... Je le redis : Telle est la grande utilité de l’analyse profonde des erreurs, ce qui doit finir par devenir une norme de conduite permanente de tous les dirigeants, à toutes les instances, à tous les niveaux. Celui qui ne le fait pas viole son principal devoir de dirigeant.
La réalité des chiffres dépasse toutes nos aspirations et tous nos désirs. L’arithmétique la plus élémentaire nous apprend que deux et deux font quatre, pas cinq ni six, comme je l’ai dit une fois ici. Il n’y a pas besoin d’être économiste pour le comprendre. Et cette fois-là, j’ai ajouté : « mais parfois, à cause de nos déficiences, deux et deux font trois. » Ainsi donc, si à un moment donné nous voulons faire en matière économique et sociale quelque chose qui dépasse les ressources disponibles, sachons d’avance les conséquences et soyons conscients que les faits s’imposeront irrémédiablement à la fin dans toute leur brutalité, malgré toutes nos bonnes intentions.
Cuba compte des dizaines de milliers de diplômés en économie, comptabilité et finances, pour ne citer que ces professions, et nous n’avons pas su les utiliser dûment pour développer notre nation dans l’ordre.
Nous possédons le plus valable – le compañero Fidel en a parlé bien des fois - le capital humain, que nous devons utiliser avec le concours de l’Association nationale des économistes et comptables (ANEC) afin d’éduquer dans ce domaine, d’une manière constante et systématique, notre peuple instruit et ses dirigeants à tous les niveaux. Une forte représentation du Comité national de l’ANEC a participé – avec nous et plusieurs des dirigeants présents, et la totalité ou presque du Conseil des ministres - aux premiers séminaires sur les Orientations que nous avons organisés, et nombre de ses membres sont fortement impliqués dans les discussions en cours. La direction nationale au complet a assisté à ces séminaires, et ensuite les autres se sont incorporés à cette activité dans les provinces et les communes, directement, avec les militants du parti et la population.
Il faut souligner dans ce sens la contribution décisive apportée par des milliers de comptables afin que la comptabilité retrouve la place qu’il lui correspond – vous savez de quoi je parle, vous savez comment va la comptabilité dans notre pays, dans presque toutes les entreprises – dans la direction de l’activité économique qui, comme nous le savons, est une condition indispensable au succès ordonné de tout ce que nous nous proposons.
Dans ces circonstances, nul ne peut oublier l’importance qu’il y a de maintenir une approche différenciée de la jeunesse – j’aborde un autre point, celui des diplômés universitaires et des techniciens du secondaire, comme cela apparaît dans la première résolution du ministère du Travail - et, par conséquent, je dois souligner la décision d’exclure du processus de mise en disponibilité les jeunes diplômés durant leur époque de service social. Sinon, ils seront les premiers sacrifiés.
Il ne s’agit pas de les situer à des postes sans rapport avec leurs études, comme cela est arrivé par le passé – au point que certains se retrouvaient portiers, indépendamment de leurs titres ou de leurs connaissances théoriques – parce que cette période du service social est conçue justement pour les former directement sur les lieux de production et de services, pour compléter dans la pratique la formation reçue sur les bancs de l’école et cultiver en eux l’amour du travail. Si nous ne faisons pas comme ça, nous sacrifions l’avenir immédiat, car ce sont nos successeurs.
Non moins importante est la tâche des cadres et spécialistes impliqués dans la mise au point et la révision des documents légaux en rapport avec les modifications introduites peu à peu. Ainsi, rien que pour assurer la couverture légale – car on ne peut faire un seul pas sans en donner d’abord le fondement juridique – de deux Orientations (158 et 159), concernant l’exercice du travail à son compte, de son régime fiscal et du processus de mise en disponibilité, il a fallu émettre presque trente dispositions entre décrets-lois – nous avons adopté ici aujourd’hui ceux qui ont été promulgués durant cette période - accords du gouvernement et résolutions de ministères et d’instituts nationaux.
Voilà juste quelques jours – voyez cet exemple - une résolution du ministère des Finances modifiant le prix d’achat au producteur d’une série de produits agricoles a entraîné l’invalidation de trente-six autres résolutions antérieures de cet organisme, et toujours en vigueur. Qui peut donc maîtriser une activité de ce genre, la fixation des prix des produits agricoles non vendus selon la loi de l’offre et de la demande, s’il doit recourir à trente-six documents ! Vous avez beau avoir des ordinateurs, c’est impossible. Et ainsi, vous avez de nombreuses décisions qui viennent remplacer les précédentes, comme ça, etc… Une seule décision en a remplacé trente-six toujours en vigueur !
