils sont 72% à dire dans les enquêtes d'opinion que le capitalisme est pour eux négatif, et certainement plus de la moitié à considérer qu'il convient, ici et maintenant, de changer de société et d'institutions.

 

En ce sens, leur boycott est en même temps un immense appel pour une démocratie nouvelle qui ne les déposséderait pas de leur souveraineté, certainement une forme de démocratie directe telle celle que Jean-Jacques Rousseau préconisait, c'est-à-dire assortie du droit de récuser l'élu qui ne reste pas fidèle à ses engagements pris.

 

On comprend les réticences de ces élus pour de telles propositions qui les conduiraient à la remise en cause constitutionnelle de ce qui établit le système capitaliste, protège et garantit sa pérennité.

 

Pourtant, parmi ces élus, il y a des élus qui se réclament du PCF, lequel avait, en son temps, appelé le peuple français à dire NON à ces institutions qui établissaient les formes d'un pouvoir personnel et monarchique qui fait des élus, et notamment du Président de la République, les gestionnaires à perpétuité du système capitaliste alors que, dans le même temps, le peuple manifeste et réitère son rejet de ce même système !

 

 

PRENDRE EN LES CHANGEMENTS DANS L'OPINION

Certes, tout un temps, les électeurs ont pu partager ce respect de ce que la majorité d'entre-eux avait décidé.

 

Mais, aujourd'hui, il est devenu temps de prendre acte des changements intervenus dans l'opinion majoritaire des électeurs et d'accompagner leur boycott comme étant une des formes de lutte pour un système qui établirait une démocratie véritable leur permettant d'être souverains en permanence et non plus seulement représentés.

 

Ce changement me semble même devenu urgent.

 

Aujourd'hui, parallèlement aux souhaits de la majorité du peuple français, ce sont les peuples de l'ex-empire français en Afrique du Nord et en d'autres pays anciennement colonisés qui se rebellent et se révoltent contre des dirigeants trop fidèles à l'ancienne puissance colonisatrice.

 

 

SE DONNER FORMES ET MOYENS DE LUTTE

Le peuple français a exprimé de différentes façons sa solidarité avec les révoltes et les révolutions en cours. Nous avons entendu : nous sommes tous des Tunisiens ou nous sommes tous des Egyptiens....

 

Le temps semble venu pour le peuple français de se donner les formes et les moyens de lutte pour lui-même en finir avec la dictature que lui impose en fait le capital pour maintenir ses hommes comme gestionnaires des différents niveaux de l'Etat capitaliste.

 

Ces jours prochains, la majorité de la classe politique française va utiliser la peur que suscite sa création du FN pour agiter, comme Mitterrand a su le faire en son temps, le spectre d'un régime totalitaire.

 

Mais c'est la politique qu'elle mène au service du capital qui est elle-même totalitaire, de plus en plus totalitaire même, c'est-à-dire de plus en plus hostile, et même profondément hostile, aux aspirations profondes que la majorité du peuple français vient d'exprimer.


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