Ceci vous donne une idée du travail qui nous attend encore en matière de restructuration juridique afin de renforcer l’institutionnalisation du pays – non parce que nous adorons les papiers, mais parce que toute activité doit être régulée par un document adopté officiellement - et d’éliminer tant de prohibitions irrationnelles que nous avons maintenues pendant des années sans tenir compte des circonstances, ce qui a créé le bouillon de culture idéal à de nombreux agissements en marge de la loi et provoqué fréquemment la corruption à différents niveaux. La vie nous conduit à cette conclusion : les prohibitions irrationnelles favorisent les violations, ce qui conduit à la corruption et à l’impunité. La population a donc tout à fait raison d’exprimer ses préoccupations – et elle l’a fait dès l’analyse de mon discours de 2007, qui n’était pas un discours qu’il valait la peine de discuter avec la population, mais de toute façon, on a dit aux gens : « Bon, d’accord, discutez-en », et j’ai moi-même rendu compte ici des résultats de cette enquête ; ça a servi en plus à tirer des leçons et des expériences pour tout ce que nous sommes en train de faire maintenant, et nombre des prises de position de ce moment-là apparaissent dans les Orientations dont nous discutons aujourd’hui, c’est donc un processus de plusieurs années - devant les démarches tracassières relatives au logement et à la vente-achat de véhicules entre personnes, pour ne citer que deux exemples de situations dont la solution ordonnée fait l’objet d’étude.
Car, et Marino le rappelait hier, l’Etat réglemente ses relations avec l’individu, mais il n’a pas à se mêler des relations entre deux individus et à vouloir les réglementer. Si j’ai une voiture et qu’elle est à moi, j’ai le droit de la vendre à qui je veux, pourvu que je respecte les normes relatives au registre de la propriété.
Il faut par ailleurs simplifier et regrouper la législation en général trop dispersée. Les documents clefs sont émis pour être appliqués par les responsables correspondants, et non pour végéter dans un tiroir. Il faut donc éduquer tous les cadres et exiger qu’ils travaillent à partir des dispositions légales qui régissent leurs fonctions et faire en sorte que leur respect soit une condition requise pour occuper un poste donné. Hier ou avant-hier, on a cité un exemple d’un fait concret qui était un dénominateur commun dans toutes les provinces. Il était devenu normal de mettre les documents dans un tiroir, tandis que la vie suit son cours.
Il vaut la peine de rappeler une fois de plus que nul n’est censé ignorer la loi et que, selon la Constitution, tous les citoyens ont les mêmes droits et les mêmes devoirs. Quiconque commet un délit, indépendamment de son poste, devra donc en payer les conséquences et sentir le poids de la justice.
Je passe à un autre point, qui apparaît aussi dans les Orientations : comme on l’a informé ici – on a retiré du plan de l’année prochaine soixante-huit investissements importants pour le pays parce qu’ils ne remplissent pas les conditions requises, entre autres la détermination du financement, la préparation technique et des projets, la définition des forces de constructeurs capables de s’en acquitter dans les délais fixés et l’évaluation des études de faisabilité. Nous ne permettrons pas que les ressources assignées aux investissements soient gaspillées par spontanéisme, improvisation et superficialité, tous facteurs qui ont caractérisé bien souvent les investissements. Tout ceci a été discuté au Conseil des ministres, et beaucoup de vous le savent : quiconque viole cette norme doit en subir les conséquences, quelles qu’elles soient.
Sur ce point, je tiens à souligner le rôle déterminant que doivent jouer les cadres du parti, de l’Etat, du gouvernement, des organisations de masse et de jeunes dans la conduite coordonnée et harmonieuse de l’actualisation du modèle économique cubain.
Nous avons maintenant un champ de bataille spécial et bien délimité pour prouver que tout ceci peut se faire et se faire bien, sans en faire pas assez ou trop, comme disait le Généralissime.
Compte de la décentralisation graduelle en cours, nous avons adopté des mesures pour élever l’autorité des dirigeants administratifs et d’entreprises auxquels nous continuerons de déléguer des facultés. Nous avons, parallèlement, perfectionné les procédés de contrôle et renforcé l’exigence face à la négligence, à l’indolence et à d’autres conduites incompatibles avec l’exercice de fonctions publiques.
La vice-présidente du Conseil d’Etat, Gladys Bejerano, qui, vous le savez, dirige avec efficacité la Cour des comptes, est assise là, au premier rang.
Gladys Berejano dirigeait avant le ministère de l’Audit et du Contrôle, le MAC, qui ne pouvait pas faire grand-chose parce que les gens trouvaient toujours des justifications et qu’apparaissait toujours un parrain, etc., et la compañera n’était pas bien vue par certains. Quand elle contrôlait, aussitôt les lamentations tombaient : « Non, ça n’aide pas », ou « Ça démoralise » - pensez un peu ! – ou « Elle dit des choses très dures, elle est très dure ». Justement, c’est bien ça que nous voulons, et c’est ce que j’exige d’elle constamment, maintenant qu’elle dirige la Cour des comptes, qui dépend du Conseil d’Etat et dont je suis personnellement le fonctionnement jour après jour, ainsi que le procureur général de la République, auxquels je confie des tâches.
A un moment donné – je n’avais pas encore cette responsabilité – j’ai dit : « Je crois que nous devrions dissoudre ce ministère. » J’ai vu des visages s’épanouir, sauf celui de Gladys, qui faisait triste mine parce qu’elle pensait qu’on méprisait son travail si important. J’ai laissé s’écouler une minute, et j’ai ajouté : « Nous allons dissoudre ce ministère, qui a la même hiérarchie que les autres, et nous allons créer la Cour des comptes subordonnée au Conseil d’Etat, et elle, nous allons la nommer vice-présidente. » J’ai vu les visages s’assombrir à nouveau, et le sien s’épanouir (rires). Ce n’est pas de la blague ce que je vous raconte, ce n’est pas de la blague (applaudissements).
Autrement dit, les dirigeants administratifs, les ministres, les administrations provinciales et municipales vont recevoir des facultés accrues, nous allons les appuyer, nous allons décentraliser des facultés d’en-haut.
Nous avons dit que l’administration municipale doit avoir des facultés et des ressources, et nous avons parlé de la façon de les obtenir, et nous allons continuer de déléguer des facultés. Je répète : Nous avons, parallèlement, perfectionné les procédés de contrôle et renforcé l’exigence face à la négligence, à l’indolence et à d’autres conduites incompatibles avec l’exercice de fonctions publiques.
Nous sommes aussi tout à fait conscients du dommage que le phénomène de la « pyramide inversée » a causé durant des années à la politique des cadres, autrement dit le fait que les salaires ne correspondent pas à l’importance et à la hiérarchie des postes de direction, et qu’il n’existe pas de différenciations adéquates entre les uns et les autres, ce qui freine la promotion des plus capables aux responsabilités supérieures dans les entreprises et les ministères. C’est là une question fondamentale qu’il faut régler en fonction des Orientations 156 et 161 concernant la politique salariale.
Le 6e Congrès du parti sera forcément, selon la loi de la vie, – ne l’oubliez jamais – le dernier pour la plupart de ceux qui constituent, comme nous, la « génération historique ». Il nous reste peu de temps, la tâche est gigantesque, et je pense, sans vouloir faire preuve d’immodestie ou de vanité personnelle, ou de sentimentalisme, que nous avons l’obligation de profiter de l’autorité morale que nous avons devant le peuple pour tracer la route à suivre et laisser quelques autres questions importantes résolues (applaudissements).
Nous ne nous croyons pas plus intelligents ni plus capables que d’autres, tant s’en faut, mais nous sommes convaincus en tout cas que notre devoir élémentaire est de corriger les erreurs que nous avons commises durant ces cinquante ans de construction du socialisme à Cuba. Nous emploierons dans ce but toutes les énergies qu’il nous reste et qui, heureusement, sont encore robustes (applaudissements).
Nous redoublerons de constance et d’intransigeance face à ce qui est mal fait. Les ministres et les autres dirigeants politiques et administratifs savent qu’ils peuvent compter sur tout notre appui quand, dans l’exercice de leurs fonctions, ils éduqueront leurs subordonnés et seront exigeants envers eux, et qu’ils n’auront pas peur de se mouiller. En règle générale, personne ne veut s’attirer des ennuis. Eh bien, n’ayez pas peur de vous en attirer en faisant face à la gabegie. Se mouiller pour contrer ce qui est mal fait, c’est en ce moment une de nos tâches principales pour surmonter toutes ces déficiences dont nous avons parlé.
Qu’il soit aussi clair pour tout le monde que nous ne sommes plus au début de la Révolution, en 1959, dans les premiers mois, quand certains de ceux qui occupaient des postes au gouvernement – en particulier au premier gouvernement qu’avait nommé Urrutia, exception faite de la Défense et de l’Agriculture… En effet, on lui avait dit : « Laissez ça tranquille », parce qu’on pensait à la réforme agraire et aux armements qu’il fallait acquérir. Je vous parle du 2 janvier 1959. Après avoir parlé à la population sur la place Céspedes, Fidel s’était rendu au quartier général de l’ennemi pour inviter les soldats à se joindre à nous, parce qu’il y avait eu un coup d’Etat dans la capitale, et que nous ne savions pas conduire les chars, manier l’artillerie et les autres moyens sur place. Et on avait laissé Urrutia et d’autres compagnons dirigeants du 26-Juillet à l’Université de Santiago de Cuba, pour qu’ils nomment le gouvernement.
J’ai fait transmettre ce message à Urrutia, le 2 janvier au petit matin, car le meeting sur la place avait fini après minuit : « On vous recommande de ne pas toucher aux ministères de l’Agriculture et de la Défense. » C’est tout ce qu’on lui a dit. Et quand je lui ai fait savoir de la part de Fidel qu’il devait nommer le colonel Rego Rubido, qui venait juste de se rendre à Fidel aux hauts d’Escandel, le 1er janvier, eh bien, mon Urrutia est venu me trouver dans le garage de la villa de Vista Alegre, tandis qu’une foule entourait l’endroit pour venir saluer. Urrutia se promenait de long en large dans le garage, et la discussion a duré un bon moment. Il me disait : « Je ne peux pas nommer un casquito chef de l’Armée rebelle ! » Je lui disais : « Ecoutez, président, Fidel sait ce qu’il fait. Il y a eu un coup d’Etat à La Havane, il est parti à Bayamo parler aux soldats de Batista… » Justement les soldats qui l’ont rejoint ensuite en route et l’ont accompagné jusqu'à La Havane. Le trajet a duré une semaine, et les poils de la barbe avaient même commencé à pousser quand ils sont arrivés à Columbia. Guillermo était avec Fidel, et d’autres qui sont ici présents : Colomé, Ramiro, lui, est venu avec le Che, Polito avec Fidel. Alvaro, je ne sais pas ce qu’il a fait, il avait quinze ans. Tu es resté là-bas ou tu es venu aussi ? (Il dit être resté à Santiago.) Tu es resté à Santiago, tu as bien fait, tu es de là-bas.
Il y avait cinq mille soldats ennemis dans la ville, et je n’avais que deux ou trois escortes avec moi. Nous avons créé quelques colonnes, parce que nous avons préparé à Fidel une bonne force. Lusson, qui était le chef d’une colonne plus puissante, dont faisait partie Colomé ; Belarmino était dans l’autre colonne ; Efigenio, on l’a monté à bord de quelques vieux avions saisis à Batista, pour qu’il aille à La Havane se charger de la police. Efigenio Ameijeiras était le chef de la VIe colonne, devant Guantanamo, et je l’avais nommé chef des trois colonnes qui encerclaient la ville et que nous pensions occuper le 2 janvier, après la trahison du général Cantillo.
Pour ma part, je suis entré dans le bureau même de Chaviano, justement le bureau où on m’avait interrogé lors de l’attaque de la Moncada. Je suis entré par cette même porte.
J’ai été fait prisonnier, heureusement, bien des jours après que la répression et le massacre de nos compagnons de la Moncada avaient cessé, et on ne m’a pas tapé dessus, je n’ai pas connu cette expérience. Mais j’avais décidé de me porter dignement, sans insolence, et on m’a fait passer au milieu d’une rangée de soldats qui m’insultaient, et le capitaine et les officiers le lui demandaient : « Laissez-le-moi, mon capitaine, pour faire justice. »
Cinq ans, cinq mois et cinq jours après, le 1er janvier 1959, nous sommes entrés dans Santiago de Cuba. Je me suis rendu à la caserne Moncada pour parler à toute la garnison, et j’y suis entré cette fois-ci au milieu des vivats, et je n’avais qu’un soldat avec moi comme escorte, et je leur ai parlé. Ma mission était de réunir tous les officiers et de les conduire à l’Escandel, du côté du Caney, pour rencontrer Fidel. Je n’ai pas pu ressortir de la Moncada, une foule de soldats et de sergents m’a conduit en poids à leur quartier, à côté de la caserne, et on m’a donné du café, je ne pouvais plus repartir… (Quelqu’un lui dit quelque chose.) Comment ? Ah oui, le « gerolan » ! Bon, je suis en train de m’adresser aux soldats, et eux de scander: « Gerolan ! Gerolan ! » Alors, je demande aux officiers de Batista: « C’est quoi, le gerolan ? » Personne ne me répondait, et les autres de scander : « Gerolan, gerolan ! » J’étais en train de m’égosiller à leur parler depuis un balcon, et pas moyen, il n’y en avait que pour ce gerolan… Le soldat rebelle qui m’accompagnait ne savait pas non plus, jusqu’à ce qu’un officier, un lieutenant ou un sous-lieutenant, un comptable, je crois, de la logistique, s’approche de moi et me dit : « Commandant, le gerolan, c’est la paie supplémentaire qu’on leur verse quand ils sont en campagne. » Je lui demande : « On ne la leur a pas versée ? » Il me dit : « Non, parce qu’ici les chefs n’informaient même pas des morts pour pouvoir empocher l’argent. » Je dis alors : « Demain, après avoir occupé la forteresse, du gerolan pour tout le monde ! » Vous auriez dû voir ça ! Du délire ! Je me suis dit : « Une sacrée troupe que j’ai en face! » (Rires.) On a demandé un crédit à une banque et on leur a payé le gerolan… Ces pauvres soldats n’avaient pas… Voilà ce que Guillermo voulait rappeler.
Ah oui, qu’est-ce que c’était que ce gerolan ? C’était une espèce de potion qui avait censément des propriétés spéciales, un truc de charlatan (rires).
Je disais donc que nous ne sommes plus dans les premières années de la Révolution…
Ah oui, je n’ai pas terminé l’histoire d’Urrutia… Melba Hernandez – qui n’est pas avec nous aujourd’hui – en est témoin. Je ne l’avais plus revue depuis l’époque du Mexique, et après elle a pu rejoindre le 3e front d’Almeida. Comme ces villas de Vista Alegre possèdent un garage qui donne directement sur la cuisine par un escalier, elle était dans la cuisine et attendait que notre dispute se termine. Je lui avais fait signe d’attendre. Donc, mon Urrutia se promenait de long en large, les mains dans le dos. Le temps passait. Alors, mes origines de Galicien ont apparemment pris le dessus et je lui ai lancé une bordée de gros mots que je ne peux pas répéter ici. Et je lui dis : « Ecoutez, ça fait sept ans que je me bats contre Batista, j’ai été de tous les combats, la prison, l’exil, etc., et vous croyez que ça ne me fait pas mal au cœur de voir un casquito commander l’armée ? Mais ce type-là, en fait, il ne commande rien, il doit me consulter sur tout, et je le tiens dans le bureau du chef du régiment. » Et le premier ordre que j’ai donné, c’est pour faire partir tous les soldats qui étaient là. Comme les ponts avaient été dynamités et que je ne voulais qu’ils rencontrent Fidel en chemin, même s’ils étaient désarmés, j’ai réquisitionné les trois frégates de la marine de guerre de Batista et je les ai utilisées pour les renvoyer, par groupe de cinq cents, dans le centre et l’Ouest du pays où ils vivaient.
J’ai lâché un certain nombre de choses à Urrutia. Je lui ai parlé dur : « Fidel sait ce qu’il fait, et moi, j’obéis à Fidel ! » Et lui continuait de déambuler : « Bon, commandant, on va trouver une solution, je crois que c’est raisonnable, n’est-ce pas ? » Je lui dis : « Oui, je crois que ça l’est. » « Alors, d’accord. » Après ça, j’ai embrassé Melba et je suis parti faire mon devoir.
A Santiago, Fidel m’avait laissé à la tête des provinces de l’Est. Je ne suis pas allé à la prise de possession, je suis allé à l’Université de Santiago…
Vous avez vu comment se tiennent nos réunions, n’est-ce pas ?
Juste quand je pars, le vieil Urrutia m’appelle et me dit : « Commandant, il faut que vous ne nommiez un aide-de-camp, un commandant. » Je lui dis : « Je vous l’envoie, président. » Je me dis : « Diable, qui donc puis-je nommer là ? » Je devinais déjà les problèmes que ce type-là allait nous causer. On était début janvier. A peine cinq mois plus tard… bon, vous connaissez l’histoire. Sur ce, je croise Machado Ventura (rires). Il avait déjà une Thompson à la main, il était commandant, et je lui dis : « Dis donc, Machado… – je ne veux pas lui raconter cet incident, que j’ai raconté uniquement à Fidel quand je suis allé à La Havane en février – dis donc, Machado, le président m’a demandé ceci et cela, et il me semble que tu es la personne indiquée… » « Non, non, non ! Pas question, je vais chercher un travail comme médecin… » Je lui dis : « Laisse tomber ce travail, c’est maintenant que tout commence. » Et il a fini par accepter.
Urrutia va donc à la Havane, et moi, je reste à Santiago. Quand je vais a La Havane, en février, le mois où commencent pour de bon les problèmes avec Urrutia, des choses dont on n’a pas beaucoup parlé, les mesures qu’il prend, les trucs absolument irrationnels qu’il décide, et même son attitude comme personne… La première chose qu’il a faite, c’est conserver pour lui le salaire de Batista et avec tous les frais de représentation. Bien entendu, il s’est acheté une « petite chaumière » tout comme Grau San Martin, qui doit toujours être là… Alors, je me dis : « Parfait, je vais appeler mon ami Machado pour voir de quoi il retourne. » Je téléphone au Palais présidentiel, et on me dit : « Non, Machado est parti d’ici depuis quelque temps. » Je me dis : « Où s’est-il fourré ? » Et je le retrouve finalement en train d’exercer comme médecin à La Havane. C’est bien ça, n’est-ce pas ? (Machado répond affirmativement.) Autant dire que je l’ai taxé de premier déserteur des Forces armées révolutionnaires modernes ! (Rires.) Heureusement qu’après, par son travail, il a lavé cette offense !
Après cette petite diversion aux dépens de mon ami Machado, je poursuis. Ou plutôt, je reprends.
Qu’il soit aussi clair pour tout le monde que nous ne sommes plus au début de la Révolution, en 1959, quand certains de ceux qui occupaient des postes au gouvernement – d’où mon anecdote sur ce gouvernement d’alors – y renoncèrent pour protester contre les premières mesures radicales prises par la Révolution, surtout la réforme agraire, la première, le 17 mai 1959, et que l’on avait qualifiés à juste titre de contre-révolutionnaires. Autrement dit, ils démissionnaient pour prouver leur opposition aux mesures radicales, on les taxait de contre-révolutionnaires et on acceptait leur démission. Aujourd’hui, être vraiment révolutionnaire et honnête pour un cadre, c’est à l’envers : quand un cadre se sent fatigué ou incapable d’occuper vraiment son poste, ou d’appliquer les nouvelles orientations que nous prenons, il est correct qu’il présente sa démission, dignement et sans crainte, ce qui sera toujours préférable à la destitution.
A ce sujet, je dois évoquer trois compagnons qui ont occupé d’importantes responsabilités à la direction du parti et du gouvernement et auxquels, compte tenu des fautes commises, le Bureau politique a demandé de renoncer à leur condition de membres de cet organisme de direction, du Comité central et de député de l’Assemblée nationale du pouvoir populaire.
Il s’agit de Jorge Luis Sierra Cruz, de Yadira Garcia Vera et de Pedro Saez Montejo. Les deux premiers ont été par ailleurs destitués comme ministre du Transport et de vice-président du gouvernement, et ministre de l’Industrie lourde, respectivement. Sierra, pour s’être attribué des facultés qui n’étaient pas de son ressort et qui l’ont conduit à commettre de graves erreurs que nous payons encore. Yadira Garcia pour son très mauvais travail à la tête d’un ministère aussi important, qui couvre le pétrole, les mines, etc., notamment par le faible contrôle qu’elle a exercé sur les ressource destinées aux investissements, ce qui a favorisé leur gaspillage, comme on a pu le constater dans le projet d’agrandissement de l’entreprise de nickel Pedro Sotto Alba, à Moa, province d’Holguin. Ces deux compagnons ont été vertement critiqués au cours de deux réunions conjointes de la commission du Bureau politique et du Comité exécutif du Conseil des ministres.
De son côté, Pedro Saez Montejo, faisant preuve d’une superficialité incompatible avec son poste de premier secrétaire du parti à La Havane, a violé dans son travail des normes du parti, ce dont une commission du Bureau politique que j’ai présidée et dont faisaient partie Machado Ventura et Esteban Lazo a discuté avec lui.
Il est juste de signaler que tous trois ont reconnu leurs erreurs et ont réagi correctement, si bien que la commission du Bureau politique a décidé de leur laisser la condition de militant du parti et a jugé bon de les situer dans des travaux en rapport avec leurs spécialités respectives, certains à la base, d’autres, comme Sierra, qui est ingénieur mécanicien, dans un petit atelier d’une base de réparations générales de chars, un atelier de onze ou quatorze compagnons qui fabrique des pièces et qu’il dirige donc.
Sur le plan personnel, tous trois resteront mes amis, mais je n’ai d’engagement que vis-à-vis du peuple et, en particulier, de ceux qui sont tombés durant ces cinquante-huit ans de lutte ininterrompue depuis le coup d’Etat de 1952. Nous avons agi ainsi envers ces trois hauts dirigeants du parti et du gouvernement, mais sachez que c’est là la ligne que le parti et le gouvernement suivront envers tous les cadres. Nous serons toujours plus exigeants, et nous mettrons en garde et adopterons des mesures disciplinaires en cas de transgressions des normes établies.
Selon la loi modifiant la division administrative, deux nouvelles provinces seront constituées, Artemisa et Mayabeque, dont les organes de direction fonctionneront à partir de nouvelles conceptions organisationnelles et structurelles bien plus rationnelles que celles qui existaient dans la province actuelle de La Havane-Grande Banlieue.
On a défini leurs fonctions, leurs structures et leurs personnels. On travaille à définir leurs attributions, ainsi que leurs relations avec les organismes de l’administration centrale de l’Etat, les entreprises nationales et les organisations politiques et les organisations de masse. Nous suivrons de très près cette expérience afin de la généraliser peu à peu aux autres organes d’administration locale, autrement à tout le pays, dans les cinq prochaines années. Nous sommes partisans de renforcer graduellement l’autorité des administrations provinciales et municipales et de les doter de plus de facultés dans la gestion des budgets locaux auxquels sera destinée une partie des impôts générés par l’activité économique afin de contribuer à leur développement.
Les relations avec les peuples et les gouvernements de presque tous les pays progressent au milieu d’une situation internationale agitée.
Le monde a lu avec étonnement les révélations scandaleuses contenues dans des centaines de milliers de documents secrets du gouvernement étasunien, dont une partie très récente sur les guerres en Irak et en Afghanistan, ainsi que sur les questions les plus variées de ses relations avec des dizaines d’Etats.
Bien que tout le monde se demande ce qu’il se passe vraiment en son sein et comment on peut relier tout ça avec les coulisses de la politique étasunienne, ce que l’on sait pour l’instant prouve que les USA, tout en se dissimulant sous une rhétorique aimable, poursuivent leurs politiques de toujours et agissent comme un gendarme mondial.
On ne constate pas la moindre volonté de leur part de rectifier leur politique envers Cuba, même pas pour en éliminer les aspects les plus irrationnels. Il est évident que, dans ce domaine, une puissante minorité réactionnaire qui sert d’appui à la mafia anticubaine continue de prédominer.
L’administration étasunienne, non contente de mépriser la volonté absolument majoritaire de l’ONU, où cent quatre-vingt-sept Etats membres réclament la levée du blocus économique, commercial et financier appliqué à notre pays, l’a durci en 2010 et a continué d’inclure Cuba sur ses listes illégitimes par lesquelles elle s’arroge le droit de qualifier et de diffamer des Etats souverains pour justifier des actions punitives, voire des actes d’agression.
La politique étasunienne contre Cuba n’étant absolument pas crédible, il ne lui reste plus qu’à recourir aux mensonges et à ressasser des accusations dont le comble, par leur fausseté scandaleuse, est qu’on puisse nous qualifier de pays qui favorise le terrorisme international, qui est tolérant avec la traite intérieure d’enfants et de femmes à des fins d’exploitation sexuelle, qui viole d’une manière flagrante les droits humains et qui restreint significativement les libertés religieuses.
L’administration étasunienne prétend camoufler ses propres fautes et éluder sa responsabilité devant l’impunité dont jouissent dans ce pays des terroristes internationaux avérés que réclame la justice de plusieurs pays, tout en continuant d’imposer une prison injuste à nos cinq frères qui se battaient contre le terrorisme.
Dans leurs campagnes calomnieuses contre Cuba au sujet des droits humains, les USA ont agi de connivence avec des pays européens qui ont été complices des vols secrets de la CIA et de la création de centres de détention et de torture, et qui n’hésitent pas à faire retomber les effets de la crise économique sur les travailleurs les plus mal payés, à réprimer violemment les manifestants et à instaurer des politiques discriminatoire envers les émigrés et les minorités.
Nous continuerons de lutter aux côtés des pays frères d’Amérique latine pour une intégration libératrice, et, dans le cadre de l’Alliance bolivarienne pour les peuples de Notre Amérique, nous travaillerons à consolider la solidarité et l’unité qui nous renforcera tous toujours plus.
Nous continuerons d’aider le pays frère d’Haïti, où nos personnels de santé, de pair avec des médecins latino-américains et haïtiens formés à Cuba, combattent avec abnégation, et d’une manière désintéressée et humanitaire, l’épidémie de choléra, les dommages causés par le séisme et les séquelles de siècles d’exploitation et de pillage de ce noble peuple qui a besoin que la communauté internationale lui fournisse des ressources pour la reconstruction et en particulier pour le développement durable.
L’occasion est aussi propice pour adresser depuis cette Assemblée nationale, au nom de tous les Cubains, un message d’encouragement et de solidarité au peuple vénézuélien frère, victime de pluies torrentielles qui ont causé de lourdes pertes en vies humaines et en biens matériels. Les dizaines de milliers de coopérants cubains dans ce pays ont reçu très tôt des instructions de se mettre au service des Vénézuéliens et du président Chavez pour tout ce qu’il faudrait.
Avril prochain marquera le cinquantième anniversaire de la proclamation du caractère socialiste de notre Révolution. C’est sur les sables de Playa Giron que nos forces se sont battues pour la première fois en faveur du socialisme, au point de liquider en moins de soixante-douze heures, sous la conduite personnelle du commandant en chef, l’invasion mercenaire parrainée par le gouvernement étasunien.
Pour fêter un événement si important, nous organiserons le 16 avril un défilé militaire de troupes et de moyens de combat, auquel assisteront les délégués au 6e Congrès du parti qui, l’après-midi même, ouvriront leurs travaux dont la conclusion est prévue le 19, jour de la victoire de Playa Giron. Nous commençons donc par fêter la proclamation du caractère socialiste de notre révolution, annoncée par Fidel à l’enterrement des victimes des bombardements qui ont précédé le jour de l’attaque de Playa Giron, et nous conclurons la journée de la victoire. Le défilé sera clos par plusieurs dizaines de milliers de jeunes en représentation des nouvelles générations qui constituent le garant de la continuité de la Révolution.
Cette commémoration sera consacrée à notre jeunesse qui n’a jamais failli à la Révolution :
Ce sont des jeunes qui sont tombés dans l’attaque de la caserne Moncada et de celle de Bayamo.
Ce sont des jeunes qui se sont soulevés à Santiago de Cuba sous la direction de Frank Pais.
Ce sont des jeunes qui étaient les expéditionnaires du Granma, qui, après la débâcle d’Alegria de Pio, ont formé l’Armée rebelle, renforcée par des vagues de jeunes en provenance des campagnes et des villes, et tout d’abord par le renfort organisé et envoyé personnellement de Santiago par Frank Pais.
Ce sont des jeunes qui constituaient le puissant mouvement clandestin.
Ce sont des jeunes qui, le 13 mars 1957, ont attaqué vaillamment le Palais présidentiel et la station Radio Reloj sous la conduite de José Antonio Echeverria.
Ce sont des jeunes qui ont combattu héroïquement à Playa Giron.
Ce sont des jeunes et des adolescents qui ont rejoint, voilà cinquante ans, la Campagne d’alphabétisation.
Ce sont des jeunes qui se sont battus en majorité contre les bandes mercenaires organisées par la CIA, et ce jusqu’en 1965.
Ce sont des jeunes qui ont écrit de belles pages de courage et de stoïcisme au cours de missions internationalistes dans plusieurs pays, notamment pour aider les mouvements de libération en Afrique.
Ce sont des jeunes, nos Cinq Héros qui ont risqué leur vie pour lutter contre le terrorisme et qui sont cruellement incarcérés depuis plus de douze ans (applaudissements).
Ce sont des jeunes pour la plupart les milliers et milliers de coopérants qui défendent la vie humaine, soignant des maladies déjà éradiquées à Cuba, qui soutiennent des programmes d’alphabétisation, qui divulguent la culture et la pratique des sports auprès de jeunes et d’adultes dans le monde entier.
Cette Révolution-ci est l’œuvre du sacrifice et des luttes de la jeunesse cubaine – ouvriers, paysans, étudiants, intellectuels, militaires – de tous les jeunes de toutes les époques.
Cette Révolution-ci sera poursuivie par des jeunes pleins d’optimisme et ayant une confiance inébranlable dans la victoire.
Grands ont été les défis et aussi les dangers depuis le triomphe de la Révolution, surtout depuis Playa Giron, mais aucune difficulté ne nous a fait plier. Nous sommes ici et nous y resterons grâce à la dignité, à l’intégrité, au courage, à la fermeté idéologique et à l’esprit de sacrifice révolutionnaire du peuple cubain qui a intégré depuis longtemps l’idée que le socialisme est la seule garantie pour lui de rester libre et indépendant.
Je vous remercie.
(Traduction ESTI) • Publié par | |
Mise en page : Le Papy Mouzeot |